Les yeux sans visage de Georges Franju
Avec Les yeux sans visage (1960), Georges Franju, co-fondateur avec Henri Langlois de la Cinémathèque française, nous offre un chef-d'oeuvre du cinéma fantastique français. Sortie en salles en 1960, cette fable poétique, d'un onirisme surréaliste, est filmée par Eugen Schüfftan. Ce chef opérateur du cinéma expressionniste allemand (Metropolis de Fritz Lang) se réfugie en France, après l'arrivée au pouvoir des Nazis. Il va travailler avec Marcel Carné, notamment pour Quai des brumes.
Les yeux sans visage est un film sur l'innocence martyrisée par un chirurgien célèbre (Pierre Brasseur) qui désire sauver le visage de sa fille Christiane (Edith Scob), défigurée dans un accident de voiture dont il est responsable. Installée dans un laboratoire, elle ne cesse de subir greffe après greffe à partir du visage de jeunes filles qu'attire Louise, (Alida Valli) l'assistante du professeur Genestier. Christiane finit par se révolter contre les pratiques de son père.
Le livre de Pascale Risterucci nous montre plein d'images du film comme toujours dans cette belle collection éditée par Yellow Now, et nous explique que Franju n'est pas seulement un cinéaste de la suggestion comme Jacques Tourneur (La Féline), mais un cinéaste de l'affrontement et du dévoilement. Elle écrit que le film a épouvanté les spectateurs anglais lors de sa présentation au Festival d’Edimbourg. On lit alors dans la presse british : « Cet écoeurant petit spectacle» ou «La France se déshonore ». L'épisode amusait beaucoup Franju qui le racontait en jubilant. «Comme déjà dans Le sang des bêtes, Georges Franju touche à la limite de la monstration cinématographique, écrit par Risterucci, il se tient périlleusement à la frontière de l'insupportable sans y tomber : le travelling avant sur le visage décollé se perd dans un fondu au noir». Montrer ce qui est insupportable à regarder comme l'oeil tranché d'Un chien andalou de Luis Bunuel, chef-d'oeuvre du cinéma surréaliste. L'auteur du livre explore les mystères du film, et souligne, entre autres choses, le côté révolté du réalisateur. À la fabrication d'un ordre social à partir d'universaux, le réalisateur surréaliste préfère les variations d'une singularité qui évite de dicter les conduites. « J'aime l'ordre » dit le professeur Genestier à ses pairs, les gens riches et leurs supports cléricaux. « L'ordre social, souligne Pascale Risterucci, où le professeur excelle, recèle un ordre domestique autre, mais aussi rigide». Domestique parce que les femmes s'y épuisent. Les jeunes femmes et sa fille en particulier sont les victimes de ses recherches intempestives sur la nature des tissus vivants du corps humain. Des chairs examinées au scalpel, comme de la chair à canon ou les expériences dans les camps d'extermination. Ajoutons que le docteur Genestier qui se prend pour Dieu conduit une DS Citroën, écrit Pascale Risterucci, dans ce petit livre passionnant. Franju? Un éternel insolent, insurgé et révolté qui, aujourd'hui, serait un indigné.
Les yeux sans visage de Georges Franju, par Pascale Risterucci, éditions Yellow Now, côté films n°19.