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Hannes Verhoustraete, Vue Brisée

Publié le 20/09/2023 par Kevin Giraud et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Des images fixes qui s’animent sous les mains expertes du cinéaste. Des archives qui reprennent vie et acquièrent un autre sens. Avec Vue Brisée, le réalisateur et chercheur Hannes Verhoustraete livre un film puissant et complexe à la lumière d’une lanterne magique qui révèle bien des secrets.

Cinergie : D’où vous vient cette fascination pour cet objet si particulier qu’est la lanterne magique?

Hannes Verhoustraete : J’ai toujours eu un intérêt particulier pour l’archéologie des médias, c’est quelque chose qui me fascine depuis longtemps. Dans le cadre d’un grand projet sur l’impact culturel de la lanterne magique en Belgique, j’ai été sollicité par un collègue du KASK pour réaliser un court métrage qui donnerait une autre perspective à l’ensemble, plus historiographique. D’un petit film, c’est devenu un long-métrage, et une grande partie de mon projet de recherche doctorale.

 

Cinergie : Comment combine-t-on recherche et création cinématographique?

H.V. : C’est une question qui revient souvent, et il n’y a pas de réponse toute faite. Au KASK, nous avons beaucoup de libertés pour en tirer notre propre interprétation. En ce qui me concerne, j’y ai vu la possibilité de réaliser un film que je n’aurai pu faire nulle part ailleurs. J’avais déjà réalisé un court et un long-métrage avant ce projet. Mon précédent film, Un pays plus beau qu’avant, est le portrait d’un voisin congolais que je connaissais assez bien. Dans son sillage, j’ai découvert une partie méconnue de la diaspora congolaise, avec des univers très différents qui se mêlent chaque jour. C’est aussi ce qui m’a amené à cette réflexion et le thème de Vue Brisée.

 

C. : Dans Vue Brisée, vous abordez de front l’histoire de la colonisation, en la liant à l’histoire des techniques. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche?

H.V. : Je ne suis pas un expert en histoire coloniale ou décoloniale. Ce film est à l’origine un essai, que j’ai trouvé intéressant d’axer en ce sens. Ce qui me fascine depuis toujours, c’est la construction d'images, et la construction de l’Histoire au travers des images. Ce n’est qu’au fur et à mesure de mes recherches que la colonisation s’est imposée comme un thème évident. Car la lanterne magique a été un instrument très important non seulement pour l’histoire, mais aussi pour la construction d’une mentalité coloniale auprès des Belges. Déconstruire cette histoire, c’est aussi ouvrir la possibilité d’en construire une autre aujourd’hui, toujours avec ces mêmes images.

 

C. : Comment votre propre histoire s’est-elle intégrée à ce travail?

H.V. : C’est un questionnement qui m’a accompagné dans tout le montage du film. Les images de mon grand-oncle, que l’on découvre au début du récit, devaient à l’origine accompagner le projet précédent. C’est finalement dans celui-ci qu’elles se sont intégrées, elles créent une vraie tension entre l’archive officielle et fixe, et l’archive intime et mouvante. Dans ces images, mon grand-oncle construit sa propre histoire, sa propre version des images qu’il a probablement vu étant enfant. Au-delà de cette tension entre les archives, il y a aussi une réflexion esthétique que je voulais amener au film, en faisant évoluer les perspectives. Les couleurs, les compositions des images, mais aussi celles de mes plans, sont le fruit de ces réflexions qui sont les forces motrices du film.

 

C. : C’est aussi quelque chose que l’on ressent dans vos textes.

H.V. : Cette sélection est le fruit d’un travail continu, de collage et d’essai. Couper, réécouter, rétrécir, écrire, tout cela s’est fait au cours du montage. J’ajoutais des éléments au fur et à mesure parce que ma perspective a évolué de manière constante. Il n’y a jamais eu de scénario préétabli, et le montage a été partie intégrante de l’écriture de ce film. À l’origine, je voulais une polyphonie des voix, pour que l’on puisse distinguer les différentes perspectives. C’est finalement une seule voix qui accompagne le film, avec néanmoins des registres qui évoluent selon les nuances du film. Il y a un registre très informatif, mais il y a également ce questionnement permanent de l’autorité des médias, et de la véracité des images. Le film est à la fois un essai sur les modes d’expression, mais aussi sur les modes d’aborder la colonisation.

 

C. : Réaliser un long-métrage à partir d’images fixes, cela demande une certaine inventivité.

H.V. : Dès le début, j’ai eu recours au collage et à l’assemblage d’images. Un des éléments qui revient le plus souvent dans le film, c’est cette table lumineuse qui révèle ce qui est invisible. De là, j’essaye d’établir une cartographie, des plans, et c’est très intuitivement que j’ai ajouté des animations pour retrouver un certain mouvement dans le film. Cela peut ressembler à un jeu, mais il y a des jeux très sérieux. C’est cet esprit de jeu que j’adore dans le cinéma d’essai, et dans le cinéma documentaire en général. Il y a aussi une part de créativité qui vient en droite ligne du précinéma, de ces spectacles.

 

C. : Comment le film a-t-il été reçu par le public jusqu’ici?

H.V. : Je suis assez étonné de l’engouement autour du film, et d’avoir reçu des prix [prix du jury, mention spéciale du jury des jeunes et du jury des critiques au festival international du nouveau cinéma de Pesaro, NDLR]. Selon moi, c’est un film qui plairait plutôt aux académiques et aux cinéphiles, mais je constate qu’il fonctionne aussi pour un public plus large. Le film est maintenant montré en Belgique, on verra pour la suite.

 

C. : Et après, quelles suites pensez-vous donner au projet?

H.V. : Au-delà du fond, c’est surtout sur le plan formel que j’ai trouvé ce travail très enrichissant. Ce qui m’a par contre manqué pendant cette production, c’est la collaboration avec une équipe. Travailler avec de vrais êtres humains, et pas seulement des archives ou des fantômes. Pour mon prochain projet, je vais donc peut-être revenir au monde d’aujourd’hui. Les thèmes de ce film, je souhaiterais désormais les mettre en relation avec d’autres mondes, d’autres images. C’est d’un film de voyage dont je rêve aujourd’hui.

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