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Paloma Sermon-Daï, Il pleut dans la maison

Publié le 15/05/2023 par Dimitra Bouras et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Le film Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï a été sélectionné cette année à la Semaine de la critique à Cannes. À travers son long-métrage, la jeune cinéaste namuroise tente de brosser le portrait d’une région où deux réalités s’entrechoquent : un tourisme de masse envahissant face à une pauvreté endémique, affligeante, occultée. Dans la continuité de Makenzy, son premier court-métrage, Paloma Sermon-Daï manifeste sa volonté de représenter une Wallonie et sa précarité sociale souvent mises à l’écart dans le cinéma. Rencontre avec la réalisatrice avant son départ pour Cannes sans avoir pu voir le film.

Cinergie :  Pourquoi l’avoir choisi ce titre, Il pleut dans la maison ?

Paloma Sermon-Daï : C'est un titre assez naïf, puisqu’il pleut littéralement dans la maison. Ce n'est pas un dialogue du film, mais c'est une phrase qu'ils auraient pu se dire l'un à l'autre.

 

C. : Il pleut dans la maison, au sens figuré ou au sens propre ?

P. S. D. : Les deux. C'est ça qu'on aime beaucoup avec ce titre. Ce frère et cette sœur vivent dans une maison près du lac de l'Eau d'Heure qui est assez insalubre, et dans laquelle il pleut.

 

C. : Et le sens figuré ?

P. S. D. : C'est la maison qui prend l'eau. On suit cette galère estivale que ces deux jeunes vivent. Je voulais raconter une histoire de famille, ce lien très fort, fusionnel. Ils vivent dans une région très touristique, mais c'est un tourisme qui profite peu aux autochtones, assez précarisés. Ces deux jeunes-là sont baignés dans ce tourisme, mais ils n'y trouvent pas vraiment leur place. Il y a ce contraste entre cette vie plutôt compliquée qu'ils vivent et en même temps ce tourisme hyper abondant en plein été.

 

C. : C’est une histoire totalement fictionnelle ou au contraire très inspirée de la réalité ?

P.S.D. : C'est une histoire complètement écrite. Au départ, j'ai commencé à poser les fondations de l'histoire sans avoir de casting en tête. Je voulais un frère et une sœur. J'imaginais qu'on passerait par un casting sauvage, comme on le fait souvent quand on veut travailler avec des adolescents. La première personne à m'avoir parlé de Makenzy, c'est mon producteur qui m'a dit : « Pourquoi est-ce que tu ne retravaillerais pas avec eux ? » J'avais déjà travaillé avec Makenzy et sa sœur, Purdey, pour mon film de fin d'études, le court-métrage Makenzy. Puis, il y a eu une projection de mon documentaire Petit Samedi. J'ai recroisé Makenzy qui m'a dit que ça lui plairait de refaire du cinéma. Je ne l'imaginais pas. Je me disais que le court-métrage, il l'avait fait un peu dans cette insouciance de l'enfance et que ce n'est pas quelque chose qui l’attirait plus que ça.
Une fois qu'ils sont rentrés dans l'histoire, on a commencé une année de travail, d'ateliers. J'appelle ça des ateliers parce qu'on se voyait régulièrement pour faire des improvisations. Je leur ai donné le texte très tard. Au départ, on travaillait vraiment sans texte. Je leur faisais faire des exercices et je me nourrissais énormément de leur
adolescence qui me rappelait beaucoup la mienne. C'est ça qui est beau dans le film. Durant cette année, eux devenaient des acteurs et moi, réalisatrice. Je me suis épanouie dans cette mise en scène. On a vraiment travaillé côte à côte. J'avais envie de parler de mon adolescence et de l'adolescence des gens que je connais, avec lesquels j'ai grandi, de cette réalité wallonne que j'ai rarement vue à l'écran. Il y a une universalité dans ce récit, l'adolescence en Wallonie, la précarité présente. Mais on casse un peu les codes du cinéma social. C'est vraiment un film de relations d'amour. 

