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Liesbet van Loon, réalisatrice de Monachopsis

Publié le 12/04/2021 par Constance Pasquier et Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

C'est à Lier dans les locaux de La Fabrique Fantastique que nous faisons la rencontre de Liesbet van Loon, réalisatrice du court-métrage Monachopsis récemment primé par Cinergie au festival Anima 2021. Elle nous accueille masquée mais avec le sourire, pour un échange passionnant sur ces deux amours, le dessin et l'animation.

Cinergie : Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer un peu votre parcours, votre formation ?

Liesbet van Loon : J'ai toujours été passionnée par le dessin, et ce depuis mon plus jeune âge. Je dessinais dès que possible, et j'avalais feuille après feuille sous mon crayon. Le cinéma d'animation, c'est également une passion qui est arrivée très tôt. Je dévorais les Disney, Ghibli et autres classiques, et les explications données par mon père sur le processus de création de ce médium m'ont réellement donné le goût d'en apprendre plus. Je savais donc déjà vers 10-12 ans que je me dirigerai vers ces études. Après des études à l'école d'art Pikoh à Hasselt, j'ai intégré Sint Lukas à Bruxelles, et ainsi de suite, me voilà aujourd'hui.

 

C. : Vous préférez dessiner ou animer ? Ou bien les deux sont ils interconnectés selon vous ?

L.v.L.: Je pense que le dessin est ce qui m'intéresse le plus. L'animation, c'est la magie du dessin qui prend vie, j'adore ce médium, mais je dessine principalement des images fixes. Quand je suis seule, je remplis des carnets de croquis. C'est ce qui me vient le plus naturellement, même si l'animation reste ce qui me fascine le plus.

 

C. : Quelles sont les animateurs ou artistes qui vous inspirent?

L.v.L. : C'est très difficile de donner un nom, ou même des noms d'animateurs. D'un point de vue plus large, des artistes comme Egon Schiele m'inspirent énormément, ou bien le cinéma d'Andrea Arnold même si c'est de la prise de vue réelle. En y réfléchissant, il me semble impossible d'identifier une influence bien précise, je vois beaucoup de styles et de contenus différents en animation, ce n'est pas évident de mettre le doigt sur ce qui me marque le plus...

 

C. : Peut-être peut on aborder l'une de vos influences à travers votre premier film Atlas, un hommage à Gehrard Richter, qu'est-ce qui vous a attiré chez cet artiste ?

L.v.L. : Dans le cadre d'un travail scolaire, nous devions donner vie à une peinture. Et j'étais très intéressée par les représentations de paysages de Richter. Elles sont très calmes, mais malgré leur apparente immobilité on y sent toujours une sorte de mouvement. J'ai découvert son Atlas dans lequel il rassemblait ses photos et ses études avant de réaliser ses œuvres. C'est ce processus d'études et de photos pour arriver à une peinture finale qui capture et fige l'instant tout en en conservant un mouvement presque imperceptible mais présent qui m'a toujours plu dans les beaux-arts et dans la peinture.

 

Liesbet van Loon © Constance Pasquier/Cinergie

 

C. : Doit-on en déduire que vous souhaiteriez réaliser un nouveau court-métrage à partir des travaux d'Egon Schiele donc ?

L.v.L. : Ouille [rires], oui bien sûr les œuvres d'Egon Schiele fascinent beaucoup de gens, mais ce serait trop difficile d'en faire un film. C'est un de ces artistes, de ces maîtres que lorsque vous tentez de les copier, ou de les étudier, c'est impossible de les appréhender complètement. Vous verrez toujours beaucoup plus de vie, de réalité dans l’œuvre originale. Donc non, je n'essaierai même pas.

 

C. : Avec Beast, votre second film, aviez-vous adopté une approche artistique liée à l'une de vos influences ? Comment avez-vous décidé du style atypique de ce film ?

L.v.L. : Beast était un film particulier, dérivé d'un style que j'ai développé un peu par accident dans le cadre d'un autre cours. J'ai créé une histoire à partir de captures et de scènes d'autres films, que j'ai ensuite imprimées sur des transparents avant d'y dessiner. C'est ainsi que ce style a commencé, ça me plaisait beaucoup. C'est une façon de combiner des arrière plans réels avec des personnages dessinés à la main, et c'est de là qu'est venue l'idée d'en faire un film d'animation. Beast est donc le résultat direct d'une recherche stylistique. 

 

C. : Et ce style, nous le retrouvons dans votre film Monachopsis , prix Cinergie au festival Anima 2021. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et sa genèse ?

