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Ma’ohi Nui, au cœur de l’océan mon pays d’Annick Ghijzelings

Publié le 20/03/2019 par Marine Bernard / Catégorie: Critique

Au milieu des années 1960, l’Etat français lance des expéditions coloniales en Polynésie française, à la recherche d’une zone désertique pour tester des armes nucléaires. Rapidement, un Centre d’expérimentations du Pacifique se déploie, des milliers de militaires et de techniciens débarquent sur le territoire. Pendant trente ans, ils multiplient les essais aériens et souterrains, entraînant avec eux les habitants des îles polynésiennes. Motivés par les avantages que les Occidentaux leur offrent, ces derniers délaissent leurs activités quotidiennes pour s’adonner aux activités militaires. Du jour au lendemain, leur vie change totalement. S’efforçant de travailler sans relâche pour répondre aux exigences colonialistes, ils construisent des sites, forent des puits et nettoient les zones contaminées. A l’époque, ils sont loin d’imaginer les risques de contamination auxquels ils s’exposent chaque jour et le bouleversement culturel qui les attend. Autrefois riches de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, les Ma’ohi se retrouvent rapidement sans ressource. Malgré les nombreuses révoltes, ils ne parviennent pas à se libérer de l’assaillant capitaliste qui dévore de plus en plus leurs ressources. Ce n’est qu’en 2013, une vingtaine d’années après cette période d’expérimentations, que la Polynésie française parvient à grand-peine à convaincre les Nations-Unies de figurer sur la liste des territoires à décoloniser.

 

Ma’ohi Nui, au cœur de l’océan mon pays d’Annick Ghijzelings

Annick Ghijzelings a choisi de nous dévoiler ce qu’un tel passé colonial a laissé comme traces mentales et physiques sur les Ma’ohi, un peuple ayant travaillé sur l’atoll de Moruroa à partir de 1966. C’est en préparant son film précédent, 27 fois le temps, sorti en 2016, que la réalisatrice a été confrontée à la réalité des habitants de Papeete, la capitale de la Polynésie française sur l’île de Tahiti. Avec Ma’ohi Nui, au cœur de l’océan mon pays, elle nous emmène au-delà des zones touristiques, là où l’image d’un possible paradis a fait place à celle d’un paysage morcelé.
Le film s’ouvre sur la voix d’une ancêtre Mao’hi venue du passé pour réveiller la jeune génération tahitienne, en plein questionnement. Dans un premier temps, la réalisatrice pose le contexte. Nous assistons à l’explosion d’une bombe atomique sur Moruroa. Un premier témoignage amplifie l’évènement et nous plonge au moment de l’arrivée des colons français sur le territoire. Ces trente années d’essais nucléaires ont détruit la culture, contaminé les âmes et perturbé les repères des Ma’ohi. Elles ont fait exploser leur mode de vie et leur mode de pensée. Elles en ont fait un peuple à la dérive, oublieux, meurtri qui noie son désespoir dans des pratiques destructrices comme la drogue, la violence et l’alcool.
Alors que les témoignages se succèdent, les images nous donnent à voir un paysage actuel appauvri à plusieurs niveaux. Les habitants sont las et fatigués, les foyers sont précaires, les terres sont remplies de déchets. Les quartiers de l’île apparaissent comme de véritables bidonvilles.
Au cœur de ces témoignages visuels et sonores, résonne cette voix ancestrale qui encourage le peuple Ma’ohi à se relever et à renouer avec ses racines. Pour survivre, les Ma’ohi doivent retrouver leur patrimoine de gestes, de rituels et de langage. Dans la seconde partie du film, Annick Ghijzelings dépeint la lente transition entre les corps endormis et les corps qui se mettent en mouvement, avides de changement. Guidés par les forces célestes, ils savent comment travailler leur terre et à quel moment partir pêcher leurs poissons. Progressivement, Ils se remettent à chanter et à danser sur des musiques rythmiques qui n’ont jamais cessé de résonner dans leur tête. Sons et images se rejoignent pour ne former qu’une seule entité. Au-delà de cet état des lieux tragique, la réalisatrice souhaite nous montrer qu’une force commune habite ce peuple et les pousse à bâtir une nouvelle histoire. La tristesse infinie qu’ils ont en eux, ne les empêche pas de vouloir s’en sortir. Elle nous démontre que la face cachée de Tahiti dévoile une richesse humaine incomparable. 

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