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L'INSAS a 50 ans. Raymond Ravar retrace sa naissance

Raymond Ravar, premier directeur de l'INSAS, instigateur de sa création, se replonge dans ses souvenirs pour nous retracer la pré-histoire de cette immense aventure.

Tout a commencé à mes 18 ans. J'étais déjà mordu de théâtre, et je suis entré dans l'équipe théâtrale de l'ULB, dirigée par Henri Billen. J'y ai rencontré des gens remarquables, de 10 ans plus âgés que moi, ça a été une chance dans ma vie. Pour aller au Jeune Théâtre de l'ULB, j'ai dû m'inscrire à l'université. J'ai regardé ce qui me semblait le plus léger, et j'ai choisi les sciences économiques. Mes parents n'avaient pas les moyens de payer des études supérieures, et j'ai donc travaillé pendant la journée au Ministère. J'avais une triple vie, j'ai appris à la gérer, c'était formidable. Au bout de deux ans, j'ai voulu ouvrir mes horizons. Il y avait une troupe qui jouait pour des soirées théâtrales enregistrées au studio7, et j'ai passé l'audition. C'est à ce moment-là que j'ai choisi le nom « Ravar » pour mes activités artistiques, nom qui ne m’a plus quitté. Ma vie au sein du Jeune Théâtre était très active. En 1947, nous sommes allés au festival mondial de la Jeunesse à Prague. Nous y avons joué au Théâtre de l'armée, et nous avons fait de bouleversantes rencontres. J'ai pris goût à organiser des rencontres et des déplacements. On ne demandait que ça, quelqu'un qui fasse le secrétariat et qui organise des voyages.
J'ai alors décidé de passer l'examen de journaliste. J'avais déjà passé celui despeaker pour gagner un peu ma vie après mon service militaire, service que j'ai fait à la radio en faisant l’émission « La demi-heure du soldat ». Une demi-heure par jour, je présentais les disques que les militaires voulaient dédicacer à leurs chéries et leurs parents. J'ai enchaîné tout naturellement avec la télévision naissante, dite expérimentale. J'ai fait beaucoup de reportages, entre les années 50 et 59, moment où j'ai quitté la télévision. À la fin de cette période, a eu lieu l'Exposition 58. Il y avait beaucoup de sujets intéressants que nous avons écumés, j'y travaillais tous les jours. Je faisais souvent équipe avec Janine Lambotte, soit elle présentait et je réalisais, soit l'inverse. Dans ce tour des pavillons, il y avait un pavillon remarquable, le pavillon tchèque. On y donnait un spectacle tout aussi exceptionnel : Lanterna Magika (la lanterne magique), où pour la première fois, des essais de fusion cinéma, plateau et caméra se croisaient avec le regard direct de la scène aux spectateurs et du spectateur à la scène. C'était quelque chose d'absolumentmagique, des raccords se passaient dans le film et étaient poursuivis sur le plateau. Je me suis dit que je devais faire un documentaire là-dessus, mais l’équipe tchèque n'acceptait aucun documentaire, aucune télévision. J'ai vu le spectacle une dizaine de fois, et je suis entré en contact avec eux : ce n'était pas rien. Il s'agissait d'un grand metteur en scène tchèque de théâtre et de cinéma, un monsieur d'un certain âge du nom d’Alfred Radok. Il a fait un des films remarquables sur le Ghetto Terezinependant la guerre. Il était accompagné par une équipe de techniciens et d'artistes dont un jeune homme qui s'appelait Milos Forman. C'est comme ça que j'ai fait sa connaissance. Nous avons fait un reportage ensemble. C'était sur du 16mm, avec des bandes séparées à l'époque, fait par une équipe belge qui travaillait pour la télévision. J'avais donc obtenu le feu vert de la télévision qui avait quand même commencé par me dire que ce n'était pas possible, que les Tchèques refusaient à tout le monde. Mais ils ne m'ont pas refusé parce que j'ai fait équipe avec eux et que je suis arrivé comme un instrument. Ils ont eu une copie du film et ils étaient ravis. Ça m'a conduit en Tchécoslovaquie. J'ai passé trois semaines à Prague, c'était une clé étonnante car j'ai découvert la FAMU, la faculté du film. Cet institut était un des modèles pris sur la plus ancienne des écoles de cinéma, l'école russe. En 1917, Lénine pensait que de tous les arts du monde, le cinéma était le plus important, donc qu’il fallait un grand institut et de grands réalisateurs. S. M. Eisenstein et tous les autres y étaient. Ce modèle a été exporté, ou plutôt repris avec beaucoup de passion par l'école de Lödz, par l'école de Prague, et celle de Hongrie. C'était une rencontre exceptionnelle avec une série de très grands professionnels et avec des collègues que j'ai retrouvés plus tard dans des écoles de cinéma. C'est à ce moment-là que commence l'histoire pré-INSAS. J'ai renoué avec un de mes anciens professeurs, le professeur Doucy qui dirigeait l'Institut de Sociologie à l’ULB. Il était intéressé par mon travail à la télévision tout en me demandant si je ne pensais pas à faire quelque chose de plus sérieux. Je pensais effectivement à faire autre chose, à partir de ce que j'avais vécu en Tchécoslovaquie.