L.v.L. : Quand Beast a remporté la Wild Card [prix remis par le VAF pour des espoirs du cinéma flamand, Beast remporte le prix en 2015 - NDLR], j'ai eu l'opportunité de réaliser mon prochain film, sans avoir forcément une idée précise de ce à quoi il allait ressembler à l'époque. Je voulais aller plus loin dans la recherche du style de Beast, j'ai donc commencé à réfléchir à une histoire qui lui correspondrait.

En même temps, je discutais avec des amis de mon âge - nous avions 20-22 ans à l'époque - de la difficulté de créer des nouvelles relations, des nouvelles amitiés sincères, d'avoir de vraies connexions émotionnelles en grandissant. C'est un sujet que je voulais explorer, et l'histoire de Monachopsis a commencé à se déployer à partir de là. J'ai d'abord retravaillé mon style pour le rendre plus abouti, plus lisible. Beast était encore un peu brouillon, et je voulais rendre l'ensemble plus attrayant.

 The Beast de Liesbet van Loon

 

C. : Dans Monachopsis comme dans Beast, la psychologie des personnages est concomitante du style, les deux sont très liés. Est-ce que l'un est plus important pour vous que l'autre, ou bien les deux sont ils interdépendants ?

L.v.L. : Dans Beast, le style était plus important, principalement parce que le développement de l'histoire a été rapide, efficace. Dans Monachopsis, on est vraiment sur un ratio moitié/moitié par contre. J'ai travaillé longtemps sur le texte. Honnêtement, ça a été un peu une galère pour moi car très difficile à écrire. Je voulais amener l'histoire jusqu'à un point très précis, réaliser une récit complet et éviter de rester dans un concept trop vague. Le film avait besoin de ce ratio égal entre style et contenu pour arriver au cœur du sujet. 

 

C. : Comment travaillez-vous cette technique très spécifique, ce style que vous nous avez présenté avec Monachopsis ?

L.v.L. : Cela commence toujours par un storyboard, afin de définir l'aspect général et la trame du film. Avec ce storyboard très simple, je pars en repérages pour trouver des lieux qui correspondraient aux dessins. Je photographie ou filme des plans et des séquences selon différentes perspectives. Dans ma tête et en amont, je repère déjà les lieux mais souvent j'ajoute d'autres éléments sur place, des détails auxquels je n'avais pas pensé. De retour à l'atelier, je cadre les plans par rapport au storyboard, j'ajoute des personnages croqués rapidement, je corrige la colorimétrie, un peu de compositing, j'imprime le tout et c'est là que ça devient plus amusant. En dessinant les personnages sur les impressions, je peux également altérer l'image avec des encres, peindre dans les ombres, avoir le plus de liberté vis à vis de mon matériel. Enfin, je recapture image par image ces cases, pour les animer dans le résultat final. De nombreuses étapes donc, mais à l'arrivée on obtient un rendu très palpable, très homogène.

 

 Monachopsis de Liesbet van Loon

 

C. : En effet ! Est-ce un style que vous allez continuer à utiliser dans de prochains projets ?

L.v.L. : On m'a déjà souvent posé la question, et je ne suis pas sûre. Si l'histoire ne convient pas au style, je préfère m'en éloigner et explorer d'autres techniques. Cela dépendra du prochain récit, enfin quand celui-ci sera en chantier ! Peut-être un passage vers un côté plus illustratif, mais tout dépendra du sujet, je n'ai pas de programme à l'heure actuelle.

 

C. : On est ici à La Fabrique Fantastique, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce studio et comment vous êtes arrivée à travailler ici ?

L.v.L. : Après mon diplôme, j'ai débuté un stage à La Fabrique Fantastique via le VAF et son programme de stage "De werkvloer op" en me spécialisant dans le character design.

A l'époque, il n'y avait que 5-6 personnes au studio, c'était très fun comme expérience. À un moment, j'ai pitché mon projet Monachopsis à Tom [Van Gestel, fondateur du studio - NDLR] pour la Wild Card, il s'est montré très enthousiaste et je n'ai donc pas dû chercher plus loin pour un studio. C'était une vraie belle aventure et l'occasion de travailler sur un film professionnel, avec une vraie compréhension de mon projet par les équipes qui m'ont aidé à structurer mon travail, mon récit et mes envies pour cette réalisation.

 

C. : Et pour terminer, pas de projets pour la suite ?

L.v.L. : On a toujours des idées, des concepts qui flottent en tête, qu'on tourne et qu'on retourne. Mais je déteste écrire, vraiment, et je ne le fais pas facilement, c'est vraiment le dessin que j'aime et que je maîtrise. Pour le moment, je ne suis pas encore arrivée à faire ressortir une idée avec un vrai message, une histoire qui me fait me dire "oui, cela doit être raconté", comme je l'ai eu avec Monachopsis. Mes idées actuelles n'en sont pas encore à ce stade, mais peut-être bientôt !

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