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Lumière sur Jan De Clercq

Publié le 01/09/2003 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Entrevue

Dans le contexte morose de la distribution en Belgique, la bonne surprise de cette rentrée est l'annonce de la création d'une nouvelle société : Lumière . Elle est l'oeuvre de Jan De Clercq et Alexandre Vandeputte. Ces deux complices n'en sont pas à leur coup d'essai puisque la bannière Lumière réunit déjà un cinéma de trois salles à Brugge et une société de production responsable de Meisje , film belge qui a attiré plus de 42000 spectateurs sur nos terres. Leur nouveau défi est autant motivé par la disparition de Progrès Films que par le besoin d'alimenter leur propre cinéma d'art et essai. L'ange de l'épaule droite, le premier film Lumière, de Tadjik Djamshed Usmonov, sortira le 03 septembre à Bruxelles (Flagey) et à Mons (Plaza Art) et le 28 à Liège (Churchill). Cinergie a rencontré Jan De Clercq, et en français s'il vous plaît !

Lumière sur Jan De Clercq

Cinergie : Jan De Clercq, bonjour. En guise d'introduction, pouvez-vous nous
décrire le chemin qui vous a amené jusqu'à la distribution ?

Jan De Clercq
: Mes activités dans le cinéma commencent dans le cadre du festival "Cinéma Novo", à Brugge, c'est de là que j'ai été engagé par Cinélibre. J'y ai travaillé de 1987 à 1994 en qualité de programmateur. A ce titre j'ai noué beaucoup de contacts avec les exploitants, non seulement en Belgique, mais à travers tout le Benelux, car il faut savoir qu'en distribution on parle souvent à l'échelle du Benelux. J'ai quitté Cinélibre pour créer mon propre cinéma à Brugge, c'est à cette occasion qu'a débuté ma collaboration avec Alexandre Vandeputte, qui tenait alors une petite maison de production appelée "Classic Films". Depuis 1996, nous sommes passés de une à trois salles. Notre philosophie d'exploitant est proche de celle du cinéma "Le Parc / Churchill" à Liège : programmation au mois, axée art et essai. Nous collaborons également régulièrement avec des écoles.

 

C. : Et en 2000 vient l'aventure de la production ?
J.D.C.
: Je connaissais Dorothée van den Berghe, et lorsqu'elle m'a parlé de son projet Meisje, Alexandre et moi nous nous sommes dits qu'il était temps de réaliser ce vieux rêve et nous nous sommes lancés. Il s'agissait d'une coproduction avec la firme K2 de Dominique Janne.

 

C. : Aujourd'hui, vous revenez à vos premières amours avec la distribution. Comment s'est fait le déclic ?
J.D.C.
: Après la disparition de "Progrès Films", nous avons regretté, en tant qu'exploitants, de ne plus pouvoir traiter avec une maison qui prendrait soin de « petits » films. Nous voulions trouver des oeuvres qui, si elles ne réuniraient pas un nombre important de spectateurs, satisferaient l'appétit des cinéphiles et nous avons donc décidé de mettre à profit nos expériences passées. Il faut dire qu'à ce moment, ni la "CNC" de Claude Diouri, ni "Imagine" de Christian Thomas n'étaient très actifs, quant à l'entité Cinélibre/Cinéart, leur quasi-monopole - ils le reconnaissent eux-mêmes - n'est pas une bonne chose. Je ne dis pas cela pour critiquer, mais pour expliquer que nous avons ressenti qu'une place était libre pour nous. "Lumière distribution" s'inspire aussi de certaines entreprises françaises, comme "mk2", qui s'impliquent dans les films de la production à l'exploitation. Notre luxe, à Alexandre et moi, est de ne pas avoir de pression économique sur "Lumière distribution". Notre salaire nous vient en effet des salles et, même si nous devons rester un minimum rentables, nous ne nous sentirons pas obligés de produire ou distribuer uniquement pour assurer nos rentrées financières.

 

C. : Peut-on dire que L'ange de l'épaule droite, votre premier titre, est représentatif de votre ligne éditoriale ?
J.D.C.
: Oui, c'est vraiment le type de films qui nous intéressent. Et sa sortie a une portée symbolique car nous savons bien qu'un film pointu comme celui-ci ne nous permettra pas de faire des bénéfices importants au vu de notre investissement. Mais nous ne voulons pas nous enfermer dans un carcan, notre prochain film à l'affiche, La meglio giuventu ("La meilleure jeunesse") est très différent, il s'agit d'une saga familiale de six heures, en deux parties, qui a remporté le prix "Un certain regard" au dernier festival de Cannes, mais y était passé inaperçue en raison de son format mal adapté aux projections cannoises, c'est ce même format qui a failli empêcher sa sortie sur nos écrans. C'est tout de même une oeuvre plus grand public, qui est en train de faire une belle carrière en France et a été acheté par Miramax pour les territoires anglophones, nous le sortirons en novembre. Le film suivant, également présenté à "Un certain regard" et auquel nous sommes très attachés, est Mille mois , une coproduction Maroc/France/Belgique à sortir en décembre.

