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John Ford, Penser et rêver l'histoire

Publié le 15/03/2015 par Serge Meurant / Catégorie: Livre & Publication

Penser et écrire sur le cinéma de John Ford aujourd’hui, c’est continuer à explorer une œuvre monumentale qui s’étend sur cinq décennies pour en constater la puissance, en révéler des secrets non encore formulés. C’est s’interroger sur la guerre et la politique, l’Histoire et le temps, revoir ce que formellement cet art a d’incomparable et d’unique. L’ouvrage collectif que lui consacre aujourd’hui Yellow Now est remarquable, par la richesse des points de vue de ses auteurs, par la pertinence de leurs analyses.

John Ford, Penser et rêver l'histoireLa carrière de John Ford s’étend de 1917 à 1967. Elle débute au moment où l’Amérique, une première fois, entre en guerre et envoie des troupes en Europe. Elle se termine au moment où les premiers GI débarquent au Vietnam. Il aura aussi filmé les batailles de la Seconde Guerre mondiale.

Mais c’est d’abord le XIXe siècle, celui de la conquête de l’Ouest et du western qui apparaît comme fondateur de son cinéma. La guerre de Sécession et la rupture qu’elle manifeste entre le Sud, celui de Faulkner, et le Nord où naît un capitalisme industriel, sont au centre de son univers.

Cette guerre civile dont les horreurs hanteront longtemps la mémoire des générations futures trouve son rédempteur en la figure charismatique d’Abraham Lincoln. Il incarne des sentiments capables de transcender une réalité monstrueuse et de réconcilier ces univers antagonistes.

Entre l’Histoire et la légende, le cinéaste construit les lieux de récits où se confrontent les discours de ses héros. Ceux-ci se caractérisent par leur relation au pouvoir. Les univers dépeints par Ford sont souvent des microcosmes qui ne parviennent pas à être des utopies. L’exemple de l’armée en est le plus frappant. Les personnages se situent à la fois hors de la société tout en étant affectés par les contradictions qui la caractérisent : ethniques, de classes, de races, de générations. Le héros fait alors irruption pour en rétablir la stabilité et la justice. Il apparaît souvent au beau milieu d’un bal, ou à un autre moment de réunion des protagonistes.

Son histoire est celle d’un voyage de la ville au désert, comme déjà dans The Iron Horse (1924) où il s’agit de la construction du chemin de fer à travers de vastes étendues inhabitées d’où surgissent soudain les Indiens. Ceux-ci appartiennent au paysage désertique, comme les bisons, les montagnes et les tempêtes de neige. La traversée du désert, par le train, la diligence, ou à pied est un thème récurrent à la légende de ces héros fondateurs. Souvent ceux-ci se sont mis hors la loi, ils ont tué un homme. Mais ils assument leur culpabilité pour permettre le dépassement de l’état de violence.

Une autre migration touche au cœur de la réalité américaine, pendant les années de la Grande Dépression. John Steinbeck en décrit les causes et les effets dans Les raisins de la colère.

Elle s’oppose au récit mythique de la conquête de l’Ouest. Des milliers de petits agriculteurs sont contraints de quitter leur terre. Ils se heurtent à l’histoire de la concentration des moyens de production aux mains de quelques-uns.

Pour Ford, la puissance d’un peuple tient à sa capacité à intégrer les rapports de force dans une légende à laquelle croire. La disparition ou la déconstruction des mythes signifie, à ses yeux, la dégénérescence d’une société.

Bien des aspects encore du cinéma de John Ford sont abordés dans ce livre, toujours avec le même goût de la découverte, la même clarté. C’est une incitation à revisiter, avec un regard neuf, cette œuvre immense, dans son intégralité.

 

Penser et rêver l’histoire sous la direction de Jacques Déniel, Jean-François Rauger, Charles Tatum Jr.

Yellow Now / Côté cinéma

247 pages, 30 euros (France)

 

 

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