En 1955, j'ai eu l'occasion d'aller aux États-Unis. J'ai passé trois mois à visiter des écoles de théâtre et de télévision. C'était la télé qui m’intéressait, spécialement la télévision éducative. J'ai suivi un séminaire de quinze jours au Chicago Harbor University. C’est là qu’est née en moi l'envie de réaliser quelque chose en Belgique. Je pensais sincèrement à la télévision, aux côtés de jeunes gens qui étaient dans le théâtre comme Paul Anrieu, Paul Roland et Pierre Laroche. Ils voulaient s'investir dans le théâtre, moi aussi, mais au fond de moi, c'était aussi le film que je découvrais à l'Ecran du séminaire des arts, l'ancêtre de la Cinémathèque, sorte de ciné-club mensuel pour cinéphiles. C'était mon début de formation cinématographique. Avec ces collègues et amis, nous étions d'accord pour créer un lieu permanent d'enseignement du cinéma sans devoir toujours aller à Paris.
Au moment où je suis entré à l'université, on pouvait dire qu'il y avait des jeunes hommes en colère qui revendiquaient des lieux d'expression et de formation propres à la partie francophone de la Belgique. Ils ne voulaient plus être obligés de passer par Paris ou par d'autres écoles étrangères. C'est ce que j'ai commencé à développer en discutant avec le professeur Doucy. J'étais séduit par l'idée de faire quelque chose avec l'Institut de Sociologie de l'ULB, qui pourrait faire avancer un projet tel que celui-là. Nous sommes en 58, début 59, je m'ouvre de cette proposition avec mes collègues et ils sont enthousiastes, à part Pierre Laroche, chrétien catholique, à qui cela posait un problème d'éthique. Il nous a dit qu'il devait nous quitter parce qu'il avait un projet. Il faut revenir sur l'histoire. À l’époque, l'Institut St-Luc de Tournai, qui allait devenir l'IHECS, l'Institut des Hautes Etudes de Communication Sociale, commençait à former ses élèves à la pratique des médias, ce que j'ignorais, mais ce que savait Pierre Laroche, qui en avait été informé par son réseau. C'est ainsi que Pierre Laroche a démarré l'IAD avec quelques collègues et un élève comme Gérald Frydman, un gamin de 18 ans survolté - il l'est toujours - dans une espèce de réduit et des locaux à peine décents dans la rue du Midi.
