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Le divorce de mes marrants de Romy Trajman et Anaïs Straumann-Lévy

Publié le 10/06/2021 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Vient le moment où on voudrait faire le point, un état des lieux, une plongée dans l’arbre généalogique et ses ramifications obscures. À 23 ans, la jeune réalisatrice Romy Trajman voudrait comprendre pourquoi ses parents ont divorcé 10 ans plus tôt. Avec ce documentaire musical, elle plonge dans le passé, elle frappe à la porte de ce père qu’elle n’a plus vu depuis lors, elle tente de répondre à des questions restées sans réponses. Avec son amie Anaïs Straumann-Lévy à la caméra, elle fait défiler tous les personnages d’une saga haute en couleurs, une épopée pleine de rebondissements, elle fouille, interroge, rit, pleure face à ces êtres pleins de contradictions.

Le divorce de mes marrants de Romy Trajman et Anaïs Straumann-Lévy

Dans la famille Trajman, il y a Romy, la fille aînée, fraîchement diplômée de l’école de cinéma Luc Besson, qui oscille entre musique et cinéma. Romy a grandi trop vite. En voulant panser les plaies, l’enfant s’est trop tôt transformée en adulte, une adulte fragile, aux fondations bancales, qui ne comprend pas trop quelle est sa place dans cette famille dysfonctionnelle.

Il y a Gary, le frère cadet, de 20 ans, qui a fui rapidement le foyer mère-fille, parfois anxiogène. Gary est plus calme que sa sœur, plus discret, et tente tant bien que mal de l’apaiser.

La mère, Marielle Sade, fondatrice de la marque « Lol », est celle qui a élevé seule sa fille durant ces 10 dernières années. Les deux femmes entretiennent une relation fusionnelle qui allie vie familiale et professionnelle puisque Marielle, musicienne, auteure, productrice, travaille aujourd’hui à Los Angeles sur un spectacle musical, autour du thème de la famille monoparentale, auquel sa fille participe. Cette mère, qui a déménagé 20 fois en 20 ans, a des allures de guerrière, elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut plus. Qui l’aime la suive.

La mère de Marielle, grand-mère de Romy, Denise Cohen est d’origine juive turque. Elle s’est réfugiée au Congo belge pour fuir la guerre et se convertit au catholicisme. Sa relation avec sa fille est conflictuelle, les souvenirs familiaux sont lourds à porter, à dire. Pour elle, il s’agit de ne jamais perdre la face.

Le père de Romy, Paul Trajman, est un « personnage ». Artiste peintre dans la mouvance Cobra, il a été diagnostiqué maniaco-dépressif depuis ses 18 ans. Il vit aujourd’hui à Bruxelles dans la maison familiale avec son père, Jakob Trajman, octogénaire, juif de Pologne enfermé dans les camps en Allemagne pendant 4 ans, et son frère, David, handicapé mental. Paul ne crée plus beaucoup. Il va et vient en fonction de ses états émotionnels, il gueule, il rit, il est au centre de son monde.

On ne choisit pas sa famille. Certaines sont mieux que d’autres. Bien que cela dépende toujours du point de vue adopté. Dans celle-ci, on sent la rancœur, les non-dits, les manipulations, les violences verbales. Romy n’est pas épargnée, même après toutes ces années. Venir retourner la fourmilière ne plaît pas à tout le monde. On sent la gêne, le désarroi, les mains qui se crispent. De l’extérieur, on a parfois envie de leur dire d’arrêter cette mascarade, de dire la vérité, de dévoiler le fond de leur pensée, le vrai. Mais, cela semble compromis. Le film apporte peu de réponses, les personnages, bornés, répétant sans cesse la même partition.

Le divorce de mes marrants n’est finalement pas si marrant. Le déterminisme social, les tares héréditaires se transmettent, les conflits intergénérationnels s’enlisent. Difficile de sortir la tête hors de l’eau. Pour raconter son histoire, la réalisatrice flirte avec la comédie musicale, le film étant entrecoupé de scènes chantées, pop, roses, acidulées. La voix d’une enfant perdue qui résonne tout au long de ce film familial qui interroge les filiations, les souvenirs douloureux de la Shoah, les non-dits, l’orgueil des personnages en présence. Même si le film se termine sur un consensus, on sent les fêlures jamais guéries, on entend les mots qui transpercent, laissant derrière eux, des plaies béantes.

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