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Le traitement de Hans Herbots - Geert Van Rampelberg

Publié le 15/02/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

De Behandeling (le Traitement) est un thriller sombre et angoissant réalisé par Hans Herbots racontant le combat de Nick Cafmeyer, inspecteur de police, enquêtant sur une affaire de pédophilie en série. Ce personnage complexe se bat aussi contre les démons de son enfance. Son petit frère ayant disparu dans des circonstances similaires. À 35 ans, son passé refait donc surface et se mêle au présent. Un rôle intense et brillamment interprété par Geert Van Rampelberg.

Cinergie : De Behandeling est une fiction au sujet délicat qui s'ancre dans une certaine réalité belge encore présente dans la mémoire collective.
Geert Van Rampelberg : Oui, c'est tout à fait vrai. Pour nous, Belges, nous portons cette blessure. Mais ce film est clairement une fiction, il ne fait pas référence au réel. C'est une adaptation du roman anglais de Mo Hayder dont l'histoire se situait à Londres. Pour le film, elle a été transposée à Anvers. C'est un sujet avec lequel nous devons être prudents, nous le savions dès le départ. Mais, l'histoire est tellement forte, qu'on sent que ce n'est pas la réalité, c'est un thriller.

 

C.: Comment est-ce que tu t'es préparé pour ce rôle?
G.V. R. : J'ai rencontré des psychologues spécialisés, j'ai eu beaucoup d'informations de la brigade des mœurs de la police d'Anvers, et puis, je me suis aussi aidé du roman de Mo Hayder, en plus du scénario. Ce sont deux tomes de 400 pages, dans lesquels mon personnage est analysé dans ses moindres pensées, ses gestes et ses réflexions. J'ai pu entrer dans la tête du personnage et comprendre vraiment ce qu'il ressent, ce qu'il entend, etc. On ne reçoit jamais autant de précisions dans un scénario. Et puis, j'ai revu certains films pour m'imprégner de leur atmosphère, comme Seven, le Silence des agneaux, Mystic River. On est dans du lourd, du très noir, avec des personnages mauvais et des histoires sans espoir. C'est un personnage très inquiet, quasi hyperactif. J'ai fait beaucoup de sport et un bon régime pour être en forme avant le tournage. Il fallait avoir un physique solide, parce que il n'y a pas un seul moment où le personnage dort ou mange à l'aise, ou fait quelque chose de relaxant. Nick est tout le temps en tension. Quand il dort, c'est dans sa voiture ou sur un banc à l'hôpital. Quand il mange, c'est une pomme ou un chocolat, entre deux actions...

 

C. : Il est surtout très angoissé. Vingt ou vingt-cinq ans plus tard, il culpabilise encore de la disparition de son frère. Il entretient une relation très étrange avec son voisin. Est-ce que ce voisin est réel, ou est-ce qu'il est le fruit de son imagination ?
G.V. R. : Le voisin existe vraiment mais, parfois, c'est une apparition. Nick Cafmeyer est resté dans sa maison d'enfance, la seule référence de son frère, pour être sûr que s'il revient, il puisse trouver quelqu'un qu'il connaît. Et Nick est toujours en alerte, attentif au moindre détail qui pourrait l'aider à le retrouver. Nick n'a pas de vie en dehors de son travail d'inspecteur. 

 

C. : Tu nous as raconté que tu t'es blessé pendant le tournage.
G.V. R. : Le tournage a été très intense pour tout le monde. Nous devions être très prudents et toutes les scènes à plusieurs acteurs étaient toujours tendues.
Nous avons eu des jours avec beaucoup de scènes d'action et des choses parfois dangereuses à faire. Mais je ne me suis pas blessé lors d'une de ces scènes ! L'accident a eu lieu lors de la scène où je cours près du chemin de fer, quand le train arrive. Il y avait un fil barbelé à 30 centimètres du sol, je devais courir assez vite sur le bord de la voie, ma chaussure s'est accrochée dans le fil barbelé, et ma hanche s'est déboîtée. Il restait quatre jours avant la fin du tournage. Nous avons dû les reprendre trois semaines plus tard, après ma convalescence.
Je me suis rendu compte que le corps a sa mémoire. J'étais crispé à l'idée de jouer cette scène. Du coup, ma colère et ma haine étaient tellement fortes, décuplées par la rage que j'ai dû mettre pour dépasser mon angoisse, qu'il n'a fallu qu'une seule prise. J'étais tellement incapable de la tourner deux fois qu'il fallait qu'elle soit bonne !

Il n'y a pas de pause dans cette histoire, il n'y a pas un seul moment de respiration. À la fin du tournage, j'étais vraiment très fatigué, mais satisfait. J'avais vraiment le sentiment que nous avions tous fait du bon travail.

 

Geert van Rampelberg © Lucie Laffineur/Cinergie

 

C. : Il n'y a pas beaucoup de luminosité dans la photographie de ce film.
G.V. R. : Non, tout est filmé entre chien et loup, les couleurs sont dans les tons bleus, on y retrouve une atmosphère scandinave. La photographie du film est vraiment magnifique, c'est le travail du directeur photo Franck Van den Eeden,c'est un véritable peintre.

 

C. : Tu vas bientôt entamer un autre tournage tout aussi physique pour La Tierra roja de Diego Martinez Vignatti. Tu as trouvé ton style d'acteur physique ?
G.V. R. : Non, pas nécessairement. Je cherche avant tout de belles histoires. Et pour La Tierra roja, la catastrophe que l'homme est en train de provoquer dans le nord de l'Argentine est une histoire importante à raconter. Je vais vivre plus de deux mois en pleine jungle : c'est une aventure extraordinaire. C'est un rôle qui demande aussi une grande préparation. Je dois apprendre l'espagnol pour pouvoir jouer de façon naturelle. C'est pour cela que je veux partir plus tôt pour vivre quelques semaines en totale immersion, que la langue m'habite véritablement.

 

C. : Où as-tu fait tes études de théâtre ?
G.V. R. : À Anvers, au studio Herman Teirlinck.

 

C. : Comment t'es venue l'idée de devenir comédien ?
G.V. R. : Mes parents étaient passionnés de théâtre, et mes grands-parents jouaient des opérettes dans des petits villages. Vers l'âge de 10 ans, il y avait un tournage dans un village à côté de chez moi, c'était pour le film Le Sacrement de Hugo Claus, et j'ai joué un rôle de figuration dans une église. C'est à ce moment-là que j'ai vu ce qu'était un tournage, et c'est quelque chose qui m'a tout de suite intéressé. Puis, deux ou trois ans plus tard, j'ai vu la pièce Roméo et Juliette de Dirk Tanghe au KVS à Bruxelles, et c'était incroyable à voir parce que c'était une fête sur scène, c'était très rock'n roll et ça ne ressemblait en rien à du théâtre classique. Ce sont les deux choses qui m'ont donné l'envie de faire du théâtre, et par la suite du cinéma.

Geert van Rampelberg © Lucie Laffineur/Cinergie

 

C. : Il n'y a pas un public immense en Flandre. Il faut être très motivé pour vouloir faire du théâtre son métier.
G.V. R. : C'est vrai, le théâtre flamand est quelque chose de très spécial. Il n'y a pas la même tradition que dans le paysage francophone ou anglophone. Nous n'avons pas un diktat précis quant à la manière de jouer, ou par rapport aux choix des pièces. Nous avons plus de liberté, et donc un champ de recherche plus grand parce que nous n'avons pas le poids de la tradition sur nos épaules. Il y a beaucoup de petites compagnies formées par des jeunes qui se lancent et qui font parfois des pièces sans metteur en scène, c'est de l'énergie pure de jeunes qui veulent s'exprimer et partager une histoire avec un public. Il n'y a pas un style flamand défini, nous avons une production théâtrale très diverse et éclectique.

 

C. : Tu penses arrêter le théâtre pour le cinéma ?
G.V. R. : J'ai une compagnie de théâtre qui s'appelle Olympique Dramatique que nous avons créée avec des amis, et nous ressentons tous le besoin de faire des pièces. J'aime pouvoir alterner les rythmes du cinéma et du théâtre. Au cinéma, tu travailles le personnage et le rôle, mais avec notre troupe - comme nous n'avons pas de metteur en scène -, nous devons nous occuper de tout : la traduction, les décors, les lumières etc. Il ne s'agit plus simplement de jouer. Le théâtre permet d'avoir une préparation de trois ou quatre mois pendant lesquels tu ne fais que parler de l'histoire, chercher des choses qui t'inspirent... C'est très rare d'avoir autant de temps de préparation au cinéma. Mais c'est agréable, après 4 ou 5 mois de théâtre, de retrouver le rythme plus rapide du cinéma. 
Quand tu joues une scène et qu'elle est bonne, c'est fini, tu ne la rejoues plus jamais. Au théâtre, tu joues la même histoire tous les soirs, mais tu peux chaque fois apporter quelque chose de différent au personnage. Et puis, tu joues toute l'histoire en entier tous les jours. Au cinéma, l'histoire est découpée et désordonnée chronologiquement. Et jouer devant des gens vivants, qui sont là, présents, en face de toi, c'est un autre rapport qu'au cinéma, ton jeu est différent car tu peux jouer directement avec le public. Ce sont comme des amis qui sont dans la salle, et tu peux interagir avec eux, tu as besoin de sentir que le public soutient ton personnage.

 

C. : Tu as dû faire attention à ne pas avoir des réflexes du jeu théâtral quand tu es passé devant la caméra?
G.V. R. : Oui, la façon de jouer est très différente. Au cinéma, on joue de façon plus discrète, tout se passe au travers de mimiques, des expressions du visage, de l’intonation etc. On rentre dans une autre réalité où il n'y a pas les mêmes conventions. Le public sait que c'est du théâtre, mais il va quand même croire à l'histoire telle que tu la racontes. Par exemple, si je monte sur scène avec une jupe et une barbe et que je dis que je suis une femme, tout le monde va l'accepter et le croire, personne ne va dire : « Il a une barbe, ça ne peut pas être une femme ! » Par contre, si je fais la même chose au cinéma, (rires) c'est un tout autre personnage, c'est un transsexuel ou quelqu'un qui est libre peut-être, je ne sais pas… mais c'est tout à fait autre chose, les conventions ne sont pas du tout les mêmes. (rires)

 

C. : Chaque comédien a son registre, quel est le tien, qu'est-ce que tu préfères jouer ?
G.V. R. : J'aime bien les personnages très profonds. J'aime jouer des âmes perdues, des gens qui ont des problèmes. Mais au théâtre, j'adore jouer dans des comédies, même si j’aimerais aussi faire ça au cinéma ! L'humour, c'est du rythme. C'est quelque chose de très délicat et de très difficile, mais quand le rythme fonctionne, c'est vraiment très agréable.

 

C. : Tu as également joué dans beaucoup de séries télévisées. Le cinéma flamand fonctionne beaucoup avec des acteurs venant des séries que le public connaît déjà. Penses-tu que le succès actuel du cinéma flamand est dû à cela ?
G.V. R. : C'est assez nouveau, pour nous, le succès du cinéma flamand. Actuellement, quatre films flamands sont en salles et il y a du public. Ce phénomène est également présent au théâtre, quand il y a des pièces avec des acteurs ayant joué dans des séries télévisées, le public est beaucoup plus nombreux. Les gens aiment voir des têtes qu'ils connaissent. Les séries diffusées du côté francophone sont surtout des séries françaises et c'est dommage parce que pour les comédiens et les réalisateurs, cela peut être un vrai tremplin. Ce serait intéressant qu'il y ait plus de créations mixtes entre Flamands et Wallons.

 

Geert van Rampelberg © Lucie Laffineur/Cinergie

 

C. : Parle-nous de l'expérience de The Broken Circle Breakdown qui est une pièce de théâtre adaptée au cinéma.
G.V. R. : C'est Johan Heldenbergh qui a écrit cette pièce qui a eu un grand succès en Flandre : le public était bouleversé en sortant de la salle. L'histoire est si belle et si triste. Puis, Félix Van Groeningen a adapté cette pièce au cinéma et c'est aussi un immense succès puisque le film a même été nominé aux Oscars ! Je trouve cela incroyable pour Johan d'avoir écrit une pièce et de voir maintenant le succès international que son histoire rencontre.

 

C. : Est-ce que le fait d'écrire pour le théâtre t'as donné envie d'écrire pour le cinéma?
G.V. R. : J'ai envie d'inventer une histoire à plusieurs. Je ne suis pas quelqu'un qui va écrire tout seul, je n'ai pas une belle plume. Au théâtre, nous travaillons souvent à partir d'une histoire déjà existante que nous transformons où qui nous inspire pour écrire autre chose et j'aime beaucoup cette façon de faire.
Avec des amis et des acteurs, nous avons quelques idées pour le cinéma, mais on verra... Si nous ne le faisons pas, nous en aurons rêvé, et c'est bien aussi. (rires)
Si tu veux écrire quelque chose qui soit vraiment bon, je pense qu'il faut arrêter de travailler pendant un an et demi ou deux et ne se consacrer qu'à ça. Mais c'est difficile parce qu'il faut continuer à vivre. La vie est courte, mais aussi très longue. Je prendrai peut-être ce temps quand j'aurai 50 ou 60 ans !

 

C. : As-tu l'impression que tu te trouves à un moment important de ta carrière ?
G.V. R. : Oui, c'est un moment où ça bouge, on me propose beaucoup de rôles. Mais ce n'est pas acquis définitivement. Peut-être que ça va disparaître puis revenir ou ne jamais revenir, on ne sait pas. Je veux juste travailler avec des gens qui m'intéressent sur de belles histoires. M'amuser et avoir le sentiment que je fais quelque chose qui a de la valeur.
Mais c'est vrai qu'actuellement on me propose beaucoup de choses dans la même veine que celui-ci, très intense. Jusqu'ici, j'avais toujours joué de petits rôles dans les films. Il a fallu que je passe par là pour apprendre comment travailler. C'est un travail qui doit s'apprendre sur le terrain en faisant des fautes, en observant et en comprenant la technique pour apprendre ce métier.

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