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Le Pays de la fleur noire

Publié le 01/10/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Voyage au bout de l'enfer

Douce est l'herbe, que votre pied soit de plume ! La rivière est d'argent, les ombres sont fugitives. J.R.R.Tolkien, Bilbo le hobbit

 

 

Le Pays de la fleur noire

1er septembre 1997 Forêt de Soignes. Dix heures du mat.

Au croisement de la drève du Haras et du sentier de Grasdelle. Une clairière au milieu de laquelle trônent des dolmens. Autour de ce lieu qui ressemble à s'y méprendre à un site mégalithique, une équipe de cinéma installe les rails d'un travelling. Martine Lambrechts, la productrice du film, m'emmène via un sentier qui surplombe le site à la table de maquillage près de laquelle Chris Cornil (décoratrice), Stéphane Van de Capelle (costumes) et Corinne Fontaine (maquillage) s'occupent d'une trentaine de figurants de tous âges. J'observe le travail de Pénélope, la régisseuse, revêtue d'un Marcel gris à rayures qui passe la troupe en revue avant de les envoyer sur le plateau.
L'oeil collé à la caméra, une Moviecam MK1 Super America, É Figon, le réalisateur de La Malédiction du Docteur Schnitzel, parcourt l'arc de cercle de 180° du travelling, vérifie le cadre et le timing du plan. Face à lui, Galice, le sorcier-loup qu'interprète avec prestance Jean-Paul Dermont (un acteur dont la présence est trop rare à l'écran). Aux pieds de Galice, qui consacre leur amour, on distingue agenouillés Galoon et Zahaad, les deux héros du film. Tout autour d'eux les villageois mis en place par Griselda, l'assistante, habillés de costumes qui ressemblent aux personnages de Thorgal, font cercle. Le soleil se lève, des faisceaux de lumière illuminent la scène.

"Silence... on va tourner !", crie Griselda. Un nuage passe, la lumière s'obscurcit. Perturbé, le réalisateur attend le retour du soleil pour lancer le fatidique "Action !" "Pour Le Pays de la fleur noire, me confie le réalisateur qui ressemble au Gary Lockwood de Model Shop, j'ai essayé de ne pas faire un truc complètement décalé par rapport à ce que j'ai comme vision de la vie des gens de l'époque. Je voulais peindre un monde un peu sauvage tout en restant réaliste. Donc les gens sont sales et même un peu dégueus. Je ne les voulais pas flamboyants avec des armures nickel ou brillantes. Je ne suis même pas au Moyen Age, je suis dans un monde de barbares, de Celtes, de Gaulois, c'est un peu tout ça mélangé. Ces gens étaient proches des éléments. Ils aimaient la nature comme les Indiens d'Amérique du Nord. J'adore tout ce qui est celtique : la forêt, toute leur mythologie, Merlin l'enchanteur, etc. Il y a tout un imaginaire qu'on a perdu. On ne donne plus à un arbre ou à une roche un nom spécifique, je trouve ça dommage. Dans les villages, à l'époque, les gens se racontaient des histoires au coin du feu, pour se faire peur ou se faire rêver. Ils se réunissaient chez l'un, chez l'autre et la nuit tombée inventaient des récits. C'est ainsi que naissaient les légendes. Le petit conte que j'ai inventé n'est jamais qu'une prolongation de ces histoires-là."

Vendredi 5 septembre, 11 heures
Gîte rural de Montaigle. Commune de Onhaye. Martine Lambrechts m'emmène dans la Saab de la production sur les ruines d'un château médiéval qui surplombe la vallée de la Molignée. Dans les douves, la déco a installé l'antre de Lohaar. Au fond, on a installé le trône de ce démoniaque personnage. On a l'impression que son trône domine un lac de flammes. Une vision de l'enfer dont l'équipe essaye de maîtriser avec rigueur et prudence la délicate mise au point. Olivier Van Leer, l'artificier a placé des deux côtés de la salle des tuyaux de cuivre avec des embouts reliés à des bonbonnes de gaz qui se trouvent au fond de la salle. On a placé du gravier sur les embouts pour que les flammes se répartissent autour des cailloux. En dessous, une bâche noire mouillée donne l'impression de l'eau sombre d'un lac par un effet de réflexion. Stéphane Van De Capelle qui interprète Lohaar s'installe sur le trône (1). Delphine ouvre les bonbonnes de gaz. A l'aide d'une torche enflammée, Catherine allume les feux du lac et deux vasques qui sont placées de chaque côté du trône l'enveloppent de feu et de volutes de fumée. Un ventilateur permet à l'équipe de respirer mais non d'échapper à un mal de tête d'enfer. Olivier Merckx, l'opérateur Steadicam, avance, entouré de flammes, soutenu par Aldo Piscina vers le trône de Lohaar." Attention ! crie le réalisateur, ça c'est trop rapide, Olivier, tu dois marcher un peu plus lentement de manière à cadrer en gros plan Lohaar lorsqu'il lève la tête et a un regard face caméra ! Okay on recommence !" Delphine fait de grands signes. "Stop!", crie l'artificier qui, aidé de Catherine, se précipite pour éteindre un feu qui risque d'embraser toute la salle. Tout le monde transpire, tousse et cherche la sortie.

14 heures 30
Revenu à l'air libre, le réalisateur me confie: "J'ai écrit l'histoire au retour d'un long voyage. Elle est restée dans mon tiroir pendant quatre ans jusqu'au jour où l'ayant fait lire à Griselda, mon assistante, celle-ci a été emballée par le récit et m'a suggéré d'en faire un scénario que j'ai fait lire à différentes personnes. Elles ont eu la même réaction d'enthousiasme y compris Martine Lambrechts qui a décidé de le co-produire Au départ, j'avais 270 plans, je n'en ai plus que 60. J'ai sacrifié pas mal de scènes. Il y avait des Elfes, des fées, des licornes, un ours mais on n'a pas le budget pour faire plus long. J'ai eu très peur de rater mon coup en décidant de faire ce film parce qu'il est difficile d'être crédible lorsqu'on n'a peu de moyens, or dans ce type de film tout doit être parfait. On n'a reçu aucune aide au niveau Communautaire. Mais j'ai eu de la chance, j'ai rencontré des gens incroyables au niveau de la déco, des maquillages, des costumes, etc. Stéphane Van De Capelle qui est aussi co-producteur, Rudi Kris de BFC 2). Il fallait trouver des décors et Griselda m'a montré l'Archéosite d'Aubechies, Martine les ruines de Montaigle qui sont un peu sauvages : on se croirait en Ecosse et on a découvert le site mégalithique de la forêt de Soignes. On est dans un vrai film avec des décors superbes, restait à trouver les gens. Toute l'équipe est en participation. Ils ont sacrifié dix à douze jours de vacances pour m'aider à concrétiser mon petit délire !"


(1) Le trône de Lohaar a été conçu et réalisé par Manu Gomez dont la fascination pour le monde satanique ne date pas d'hier (cf. Peccato).
(2) Pendant plus de trente ans on a essayé d'adapter les fameux objectifs Leitz qui équipent le boîtier Leica sur diverses caméras sans obtenir de résultats probants. Il y a un an, Nico Cladakis a réussi à adapter la came d'une Arriflex à la gamme des Leitz. Aujourd'hui, Rudi Kris, le patron de BFC, propose à la location une Arriflex 3Mak 2 avec des objectifs Leitz de la série R, du 25mm au 180mm (dont le fabuleux Elmarit 60mm-macro). Une première européenne.

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