 

C. : Aviez-vous déjà prévu le lieu avant de connaître le casting ?

P.S.D. : Oui, j'avais très envie de tourner au bord du lac. Esthétiquement, parce qu’il y a quelque chose qui me fascine dans les lacs. C'est une région que je connaissais, car, comme beaucoup de Wallons, c'est un lieu touristique où j'ai passé des journées quand j'étais jeune. Ce n’est pas loin de là où j'ai grandi non plus. Ce qui m'a vraiment intéressé, c'est cette fracture sociale entre ce tourisme et les habitants du coin. Les campings, un hôtel et les infrastructures touristiques y sont très proprets. Puis, il y a les campings où des gens très précarisés vivent toute l'année.

 

C. : Racontez-nous le film.

P.S.D. : On suit ce qui est probablement le dernier été de la jeunesse de Makenzy et Purdey. Ils trouvent un job étudiant dans le complexe hôtelier. Purdey y fait le ménage. Elle a 17 ans, elle a un petit copain qui s'appelle Youssef. Makenzy, lui, est un peu plus immature, c'est un garçon en colère, qui a une certaine violence en lui. Il se met à voler des touristes au cours du film. On comprend assez rapidement que Purdey a envie de partir, de briser ce plafond de verre. Makenzy craint surtout le changement. Il a envie que les choses restent comme avant, il veut toujours rester avec sa sœur. Il désire qu'elle et sa mère se réconcilient. Celle-ci est très absente. On est vraiment face à deux jeunes qui se retrouvent quelque part obligés de devenir adultes avant l'heure. On suit cette envie de partir et le tiraillement de ce frère et cette sœur qui ont envie de rester ensemble coûte que coûte.

 

C. : Ça me fait quand même beaucoup penser au court-métrage. Vous l'aviez écrit ou c'était un documentaire ?

P.S.D. :  Comme souvent dans mes documentaires, je n'ai pas du tout peur de jouer avec des codes de fiction, avec l'hybridité. Dans le court-métrage Makenzy, il y avait déjà cette histoire de relation fusionnelle d’un frère et d’une sœur qui ont envie de rester ensemble. Makenzy allait peut-être devoir partir à l'internat. Ils étaient aussi tiraillés. Quand j'ai décidé de travailler avec Purdey et Makenzy dans ce long-métrage, je me suis nourrie de nouveau de ça ; je voulais garder ces diamants bruts, ces adolescents. Donovan Nizet, l'ami de Makenzy, a aussi rejoint le casting. Je n'avais pas envie de trop les polir, je désirais les garder comme ils sont. On n'a donc pas voulu leur faire faire trop de stages de jeu face caméra ou de cours de théâtre pendant cette année de préparation ensemble. J'alternais des séances où je les filmais, puis je retournais en écriture et je me nourrissais beaucoup de la façon dont ils parlaient, de situations qu'ils ont connues, etc. C'est un mélange de tout ça et c'est ce qui fait l'originalité du film.

 

C. : Mise à part la relation fusionnelle entre le frère et la sœur, quel était le noyau du film ?

P.S.D. : Il est surtout question de briser le plafond de verre et de raconter cette réalité wallonne. C'est quelque chose que j'ai vécu. J'ai une relation très aigre-douce avec la Wallonie. C'est un lieu qui m'a construit énormément, mon terreau, mon cinéma vient de là. C'est un lieu que j'ai eu très envie de quitter. Dans le film, j'avais envie de raconter ça, ce tiraillement qu'on peut vivre entre cette envie de partir et cette peur du changement. C'est une envie d'ailleurs, une envie de se débrouiller, une envie d'indépendance. Chez Purdey, c'est très fort. Elle a envie de pouvoir se débrouiller financièrement, de ne plus devoir dépendre de sa mère très absente.

 

C. : Pensiez-vous à un autre casting avant de les avoir choisis ?

P.S.D.Oui, bien sûr. C'était un peu effrayant pour moi de repartir avec des non-professionnels. Je n'étais pas sûre que c'était vers ça que j'allais aller. Dans le film, le casting est d’ailleurs assez mixte. Il y a des professionnels et des non professionnels et c'était beau d'arriver à faire fonctionner cette équation entre les styles.

