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Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï – Semaine de la Critique à Cannes

Publié le 10/04/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Quand vient la fin de l’été…

Sous un soleil caniculaire, un été en Wallonie, Purdey (Purdey Lombet), 17 ans, et son frère Makenzy (Makenzy Lombet), 15 ans, font face aux absences répétées de leur mère, une alcoolique au dernier degré qui disparaît pendant des semaines avant de réapparaître comme si de rien n’était pour coller ses fesses devant la télévision avec un pack de bières ou s’évanouir dans son lit. Livrés à eux-mêmes, sans argent, sans eau chaude, sans voiture, sans repères, sans père ni modèles, vivant dans une petite maison insalubre qui tombe en ruines, ces deux adolescents qui s’adorent autant qu’ils se chamaillent se débrouillent tant bien que mal. Avec une fuite au plafond, il pleut dans la chambre de Purdey les soirs d’orage, ce qui l’oblige à dormir dans la chambre de son frère, un geste qui renforce le lien indéfectible qui les unit.

Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï – Semaine de la Critique à Cannes

La jeune fille fait des ménages dans un complexe hôtelier et fréquente un jeune intello, Youssef (Amine Hamidou), dont l’ambition l’impressionne. Quant à son frère, il se fait un peu d'argent en arnaquant des touristes avec des petites combines (vol de vélos, deal de shit…) Entre l'insouciance de l'adolescence et l'âpreté d’une vie adulte qui commence trop tôt, ils se soutiennent l'un l’autre, mais la précarité de leur situation va les obliger à faire des adieux définitifs à leurs rêves d’enfants.

Pour son premier long de fiction (après le documentaire Petit Samedi, en 2020), Paloma Sermon-Daï signe une version longue de son court-métrage Makenzy (2017), dont elle reprend le style naturaliste et les deux têtes d’affiche, qui jouent des versions romancées d’eux-mêmes. Sur fond de déterminisme social et de vague à l’âme estival, elle examine, avec une insidieuse montée de la tension annonçant un inévitable drame, la manière dont ces deux adolescents vont faire face à leurs doutes et frustrations respectifs. Purdey et Makenzy évoluent dans une Wallonie sinistrée, un no man’s land économique et culturel au sein duquel la jeunesse, abandonnée par des aînés démissionnaires (absents, alcooliques), sombre dans l’ennui. Issus d’un milieu populaire, ils s’expriment avec un accent prononcé et incarnent malgré eux, jusque dans leur prénom, la décadence culturelle de toute une région. Pas encore adultes, ils comprennent qu’ils sont déjà des parias et que leur avenir ne sera pas rose.

Volontaire, mais souffrant d’un gros complexe d’infériorité, Purdey comprend, impuissante, que sans éducation, sans ambition et sans aptitude particulières, elle n’a aucune perspective d’avenir, si ce n’est de nettoyer des chambres pour un salaire de misère. Quant à Makenzy, il glande devant des jeux vidéo et fait les 400 coups avec son seul ami, Donovan (Donovan Nizet). Ces frustrations sont exacerbées, pour elle, par la supériorité intellectuelle de Youssef, qui la regarde de haut, et pour lui, par les envies de départ de sa sœur aînée. Le point d’orgue de cette détresse affective se manifestera de façons totalement opposées. Pour elle, dans une dignité larvée, sans éclats : Purdey craque en silence lorsqu’elle visite un appartement minable de 25 m2 qu’elle ne peut même pas se permettre. Pour lui, dans un acte de violence et de rage effroyable au contact d’un jeune bourgeois bruxellois en vacances.

On ressent toute la tendresse que la réalisatrice éprouve envers ces marginaux qui ne devraient pas l’être et dont elle filme l’intimité avec beaucoup de pudeur, nimbant son film d’une poésie et d’un humour qui contrebalancent la noirceur de son propos. Nous sommes ici proches du constat social que l’on trouve dans les films des frères Dardenne… mais au soleil ! Au-delà du parcours personnel de Purdey et Makenzy, Paloma Sermon-Daï fait en effet un exposé désespéré sur une région magnifique laissée à l’abandon. Non, en Wallonie non plus, la misère n’est pas moins pénible au soleil.

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