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La mémoire de Nelly, un film de Nicolas Wouters

Publié le 18/01/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Hors, contre et champ

Pendant le confinement, certaines personnes n’ont pas chômé. C’est le cas de l’atelier de production Graphoui qui débarque, en 2022, avec plein de films dans sa besace, courts, moyens et longs-métrages. Singuliers et inventifs, certains d’entre eux seront présentés le 2 février à Bozar. Parmi eux, le film de Nicolas Wouters, scénariste de bande-dessinée, qui signe avec La mémoire de Nelly, déjà présenté à l’IDFA, un portrait de famille ludique et tendre, faussement léger et tout à fait délicieux.

La mémoire de Nelly, un film de Nicolas Wouters

Un matin, Nicolas (le réalisateur et le narrateur donc) reçoit tout un tas de photographies de son enfance que sa mère lui dépose négligemment avec un petit mot sur une table. Intrigué, le voilà qui déballe tout ça sans bien savoir quoi en faire. Dans ces photos de lui enfant, quelque chose du temps passé se mesure désormais. Ainsi que de l’absence, des non-dits, des silences, que les photos viennent lui rappeler. Sa grand-mère, dont il était si proche, est morte. Sa tante a quitté la famille violemment… Que s’est-il passé ? Armé de sa caméra, de ciseaux, de la technique du stop motion, les mains de Nicolas déploient les photographies devant nous tandis qu’il s’interroge sur ce qu’il voit - ou plutôt sur ce qu’il ne voit pas – et tente de reconstruire l’itinéraire de ces silences pour s’en ressaisir. Grâce à son procédé d’animation qu’il applique à toute sa matière, selon une linéarité frontale qui consiste à déployer sous nos yeux les objets animés qui font progresser son enquête, le film avance, simple et inventif, ludique et joyeux malgré la gravité de son propos.

 

Car, très vite, La mémoire de Nelly vient questionner la vie de sa grand-mère, cette jeune femme débarquée au Congo dans les années 40 juste après son mariage. Sur toutes les photographies prises de cette époque, pas l’ombre (ou à peine) d’un Congolais. Mais où sont passés celles et ceux qui vivaient là ? Que signifie cette absence ? Quels furent les positionnements de ses grands-parents ? Et comment vit-on avec cet héritage familial aujourd’hui ? Interrogeant les photographies, scrutant des films de famille dont il nous montre quelques éclats et d’autres traces de l’époque, Nicolas poursuit sa quête de l’absence. Le film se construit ainsi tout entier sur ce que signifie regarder et écouter. Puisqu’il ne peut plus interroger Nelly, le réalisateur part chercher des témoignages de femmes qui auraient à peu près l’âge de sa grand-mère et qui ont vécu des vies similaires. Elles ne sont pas à l’écran, on les entend seulement raconter leur vie, leur obligation, leur condition sociale. Ce procédé d’écoute sur fond noir qui ne met jamais aucun corps directement à l’écran dans le film est d’une grande délicatesse. Personne n’est offert en pâture à nos regards et à nos jugements. Et grâce à ce procédé, ce n’est pas seulement un rapport à l’autre qui se dévoile (la plupart du temps aveugle) dans ces témoignages, c’est aussi une condition qui se fait entendre. Avec sa cohorte d’obligations, de chuchotements, de frustrations (et donc volontairement aveuglé, en quelque sorte)…

Sans jamais juger quiconque, Wouters va réussir à faire de la place au cœur de son film pour une autre parole que toute sa quête appelle. Et il sera joyeux lui aussi, parsemé de rires éclairants. À partir de ce hors-champ scruté longuement, il s’agissait donc de fabriquer un contre-champ. Non pas celui frontal d’une caméra qui se retourne, mais celui, délicat, d’une autre paire de main, d’une autre voix qui se raconte mise ainsi à égalité avec celle du réalisateur, ni contre, ni pour, sur le même plan. Alors, le film, en comblant les blancs (et oui) et les vides, finit pas être un cadeau du réalisateur à ceux qui l’ont précédé, comme un moment de rachat et de pardon. Il devient par là même le chemin qui métamorphose un regard d’enfant en regard d’adulte, quand les êtres qui nous ont précédés finissent par acquérir à nos yeux l’épaisseur de personne à part entière, en dehors de nos liens affectifs. Pour nous, spectateurs, mis dans la confidence de cette voix off qui se raconte, le film se fait le récit de cette métamorphose, apprentissage d’un regard et d’une écoute, de la place de l’autre, tous les autres.

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