 

C. : Comment êtes-vous passée à la fiction ? Comment se sent-on quand on a toute une équipe à gérer ?

P.S.D. : Ça s'est fait assez rapidement. On a obtenu l'aide à la production légère. C'est une aide qui porte bien son nom. L'aide financière est légère. On est obligés de travailler différemment. On est obligé de revoir sa mécanique de tournage. Dès le départ, il n'y a jamais eu un scénario de fiction traditionnel. Le scénario faisait plutôt autour de 50 pages, ce qui est assez peu. C'étaient 24 jours de tournage, une équipe de sept personnes, ce qui est peu aussi. Ce n'était pas non plus bouleversant de passer à la fiction en termes de logistique. On était vraiment une petite famille autour des comédiens. C'est très agréable de travailler comme ça. On était dans un lieu touristique, on avait besoin de pouvoir s'adapter et d'être assez organiques dans notre façon de travailler. Le lac de l'Eau d'Heure au mois d'août, c’est bondé. Jusqu'à peu de temps avant le tournage, on a toujours remanié le scénario avec la production, car on n’avait pas beaucoup de budget. C'est quasi un décor unique. Ça se passe vraiment autour du lac et dans la maison familiale qu'on a trouvée à proximité du lac. C’est un huis clos estival.

 

C. : Avez-vous reçu beaucoup de soutien de la production pour l'écriture du scénario ?

P.S.D. : Oui, j'ai des producteurs très impliqués artistiquement et je suis très heureuse de travailler avec eux. Ils ont suivi mon travail, connaissent mes méthodes qu'ils aiment aussi. Je n'ai pas été formée à la réalisation, je suis formée à l'image. C'est difficile pour moi de me sentir légitime en tant que réalisatrice, surtout en fiction, car ce sont des codes différents. Travailler avec des images filmées m'a beaucoup aidée. Quasi toutes les semaines, tous les mois, j'envoyais des images à mon producteur. Je répétais certaines scènes. Sur base de ces répétitions, je modifiais les dialogues. Je voulais vraiment que les dialogues proviennent de leur bouche, de leur langage, que le film soit à l'image de leur génération. La mienne n'est pas la leur et je voulais vraiment que le film leur ressemble, qu'ils soient fiers de le porter.

 

C. : Les comédiens vont-ils vous accompagner à Cannes ?

P.S.D. : Ils vont m'accompagner à Cannes. C'est super agréable pour eux. Le tournage, c'était un peu des vacances pour nous. C'était épuisant vu la petitesse de l'équipe. Tout le monde avait plusieurs rôles, plusieurs casquettes et même les jeunes nous ont beaucoup aidés. Quand un ne tournait pas, il restait pour faire le clap, pour nous aider à ranger. Ils étaient très proactifs. D'aller à Cannes cette année, quasiment un an après, ça redonne cette impression de partir en vacances avec eux.

 

C. : La postproduction a donc été rapide ? 

P.S.D. : Le montage a été fait très vite. J'ai commencé à écrire au printemps 2021, on a tourné au printemps 2022 et le film a été terminé en avril 2023. Ça s'est vraiment fait sur trois années, il y avait une forme d'urgence et c'est comme ça que je travaille le mieux. Je n'étais pas certaine que les comédiens allaient me dire oui l'année suivante. Les jeunes grandissent. Purdey est majeure. Je ne savais pas où ils en seraient dans leur vie non plus. Quand ils m'ont dit oui, quand on a commencé à travailler, quand on a vu les premières images, on s'est dit qu'il fallait le faire, même si on n'avait pas tout l'argent. Cette précipitation assez saine a vraiment embarqué l'équipe dans le tournage.

 

C. : Comment vous sentez-vous avant votre départ pour Cannes ? 

P.S.D. : C'est délicat. C'est vraiment une course pour finir le film à temps, pour avoir une chance de pouvoir le présenter à Cannes, pour qu'il soit au moins vu par les comités de sélection. C'est beaucoup de pression, beaucoup de travail. La postproduction s'est passée de manière assez calme. On n'a pas eu de couacs, mais c'est fatigant. Je viens de le finir et dans un peu plus de quinze jours, je suis à Cannes. Il faut se reposer. On commence à parler du film, alors qu'on n'a pas encore pris l'habitude d'en parler. Je n'ai pas encore assez de recul sur le travail. Le film, je l'ai trop vu, je n'arrive plus à le regarder tellement je l'ai vu. Il faut laisser décanter.

 

C. : Vos producteurs croyaient vraiment en votre projet donc ?

P.S.D. : Mon producteur y croyait, mais on est quand même surpris d’être à Cannes. On était assez discrets. Comme on est passés par la production légère, on n'a pas fait beaucoup de bruit en finançant le film. J'espère qu'on aura une bonne surprise et je me réjouis que les gens voient le film.

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