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Le Mystère de la chambre jaune de Bruno Padolydès

Publié le 01/06/2003 par Philippe Elhem / Catégorie: Critique
Le Mystère de la chambre jaune de Bruno Padolydès

"Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat". Cette phrase, aussi poétique que mystérieuse appartient à l'inconscient de plusieurs générations. Tiré du Mystère de la chambre jaune, elle contient en elle tout le parfum inimitable d'une certaine littérature populaire née au 19e siècle et qui se prolongera jusqu'au coeur du 20e (Léo Malet et Nestor Burma par exemple). Le successeur d'Eugène Sue, de Paul Féval ou d'Emile Gaboriau, et, avant eux, d'Alexandre Dumas et du Victor Hugo des Misérables, se nomme, au début du siècle dernier, Gaston Leroux. Si son roman le plus célèbre, écrit en 1910, reste, en toute justice, Le Fantôme de l'Opéra, le personnage le plus connu de l'oeuvre tout entière (même si Chéri-Bibi, son héros hors-normes, lui fait un peu d'ombre) se nomme Rouletabille alias Joseph Joséphin - comme tous les grands feuilletonistes, l'écrivain avait, pour le moins, le génie des noms. Héros des deux premiers livres de Gaston Leroux, Le Mystère et sa suite, Le Parfum de la dame en noir, publiés respectivement en 1907 et en 1908, on retrouvera Rouletabille dans pas moins de cinq autres aventures dont la dernière, Rouletabille chez les Bohémiens, date de 1922 (1).

 

Rouletabille et le cinéma

Reporter et détective qui en annonce bien d'autres, Rouletabille passe au cinéma dès 1913. La première version du Mystère de la chambre jaune est signée Maurice Tourneur alors que Le Parfum de la dame en noir, qui le suivra en 1914, le sera par Emile Chautard.

 

Les plus célèbres adaptations des deux oeuvres au grand écran, sinon les plus célébrées, restent, toutefois, celles réalisées par Marcel L'Herbier en 1931 avec, dans le personnage de Rouletabille, Roland Toutain qui le reprendra l'année suivante dans Rouletabille aviateur d'Etienne Szekely (1). L'après guerre verra Serge Reggiani composer un Rouletabille qui emprunte à Maigret (il y fume la pipe !) dans des films de Henri Aisner (Le Mystère) 1949 et Louis Daquin (Le Parfum) en 1951, films où le personnage se voit fortement réactualisé. Avant de passer à la télévision, dans les années soixante, Rouletabille sera encore interprété par Jean Piat (Rouletabille joue et gagne et Rouletabille contre la dame de pique de Christian Chamborant en1947 et 1948).(2)  Le premier des Rouletabille du petit écran se nomme Claude Brasseur. Mais entre Le Mystère (Jean Kerchbron, 1965) et Le Parfum (Yves Boisset, 1966), le personnage change de... visage, pour emprunter celui de Philippe Ogouz qui continuera à interpréter le reporter dans les différents feuilletons qui suivront. Le choix de Ogouz, comédien de cabaret et de théâtre au visage enfantin a d'ailleurs le mérite de restituer à Rouletabille sa véritable jeunesse, puisque le personnage est censé ne pas être âgé de plus de... dix-huit ans quand Le Mystère de la chambre jaune commence à dérouler ses sortilèges.

 

