Photographe belge né en 1938 à Anvers, Herman Selleslags a parcouru le monde entier dès la fin des années 1950 et a photographié les artistes et intellectuel·le·s les plus célèbres du moment, dans des contextes tout à fait exceptionnels. Le film d’Aldine Reinink prend place dans la maison d’Herman Selleslags, alors qu’il s’apprête à déménager. Réouvrant des cartons contenant des milliers de photos, l’homme revient sur certaines périodes de sa vie, révélant des anecdotes aussi savoureuses qu’extraordinaires, toutes cristallisées sur les pages d’albums d’une inestimable valeur. Avec ce film, on découvre l’histoire du photojournaliste, traquant les Paul McCartney, Lou Reed ou Mick Jagger, mais c’est également la vie de l’époux et du père de famille aimant qui nous est narrée, image par image.
Life Will Give You Pictures, Aldine Reinink, 2024

La démarche d’Aldine Reinnink est d’emblée très intéressante. En se frayant un chemin dans la maison et le laboratoire d’Herman au moment où celui-ci fait ses cartons, la réalisatrice nous fait entrer dans un environnement chaleureux et familial, porté par ce plaisir ineffable de fouiller dans les vieux cartons, par le récit de souvenirs uniques d’une génération à une autre. Il contient également cette tonalité mélancolique et nostalgique liée au départ, au coup d’œil par-dessus l’épaule. Le regard que Herman porte sur sa jeunesse, notamment à l’heure des mouvements de contre-culture, est motivé par une certaine distance, un recul empreint de sagesse et d’autodérision.
C’est en partant de photos que l’artiste raconte sa vie, décrivant des instants précis, mais aussi, et parfois de façon plus implicite, des contextes bien précis dans des époques ciblées : en l’occurrence les milieux artistiques dans les années 1060 et 1970. En tant que photojournaliste, il avait des responsabilités autres que purement artistiques, mais notamment médiatiques, historiques et culturelles ; ses photos ont aujourd’hui une valeur patrimoniale importante.
À sens inverse, en étoffant le récit de sa vie – qu’il narre souvent avec un amusement mêlé d’une touche de fébrilité émotionnelle – Herman Selleslags redonne un éclat somptueux à cette œuvre immense, figée sur le papier, pour laquelle il a consacré sa vie. Il en va de même de cette atmosphère en demi-teinte dans laquelle nous nous trouvons avec lui, comme suspendue entre deux époques. Ses enfants sont également présents, son fils qui est à son tour devenu photographe, comme l’était son père avant lui ; une profession qu’ils se sont donc passée d’une génération à l’autre.
À côté des portraits inédits de John Lennon, de Tina Turner et de Serge Gainsbourg, apparaissent des photos « libres », prises personnellement et fruits de recherches esthétiques. Enfin, Herman Selleslags donne accès à sa collection vraisemblablement la plus précieuse, celle des photos de son épouse et de sa famille. Un récit beaucoup plus intime accompagne ses photos, qui laissent pénétrer une émotion très grande dans le cœur du vieil homme. Aldine Reinink prouve ici de solides qualités de réalisation, car le passage d’une histoire publique et culturelle à une histoire personnelle et familiale est effectué avec une grande justesse, confortée par un montage souple et précis. Ce sont plusieurs récits entremêlés qui, au départ de photos bien distinctes, parviennent à n’en former qu’un seul : un récit polyphonique harmonieux, qui intègre une pertinente analyse de l’art photographique.
Life Will Give You Pictures est un film remarquable et captivant qui, dès les premiers instants, valide la pertinence du choix de son titre, lui-même tiré d’une citation de Henri Cartier-Bresson : « You just have to live, and life will give you pirctures ». Fait du hasard, le film sortira quelques mois après la disparition de Herman Selleslags, qui s’est éteint le 18 octobre dernier. Rendez-vous donc le samedi 16 novembre à Cinematek pour une projection dans le cadre du BAFF 2024.