Nous sommes début 59. J'avais un petit bureau dans la grande maison de l'Institut de Sociologie. J'ai eu, comme premier travail, d'être secrétaire d'une semaine sociale de la télévision à l'Institut de Sociologie, organisée par l'ancien directeur général de la RTB, Roger Clausse, également professeur de journalisme à l'ULB. Suite à cette semaine, il m'est apparu normal que si on devait enseigner le cinéma à l'université, ce serait à l'Institut de Sociologie. C'est à ce moment-là que j'ai fait la connaissance d'un homme extraordinaire, grâce au professeur Doucy, et non sans pouvoir, Pierre Seeldrayers. Il était secrétaire général du Ministère de l'instruction publique, bilingue à l'époque. En discutant, il est apparu que ça allait être difficile d'insérer un enseignement comme celui que nous portions au sein de l'Institut de Sociologie. Surtout que nous voulions inclure l'enseignement du théâtre et des acteurs. C'est ainsi que, après une longue nuit fructueuse, sont nés le mot et l'idée INSAS. La recommandation de Pierre Seeldrayers était de faire cela non pas dans l'enseignement universitaire, mais dans un enseignement supérieur qui relèverait du Ministère de l'instruction publique. C'est ainsi que l'Institut National Supérieur des Arts du Spectacle est né. « Arts du spectacle », notion qui englobe le théâtre et tout ce qui relève du spectacle et de la communication du spectacle, créée par le spectacle c'est-à-dire en ce compris le cinéma et la télévision, pour laquelle nous avons ajouté les techniques de diffusion. Ce qui était très important là-dedans, c'est que le côté concret, le côté manuel, le côté enseignement technique avec les outils, avec les instruments était capital dans notre vision. On a trouvé le titre, ne restait plus qu'à trouver les contenus. Malheureusement, cet homme extraordinaire est mort en 1961. Sur les conseils du Professeur Doucy, j'ai commencé à écrire des articles. Je me suis rendu à l'Institut de Filmologie de Paris, j'y ai rencontré un homme-clé pour moi, Edgar Morin, grâce à qui j'ai découvert le milieu dans lequel il travaillait; il y avait Gilbert Cohen-Seat qui avait écrit un livre monumental pour distinguer le film et le cinéma; le cinéma en tant que spectacle et le film en tant qu'œuvre.


En mai 1959, au Festival de Cannes, est projeté en section parallèle, Hiroshima mon amour. Ce film provoque la colère de certains, et porté au pinacle par d'autres. Je vois ce film, j'en suis stupéfait. Je le vois dix fois et je me dis, il faut faire quelque chose avec ce film, c'est tellement caractéristique, c'est tellement porteur de l'essence du cinéma à tous égards. Et c'est avec Hiroshima que je découvre l'œuvre de Resnais. L'idée naît de faire une étude du film Hiroshima mon amour.Un grand complice dans cette aventure a été la maison de distribution qui distribuait le film à Bruxelles,Cinévog.André Weis,le jeune fils du patron, nous a laissé projeter librement le film à l'insu de son père.
De ces projections, sort un bouquin qui apporte un témoignage deux ans après : Tu n'as rien vu à Hiroshima. Edgar Morin, qui connaissait très bien Argos Films et les dessous de ce qui avait donné lieu à la démarche d'Alain Resnais, sa rencontre avec Marguerite Duras, y a analysé la progression de la production du film. Pour la première fois dans notre pays et, de fait, à l'ULB, on pouvait admettre que des universitaires s'intéressent au cinéma. On a étudié thématiquement L'Amour, La Mort, La Mémoire, l'Oubli, L'image de la femme au cinéma et, ce qui m'intéressait le plus dans Hiroshima mon amour, le langage cinématographique. Robert Wangerméea analysé la musique du film mis dans un angle plus vaste pour parler de la musique et du cinéma. En plus de cela, il y a eu l'aspect philosophique, etc. De ce séminaire, c'est la rencontre avec André Delvaux qui a été capitale. Il était professeur de cinéma à l’Athénée Fernand Blum à Schaerbeek, il réalisait des films avec ses élèves, et avait fait un certain nombre de courts métrages. L'intervention de Delvaux dans le séminaire Hiroshima mon amoura été capitale dans le développement du projet qui commençait déjà à porter le nom INSAS et qui nous écarquillait les yeux l'un et l'autre. On ne se posait pas trop de questions, mais une confiance et une complicité commençaient à se développer. Nous avions l'un et l'autre dans l'esprit que le modèle était plutôt à l'Est, c'est-à-dire en Tchécoslovaquie par exemple. Puis, nous avons fait une rencontre qui s'est révélée importante dans la création de l'INSAS film.


Nous avions eu écho d'un très bon professeur et, par ailleurs, directeur de la photo de la quasi-totalité des courts métrages d'Alain Resnais, il s'agissait de Ghislain Cloquet. Un jour, nous nous sommes décidés à aller le voir, nous avons eu un rendez-vous très tôt le matin, au numéro 16 de la Villa Dupont, dans le 16ème arrondissement. Un jeune homme bourru, un peu plus jeune que nous, nous a accueillis. On a développé devant lui ce rêve, et, compte tenu de son expérience, on lui a demandé de nous aider à réfléchir à comment le réaliser. La rencontre fut extrêmement agréable et impressionnante. Le lendemain de notre rencontre chez lui, je suis rentré à Bruxelles, mais André est resté à Paris. Il est allé assister aux cours de Cloquetet là, les choses se sont développées de façon tout à fait incroyable. Une complicité est née entre eux, ce qui m'a donné l'assurance que dans ce fameux domaine du film et de la création éventuelle d'un enseignement du cinéma, le temps et l'expérience l'ont prouvé, c'était la bonne équipe.