De Hergé à Alain Resnais

En nous offrant sa version du Mystère de la chambre jaune et, bientôt, du Parfum de la dame en noir, Bruno Podalydès n'effectue nullement un pas en arrière à travers ce troisième long métrage, tout juste, peut-être, un repli sur lui-même à travers les passions et les influences auxquels il laisse libre cours dans ce film. Et en premier, celle qu'il conçoit pour l'univers d'Hergé et le personnage de Tintin - révélée ici même par son frère Denis. Elle trouve dans ce film le véhicule idéal pour s'exprimer. Car il y a, indiscutablement, du Tintin chez Rouletabille (ou, vu la chronologie, l'inverse). Le cinéaste tire esthétiquement l'histoire vers une "ligne claire" (déjà évidente dans son prédécesseur, le grinçant Liberté-Oléron) que sa mise en scène retranscrit admirablement à travers les couleurs franches et les lumières sans ombres du film. Le château des Stangerson rappelle celui du Moulinsart et le laboratoire du professeur Stangerson n'est pas sans évoquer celui qu'occupe, dans l'enceinte de Moulinsart, un autre professeur nommé Tournesol. La présence de Julos Beaucarne, dans le rôle de l'homme à tout faire entièrement dévoué à ses maîtres, avec son inénarrable accent wallon (?), renforce encore cette parenté, rappelant, dans son fonctionnement, Nestor, le personnage de majordome du capitaine Haddock.

 

En transfusant son admiration pour Tintin et l'univers d'Hergé dans le personnage de Rouletabille et le monde romanesque de Gaston Leroux, Bruno Podalydès se livre à une véritable transsubstantiation de l'œuvre de Leroux. Car il fait ici table rase de l'ambiance "Gothique" qui prédomine dans l'univers du romancier. Quoi que… Le personnage de Frédéric Larsan, le grand détective parisien auquel Pierre Arditi donne une inquiétante épaisseur, se voit, grande ombre portée, dessinée (le dessin, une fois de plus !) d'un trait pour le moins expressionniste. Et puis, Le Mystère de la chambre jaune revisité par Bruno Podalydès, est aussi l'hommage rendu par un encore jeune cinéaste à un grand ancien avec lequel il partage une certaine vision du cinéma (et donc du monde ?). Un cinéaste dont l'influence est repérable depuis Dieu seul le sait et s'est affirmée un peu plus encore avec le précité Liberté-Oléron. En fait, avec Le Mystère, Podalydès réalise un rêve longtemps caressé par Alain Resnais : celui de réaliser un film tiré d'un roman populaire de mystère et d'aventures (Arsène Lupin de Maurice Leblanc, par exemple) (3) ou d'une bande dessinée lue dans son enfance (Mandrake le magicien auquel le cinéaste faisait référence, il y a quarante ans, à travers les arbres "coniques" de la propriété où se passe une part importante de L'Année dernière à Marienbad !)

 

On retrouve dans le Mystère de la chambre jaune un peu de l'abstraction de Smoking/No Smoking ainsi que sa distribution entière avec Pierre Arditi, déjà cité, et Sabine Azéma, tous deux piliers indéfectibles du cinéma de Resnais depuis deux décennies. Claude Rich (le juge Marquet) qui joua dans Je t'aime, je t'aime et Michael Lonsdale (le professeur Stangerson) qui aurait pu figurer dans n'importe quel film de l'auteur de Hiroshima mon amour depuis toujours, viennent renforcer cette présence tutélaire du cinéaste Breton dans le film du Versaillais. Et puis, nouveau Rouletabille emballant, Denis Podalydès n'était-il pas lui-même de l'aventure de On connaît la chanson, dernier film en date d'Alain Resnais ? Alors, malgré quelques difficultés à parfaitement maîtriser puis contrebalancer l'aspect "parlé/raconté" de l'histoire, Le Mystère de la chambre jaune est un film qui, en ce qui nous concerne, nous parle de la plus belle manière. Bref, vivement la suite et son Parfum.

(1) Cela aura-t-il eu une influence quelconque sur le personnage de l'aviateur André Jurieux (qui possède effectivement un côté "Rouletabille") dans La Règle du jeu ? Toujours est-il que c'est à Toutain que Jean Renoir confiera le rôle.

(2) Deux romans "autorisée", écrits par Noré Brunel, (Rouletabille contre la dame de pique et Rouletabille joue et gagne), sont venues augmenter la bibliographie du personnage et furent, comme on l'a vu, tous deux adaptés au cinéma.

(3) Rêve également caressé par feu André Delvaux qui avait écrit un scénario original retraçant la jeunesse d'Arsène Lupin, personnage que devait interpréter le comédien John Dobrynine. 

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