Cinergie.be

L'homme qui répare les femmes de Thierry Michel et Colette Braeckman

Publié le 01/04/2015 par Juliette Borel / Catégorie: Critique

Dans L’Homme qui répare les femmes, Thierry Michel et Colette Braeckman dressent le portrait du Dr Denis Mukwege. À travers son parcours, se dessine celui de nombreuses femmes et celui d’une lutte commune. À l’Est de la République démocratique du Congo, zone frontière avec le Rwanda et le Burundi, le viol s’inscrit en mal quasi endémique dans un pays lacéré par 20 ans de guerre. Tant et si bien que lui sont associés les appellations « centre mondial des viols » et « cœur des ténèbres. »

L'homme qui répare les femmes de Thierry Michel et Colette Braeckman

 

Au milieu du chaos, le Dr Mukwege mène son combat. La gynécologie, médecine de vie, se mue d’abord pour lui en chirurgie réparatrice, en opération de sauvetage des corps déchirés. Très vite, cela ne suffit plus. Deux événements déclencheurs vont pousser l’homme à agir au-delà du domaine purement médical : le massacre de l’ensemble de son personnel hospitalier et des malades alités puis, plus tard, la prise en charge d’une enfant issue d’un viol et à son tour victime de violences sexuelles. Il met alors en place des cellules de suivi psychologique et des cliniques juridiques pour soutenir ses patientes, tenter de stopper la spirale infernale. Et il entame un long processus de médiatisation internationale afin de rompre le silence et de condamner le viol, véritable « arme de guerre ». En effet, les attaques sont collectives, planifiées, et visent à briser familles et communautés afin de mettre la main sur les territoires. Car si la RDC est répertoriée parmi les pays les plus pauvres au monde, ses richesses minières sont convoitées et sans cesse pillées. Le viol ne s’impose pas comme pulsion et violence sexuelle mortifère mais comme destruction organisée des individus et des liens sociaux. Le corps des femmes est mutilé et pénétré par le matériel militaire, ou par les outils des rebelles. La démarcation entre bourreaux et victimes est parfois poreuse, le phénomène semble se répandre. Les viols civils prennent le relais sur les agressions de guerre, comme par contamination.


Le film progresse par paliers dans l’horreur. L’introduction, avec ses vues sur le paysage magnifique du Kivu, est brève. Elle nous jette sans transition dans la douleur d’un premier témoignage d’enfant. Gifle et confrontation immédiate. Ensuite, incestes : mères et fils, forcés par les militaires. Le spectateur n’est jamais ménagé, ni par les images, ni par les récits qui s’enchaînent. Et lorsque l’on croit avoir atteint le comble de l’atrocité, il vient toujours pire. Pourtant, tout est ici rapport de contraste. Les oppositions développées s’accordent au désordre global, à l’oscillation entre un fatalisme écrasant et des perspectives de changement envisageables. Au cauchemar porté par de nombreux plans se confronte la beauté d’une région à couper le souffle. Les mots qui ne peuvent dire toute l’ampleur de l’atteinte sont aussi libération de la parole, première étape d’un lent travail de reconstruction. Face à la terreur engendrée par cette fresque de l’inhumanité se dresse la force du collectif : ces femmes, après l’exclusion sociale, vont refonder une communauté et se passer le flambeau de l’engagement. Pouvoir de l’émancipation face à celui de l’oppression. Le tout résonne un peu comme l’affrontement du pot de terre contre le pot de fer. Les tribunaux enfin instaurés n’inquiètent pas les coupables hauts placés et les tortionnaires agissent encore en toute impunité. Et même si le dévouement du Dr Mukwege est reconnu et récompensé par plusieurs prix, les actions internationales s’enlisent. La vie du médecin est régulièrement menacée. Seule l’implication des femmes, leur énergie solidaire, est porteuse d’espoir. Il flotte pourtant un malaise dans la vénération qu’elles portent au courage de Denis Mukwege, surnommé « le sauveur », « le messie », « le papa ».


L'homme qui répare les femmes

 

La dissymétrie est frappante entre l’union d’un grand nombre de femmes, toute génération confondue, et les prédications d’un seul homme ; entre le multiple féminin et l’unique masculin. Mais le film se termine sur une forme de rééquilibrage avec l’instauration d’un mouvement V-Men, qui questionnent les hommes, le rôle qu’ils ont eu et les responsabilités qu’on attend qu’ils endossent à présent. Le débat est mixte et ouvre sur un champ des possibles.
Le labeur est encore vaste, la couture délicate et chirurgicale des corps sera aussi celle sociale et sociétale d’un pays vulnérable. Puisque le politique est défectueux et coupable, c’est aux populations divisées et meurtries d’affronter le trauma marqué dans les chairs et les âmes.

Tout à propos de: