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Les Démoniaques de Jean Rollin

Publié le 24/03/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Sur la plage abandonnées

 

Chaque année, le Festival Offscreen propose une séance Cinéma Bis Belge, faisant la part belle à l’horreur et à l’érotisme, avec des copies 35 mm rarissimes. Cette année, pour coller au thème de la plage que l’on retrouvait dans les autres modules de la programmation (la séance matinée de Blue Hawaii fut un succès !), la société Général Films devait sortir de ses cartons l’un des films les plus appréciés de Jean Rollin, Les Démoniaques, qui, au cours de son exploitation, fut parfois titré Deux Vierges pour Satan, Les Diablesses ou encore Tina, la Naufrageuse Perverse. La copie que le festival devait nous présenter (avant que ce scrogneugneu de coronavirus ne vienne jouer les rabat-joie) dormait dans les archives de cette société dirigée par Jean et Pierre Quérut depuis le début des années 70 jusqu’au début des années 80 : une maison de production spécialisée, à l’instar d’Eurociné en France, dans les coproductions de films de série B, voire Z… ou carrément X ! Offscreen étant annulé depuis le 14 mars, c’est donc un vieux DVD que nous avons regardé.

Les Démoniaques de Jean RollinRapide rappel version Wikipédia pour ceux et celles qui ne sont pas encore familiarisés avec Jean Rollin (1938-2010). Artiste culte par excellence, le réalisateur, producteur et scénariste était l'un des rares cinéastes français à s'être illustré essentiellement dans le fantastique. Son œuvre traite principalement de la figure du vampire et se distingue par un rythme lent et éthéré, ainsi que par un goût prononcé pour l’imagerie surréaliste et pour l’érotisme. Dès 1974, l’homme eut également une longue carrière alimentaire dans le cinéma pornographique, la plupart de ses longs métrages – traditionnels ou classés X – étant réalisés avec la même équipe et une troupe d’acteurs fidèles. Les Démoniaques est son huitième opus. Citons parmi ses autres titres le Viol du Vampire, la Vampire Nue, Vierges et Vampires, le Frisson des Vampires, la Nuit des Étoiles Filantes, Lèvres de Sang, les Raisins de la Mort, Fascination, la Nuit des Traquées et les Deux Orphelines Vampires… 

 

Comme souvent chez Rollin, le récit des Démoniaques ne s’embarrasse guère de subtilité. Pas de vampires cette fois, mais deux mystérieuses goules fantomatiques. Une nuit, quatre naufrageurs : le « Capitaine » (John Rico), sa maîtresse, la cruelle et voluptueuse Tina (Joëlle Cœur) et deux acolytes (Willy Braque et Paul Bisciglia) attirent un bateau à l'aide de lanternes afin de le faire échouer sur des récifs. Alors que les criminels se partagent le butin, deux jeunes filles blondes en chemises de nuit (Lieva Lone et Patricia Hermenier) surgissent sur la plage, épuisées. Elles sont violées puis laissées pour mortes par les malfrats. Plus tard, dans une taverne/maison close, le « Capitaine » voit apparaître ses victimes. Il croit à une hallucination due à l’alcool, mais un quidam lui confirme les avoir aperçues près de la plage. Pour la populace superstitieuse, la présence de ces esprits errants est annonciatrice d’un grand malheur. Dans les ruines maudites d’une abbaye, les deux jeunes filles rencontrent un personnage aux pouvoirs surnaturels, un démon dont les villageois redoutent le réveil… nul autre que Satan en personne ! Ce dernier propose aux vengeresses de conclure un pacte…

 

Les Démoniaques de Jean RollinAvec ses magnifiques paysages désertiques de bord de mer, les Démoniaques est une oeuvre atmosphérique et entêtante à souhait, d’une maîtrise visuelle stupéfiante, venant rappeler à qui en doutait encore que Jean Rollin n’a pas usurpé sa réputation d’esthète. On se souviendra longtemps des décors : un cimetière de navires, mais surtout l’abbaye abandonnée de Villers-la-Ville, dans laquelle, si l’on ne fait pas attention, les statues prennent vie pour punir les malveillants. Un décor réel magnifié par la caméra du chef-opérateur Jean-Jacques Renon. Mentionnons également cette scène finale inoubliable, tournée sur la plage et dans la mer glaciale, avec deux actrices particulièrement courageuses, entièrement nues, jouant les mortes lors d’un plan-séquence qu’elles ont dû trouver interminable, attendant patiemment que les vagues viennent ensevelir leurs corps meurtris. 

Adepte du système D, habitué des budgets ridicules, Rollin est un esthète avant tout. Nul n’étant prophète en son pays, la critique française lui a reproché durant toute sa vie de mettre son talent pictural (indéniable) au service de scénarios de série Z, de productions fauchées et d’acteurs lamentables, surjouant (mal) des dialogues involontairement hilarants. Ce n’est sans doute pas un hasard si les vingt premières minutes du film sont totalement muettes… Certes, difficile de ne pas s’esclaffer devant la prestation de Miletic Zivomir, un Satan de carnaval maquillé à la truelle. Certes, les looooooongues scènes de sexe et de nudité gratuite ont tendance à faire du remplissage. Certes, avec seulement quatre décors (la plage, le cimetière de navires, la taverne et l’abbaye), le film s’avère terriblement répétitif. Certes… 

 

Les Démoniaques de Jean RollinMais peu importe, puisque ces « tares » qui valurent au réalisateur de n’être réellement pris au sérieux dans les pays francophones qu’après sa mort, font aujourd’hui tout le charme de son cinéma poétique, suranné et maladroit. Les Démoniaques nous rappelle que Rollin faisait partie de ces rares cinéastes dont on peut identifier la patte inimitable à la vision d’une seule image de l’un de ses nombreux films. Avec sa poésie macabre, son érotisme troublant et son caractère globalement étrange, les Démoniaques représente le dessus du panier d’une filmographie inégale, mais, à l’exception de l’œuvre de Jess Franco, homologue espagnol de Rollin, pratiquement unique en son genre !

 

(Remerciements spéciaux à Vanessa Morgan, du Festival Offscreen)

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