 

C. : Vous sentez-vous en concurrence avec vos anciens employeurs ?
J.D.C. : Nous ne cherchons pas à devenir le nouveau Cinéart/Cinélibre et nous espérons bien qu'ils continueront d'exister longtemps car ils font aussi vivre nos salles ! Tout en essayant de trouver un juste équilibre entre films confidentiels et films à audience plus large, nous restreindrons notre production à dix films par an maximum. Nous ne voulons pas nous développer trop vite et préférons nous entourer de collaborateurs en free-lance pour ne pas alourdir la structure de Lumière et perdre le "luxe" dont je vous parlais - ce qui a en partie causé la perte de Progrés. Nous sommes plutôt complémentaires à Cinéart et Cinélibre, même si nous finirons bien par nous retrouver concurrents sur certains achats.

 

C. : Vous avez aussi convenu d'une collaboration avec le distributeur hollandais "Nederlands Filmuseum". En quoi consiste cet accord ?
J.D.C.
: Nous nous consultons pour chaque achat afin de voir si nous pouvons rentabiliser un film en planifiant sa sortie sur le territoire du Benelux plutôt que sur celui, réduit, de la seule Belgique. C'est déjà le cas sur "L'ange de l'épaule droite" que nous pouvons nous permettre de sortir sur quatre copies (au lieu des deux habituelles pour ce genre de film) parce que nous savons que le "Nederlands Filmuseum" en récupérera deux ou trois. Nous partageons nos frais généraux pour améliorer la qualité de notre service. C'est également une facilité pour les sorties DVD, les sorties Flandre/Pays-bas étant regroupées. La même collaboration s'appliquera lors de la sortie de La meglio giuventu.

 

C. : À l'affiche du cinéma Lumière à Brugge, on a vu cet été deux productions ou coproductions belges, Any way the wind blows et Les triplettes de Belleville. Peut-on s'attendre à ce que Lumière distribue des films de notre pays, même s'ils ne sont pas produits Lumière ?
J.D.C. : Eliane Dubois, qui a distribué Meisje pour Cinélibre, m'a très vite demandé si j'allais désormais distribuer uniquement mes propres productions. Hé bien, ce n'est pas systématique, s'il y a de bons films belges venant d'autres producteurs à distribuer, ce sera un plaisir pour nous. Ces dernières années, nous avons d'ailleurs mis en avant le cinéma belge dans nos salles en organisant de nombreuses premières en présence des réalisateurs.

 

C. : Parlez-nous maintenant de votre associé, Alexandre Vandeputte. Comment s'organise votre collaboration ? Chacun a-t-il un rôle défini ?
J.D.C. : Nous travaillons ensemble sur le choix de nos films, mais si j'ai fait appel à Alexandre au moment de commencer l'aventure Lumière c'est parce qu'il est à la fois un cinéphile et un homme d'affaire doué. Il sait jongler avec les formalités et l'administration alors que c'est mon point faible. Nous nous répartissons ainsi le reste des tâches : je prends la plupart des initiatives tandis qu'Alexandre veille à la bonne gestion de nos entreprises. Nous avons trouvé le bon équilibre. Cela m'a pris quelques années pour l'admettre, mais aujourd'hui je me garde bien de toucher à une seule facture ou de mettre les pieds à la banque ! La structure reste réduite et conviviale, nous n'appliquons certainement pas la devise « the sky is the limit » !

 

C. : On a beaucoup parlé distribution, mais quels sont vos prochains projets en tant que producteurs ?
J.D.C.
: Il y a tout d'abord le nouveau projet de Dorothée van den Berghe (Meisje) - à nouveau avec K2 -, un film de Raoul Servais - que nous produirons avec Dominique Standaert-, ainsi qu'un film d'animation. Mais tous ces projets n'en sont encore qu'au stade de la « pré-pré-production » !

 

C. : Pour finir, une question en forme de boutade, mais pas innocente au vu des conflits linguistiques qui empiètent trop souvent sur le monde culturel. Bien que basés à Brugge et n'ayant produit qu'un film flamand, vous oeuvrez sous une bannière au nom bien français. Pourquoi « Lumière » et pas « Licht » ?!
J.D.C. : (rires) C'est surtout un hommage aux frères Lumière, et puis, au moment de créer nos salles, il nous a semblé que le mot sonnait bien, était facile à retenir et se démarquait dans le paysage des salles flamandes.

 

Cinergie : Merci Jan De Clercq et bon vent à Lumière !

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