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La Marea de Diego Martinez Vignatti

Publié le 12/09/2007 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Des bleus à l’âme

« En el pais del no me acuerdo
Doy tres pasitos y me pierdo »

Le premier long métrage de fiction du jeune Argentin Diego Martinez Vignatti est une suite logique et cohérente. Ancien directeur de la photographie sur les films d’Olivier Reygadas (notamment Japón et Batalla en el cielo), il partage avec lui cette idée d’un cinéma comme moyen d’expression et non comme un simple prétexte à raconter une histoire. Après Nosotros en 2002, documentaire sans fards ni paillettes sur les tangueros de Buenos Aires, retour en Argentine avec La Marea, sur un décor de fin du monde.

La Marea de Diego Martinez Vignatti

Il faut être dans des dispositions particulières pour voir La Marea de Diego Martinez Vignatti. Dire cela n’est pas une critique, bien au contraire, juste un avertissement. Les fanatiques de films d’action n’y trouveront pas leur compte, il va manquer de péripéties, d’hémoglobine, de courses de voiture aussi…La voiture s’est crashée, c’est sûr, première image du film où le visage de la comédienne apparaît derrière le pare-brise cassé. Il y a eu accident, pas besoin d’entendre le bruit de la tôle froissée pour le comprendre. À côté de la jeune femme, un homme immobile. Des cris annoncent qu’il y avait aussi un enfant. Absent du cadre déjà, on ne le retrouvera qu’un peu plus tard, trop tard, couché sur un lit d’hôpital. De l’état de mère et d’épouse, la jeune femme se retrouve face à elle-même, dans la pire des solitudes, celle hantée par les souvenirs.


La mort de ses proches est le point de départ dramatique et nostalgique du récit. L'essentiel ne réside pas dans la narration ni dans des événements précis, mais dans l'environnement diffus et atmosphérique. Cette mère qui ne l’est plus, choisit donc de fuir le monde et trouve refuge dans une cabane près de la mer, homonyme de son état perdu. Comme une métaphore du personnage, la mer se déploie dans sa splendeur et sa puissance, sa générosité et sa violence. Tout fait écho : la jeune femme ne s’appelle-t-elle pas Azul, qui signifie bleu en espagnol ?
Azul ne peut plus vivre et l’endroit hostile qui l’entoure va l’obliger à se battre pour survivre. On suit, au jour le jour, les gestes quotidiens et nécessaires : aller chercher de l’eau, couper du bois, faire du feu…se battre contre la soif, contre le sable, contre la mer et peut-être aussi contre l’espoir. Des miettes de vie. Autour, une tempête de silence.


Diego Martinez Vignatti ne donne pas dans le spectaculaire, il s’agit d’autre chose. Bien que diplômé en droit, le réalisateur n’aime pas les effets de manches. Son récit a moins la forme d’un roman que d’une chronique. Il déclare lui-même avoir travaillé sans véritable scénario, (une douzaine de pages jetées sur le papier) mais avec un désir profond d’interroger le monde. Ainsi, chacun de ses plans propose une ligne minimale, qui transforme le moindre geste, le moindre détail en une question. Son cinéma est un cinéma qui s’invente au fur et à mesure, s’achemine à pas lents pour trouver la sensation du réel. Tout comme Bresson (une filiation qu’il ne renie d’ailleurs pas), qui préconisait l’aplatissement des images, le réalisateur aplatit le drame, abandonnant tout pathos pour construire un effet de distanciation qui n’abolit pourtant pas l’empathie.

 

La Marea de Diego Martinez Vignatti

 

La présence intense et la sobriété rigoureuse de la comédienne Eugenia Ramirez Miori réussissent à exprimer toute la profondeur du personnage dans l'économie de la mise en scène et le relevé minutieux des gestes les plus ordinaires. Ses gestes minimalistes et instinctifs rappellent ceux d’un animal meurtri. La seule véritable compagnie qu’elle supportera sera d’ailleurs celle de cette chienne blessée, comme un double d’elle-même, qu’elle sauvera in extremis de la mort. Ce ne sera pas le pêcheur énigmatique en qui elle croira l’espace de quelques secondes et qui disparaîtra aussitôt, qui pourra la guérir. Que devient-il ? Nul ne le sait. Le refus du dispositif  dramatique classique fait toute la richesse du film. L’art de Vignatti n’est pas tant de montrer que de cacher. Elliptique, allergique à tout bavardage, en cela, son cinéma est plus proche du cinéma asiatique que du cinéma belge auquel nous sommes habitués. Le sens n’est pas donné, mais ouvert. Le spectateur, en attente, devra accepter de faire ce bout de chemin avec Azul. Comme elle, nous ne voyons qu’une parcelle de la réalité, avec elle nous entrons dans un autre rythme, un autre temps.

Un film errant, sombre et lumineux dans lequel on se laisse entraîner comme au rythme des marées. Une œuvre qui se découvre, se dévoile patiemment, avec soin et précision.

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