Le 20ième exemplaire de l'excellente collection Côté films éditée par Yellow Now, est consacré à L'Homme d'Aran de Robert Flaherty. Frédéric Sabouraud y a consacré 180 pages d’analyse illustrées par certains plans du film, des peintures, des dessins et une cartographie des îles d'Aran. Inis Mor, qui fait partie de l'archipel des trois îles d'Aran situées à 50 km à l'ouest de Galway, sur la côte irlandaise, est celle qui intéresse Robert Flaherty.
L'Homme d'Aran
Le 20ième exemplaire de l'excellente collection Côté films éditée par Yellow Now, est consacré à L'Homme d'Aran de Robert Flaherty. Frédéric Sabouraud y a consacré 180 pages d’analyse illustrées par certains plans du film, des peintures, des dessins et une cartographie des îles d'Aran. Inis Mor, qui fait partie de l'archipel des trois îles d'Aran situées à 50 km à l'ouest de Galway, sur la côte irlandaise, est celle qui intéresse Robert Flaherty.
Filmé entre 1932 et 1933, L'Homme d'Aran compte 70.000 mètres de pellicule qui, après montage, fera 2300 mètres (soit 74 minutes). Il s'agit d'une chronique des travaux et des jours d'une famille de pêcheurs confrontés à la furie des eaux. Les mains pêchent le requin à l'aide d'un harpon, l’île Inis Mor ressemble à une forteresse archaïque, avec de gros rochers et des limons dans les crevasses, que les vagues de la mer ne cessent de répandre. L'homme dans ses rapports avec la nature ou plutôt la nature comme vrai visage de l'homme. « L'homme aux prises avec la menace naturelle forme le plus puissant conflit du monde. Dans mes films, je tente d' évoquer ce conflit dans la vie quotidienne des êtres, en suivant une gradation dramatique, tout comme fait n'importe quel film. » (R.Flaherty in Film Weekly, cité par François Niney dans L'épreuve du réel à l'écran, éd. De Boeck/université). (1)
Dans ce livre particulièrement riche de Frédéric Sabouraud, l’île est envisagée comme étant un autre monde. (2) Filmée par Flaherty, l'île cinématographiée (un documentaire et une fiction) nous parle du temps dans un lieu hanté par les mythes : des débuts à la fin du temps. Un cinéma dans la durée nous permettant de découvrir une chronologie qui circule entre le passé et le présent, entre rêve et réalité. « Le cinéma, dans ce cas, écrit Sabouraud, nous aide à vivre avec l'absence de mythe commun, sans pour autant renvoyer à la grandeur des émotions archaïques et océaniques qui nous habitent ».
Le cinéma, dans la catharsis qu'elle nous offre – tel que l'entendait Aristote (3) – permet aux morts de redevenir vivants, aux « nappes du passé » de circuler dans les vagues d'un présent qui rebondit, de circuler dans une recomposition qui ne cesse de se transformer. Plus et mieux que dans le surplace de l'instantanéité. Le cinéma du présent et du passé, ajoute Sabouraud, « se définit comme moderne et archaïque, régressif et adulte. C'est sans doute pour cette raison que les effets numériques utilisés aujourd'hui dans le cinéma de fiction pour figurer les catastrophes, aussi séduisantes, impressionnantes et ressemblantes qu'elles puissent être, ne parviendront jamais à émouvoir dans un registre de l'ampleur de celui de L'Homme d'Aran ».
(1) Niney signale que si Flaherty privilégie la prise de vue, Dziga Vertov effectue ses choix lors du montage. Chez l'un il est linéaire, chez l'autre polyphonique.
(2) F.S. dit avoir été inspiré par Causes et raisons des îles désertes, in l'Ile déserte et autres textes de Gilles, Deleuze, éditions de Minuit.
(3) Processus d'élimination des passions se produisant chez le spectateur au théâtre, de nos jours au cinéma. Aristote : « Imitation faite par des personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère une purgation propre à pareilles émotions. » Poétique, (6, 1449b28) traduit du grec par J.Hardy, éditions Gallimard.
L'homme d'Aran de Robert Flaherty, de Frédéric Sabouraud, éditions Yellow Now, coll.Côté films 20