André Delvaux avait un collègue, un dénommé
Jean Brismée, jeune professeur de math et de physique d'une exigence implacable avec les élèves. Delvaux et Brismée étaient des équipiers et des complices depuis un certain nombre d'années dans le développement de l'enseignement du cinéma.
Le trio Delvaux-Cloquet-Brismée, semblait - et le temps l'a prouvé - former une équipe capable de commencer à réfléchir totalement et d'inventer ce qui allait devenir l'INSAS.
Dans le domaine du théâtre, des choses analogues se sont passées, et le modèle le plus prégnant pour nous se trouvait en France, à Strasbourg, au Centre National Dramatique de l'Est, le premier théâtre hors de Paris. Dès le départ, et jusqu'à ce jour, il me semblait primordial de ne pas dissocier le cinéma des Arts de la scène. Comme j'avais fait beaucoup de radio, je m'étais bien rendu compte que nous avions terriblement besoin d'ingénieurs du son. Dans notre projet d'enseignement, on voulait former de bons techniciens, mais des techniciens avec une vue artistique. L'enseignement du son est né à l'INSAS en 63, et non en 62. Il a fallu attendre et négocier avec l'ingénieur en chef Georges Gourski.
À la fin de 59, le séminaire de Hiroshima mon amour a préparé tout cela. Ce fut un centre expérimental qui se tenait dans les écuries du Palais d'Egmont où André Delvaux a pris le cinéma, moi la télévision, et Paul Anrieu, le théâtre. C'était le travail de préparation d'une pédagogie et du choix des professeurs selon des objectifs avant tout esthétiques, culturels et socioculturels.
L'ensemble de ces personnes qui ont expérimenté pendant un an et demi, à l'arrière de ce Palais d'Egmont, allait former les premières pierres de la pédagogie de l'INSAS et de l’ISELP. C'était donc là un lieu de maturation, d'invention et de prise de connaissance. Chacun le savait et prenait ses responsabilités. C'est cela construire quelque chose. Cette démarche a rendu possible la préparation et la publication de la première brochure programme de l'INSAS. L'INSAS avait été créé officiellement par le Ministère de l'instruction publique au pouvoir, en même temps que le RITS, dirigé par Rudi Van Vlaenderen. 
Je dois parler aussi de Jean-Claude Batz. Je le connaissais du Jeune Théâtre. Il est arrivé dans le circuit du centre expérimental et, en parallèle, avec des vues sur le cinéma qui étaient absolument étonnantes et extraordinairement ambitieuses. Son travail se centrait sur l'économie générale du cinéma et sur la concurrence entre une façon de faire du cinéma européen et l'industrie du cinéma telle qu'elle existe aux Etats-Unis. C'était sa première publication, et Jean-Claude a rejoint notre équipe à l'INSAS au moment où se posait la question de faire entrer la production et l'industrie dans le curriculum de l'école, soit deux ou trois ans plus tard. C'est aussi lui qui est parvenu, dix ans après, à faire accepter que les écoles de cinéma aient le droit d'avoir des ateliers d'aide à la production, au même titre que le CBA. Jean-Claude a négocié ça avec une habilité extrême et une autorité évidente après un événement particulier : le succès du film de fin d'études Le rouge, le rouge de Jean-Jacques Andrien. Ce film a été tourné à l'école, avec les moyens de l'école, mais il a eu tellement de succès, que le Ministère a proposé à Jean-Jacques Andrien de le refaire en 35mm, ce qui lui a donné une dimension particulière. À partir de là, Jean-Claude a développé l'idée d’un atelier de réalisation propre aux écoles de cinéma. Certains films de fin d'études seraient donc choisis par une association créée en dehors de l'école et auxquelles le Ministère donnerait quelques fonds pour le développement de tel ou tel projet. 
Maintenant, il faudrait pouvoir dire ce qu'a été et ce qu'est devenu l'INSAS. Laisser la parole à deux générations : celle des profs et celle des premiers étudiants comme Boris Lehman ou Jacqueline Pierreux, la première des productrices indépendantes. 

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