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Margot Reumont, réalisatrice de Câline

Publié le 22/03/2022 par Kevin Giraud et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

Réalisatrice et professeure à La Cambre, Margot Reumont présentait, à Anima 2022, son dernier court-métrage, Câline. Un récit tout en nuances sur l’enfance et le passage à l’âge adulte, une véritable poésie dessinée. Rencontre, alors que le film venait à peine d’être découvert par le public.

 

Cinergie : Qu'est ce qui vous a donné envie de faire du cinéma?

Margot Reumont : Avant tout, j’avais envie de raconter des histoires, et de les communiquer au public. C’est de cette envie de partage avec les gens que, de fil en aiguille, j’en suis arrivée à réaliser des films.

 

C. : Pouvez-vous nous parler de Si j’étais un homme, votre premier court-métrage ?

M.R. : Si j’étais un homme, mon film de troisième année à La Cambre, a été ma première rencontre avec le public. J’avais déjà quelques expériences de réalisation, mais ce projet et ces premières expériences de retour d’une salle de spectateurs ont été très très marquantes pour moi. À l’époque, je n’avais pas réalisé la puissance que cela pouvait avoir d’être dans une salle, de montrer son film et d’entendre les réactions. C’est inoubliable. Pour ce qui est du court-métrage en lui-même, je suis partie d’une consigne de mes professeurs - même si elle est assez contestable après coup -, “faites quelque chose que vous ne pourriez pas faire en prises de vues réelles”. De là, je me suis posée la question du “que serais-je si j’étais un homme”, et j’ai posé cette question à des amies avec l’intention de dessiner le personnage qui ressortirait de ces échanges. C’était un point de départ assez naïf, mais qui m’a menée à un sujet bien plus sérieux que je ne l’imaginais à l’origine. Qu’est-ce que c’est d’être un homme, ou une femme aujourd’hui, et les absurdités qui ressortent de ces définitions et de ces carcans. C’est en faisant ce film que cela m’a ouvert aux questions de genre.

 

C. : Une thématique que vous continuez à explorer dans votre filmographie ?

M.R. : En tout cas, la condition féminine, oui. Ce n’est pas systématique, j’ai réalisé d’autres films parfois plus légers, plus comiques, mais c’est quelque chose vers lequel je reviens souvent.

 

C. : Pour revenir sur votre la relation entre cinéma d’animation et prises de vues réelles, vous n’adhérez pas forcément à cette idée d’une animation qui doit aller au-delà du réel ?

M.R. : On nous demande souvent de justifier le choix de l’animation lorsqu’on raconte une histoire. Pour ma part, je me dirige de plus en plus vers un langage naturaliste, une plastique réaliste. Je ne cherche pas à mettre en images des créatures fantastiques, ce n’est pas mon univers, j’essaie plutôt de créer de l’émotion en dessinant des personnages plausibles. Et de là, on me pose parfois la question du pourquoi de l'animation plutôt que des acteurs. Sauf qu’on ne pose jamais la question inverse. Pour moi, le cinéma d’animation apporte un langage, une poésie qui passe à travers le dessin, et ces aspects justifient à eux seuls l’utilisation du médium.

 

C. : Vous avez une technique de prédilection ?

M.R. : Je pense que je préfère le dessin. Expérimenter et sortir de ma zone de confort fait aussi partie de mes envies, notamment pour mon film de dernière année à La Cambre [Grouillons-nous] que j’ai réalisé en stop motion. C’était l’occasion, le matériel était à disposition, mais ça a vraiment été difficile pour moi. Cela demande une minutie et une patience que je n’avais pas du tout ! [rires] Cela dit, j’aimerais bien y retourner lorsque l’occasion se présentera. Le dessin reste pour moi une liberté, il n’y a pas de limites, tout est possible.

 

C. : En 2015, vous avez fondé Tabass Co. Quelle était votre envie derrière ce studio ?

M.R. : Continuer l’émulation créative que nous avions à l’école, avec un groupe d’étudiants. Pouvoir travailler ensemble, tout en étant tous très différents. En tant qu’animatrice on est souvent assez seule dans son projet et il faut avoir de nombreuses casquettes. Pouvoir se répartir les tâches, collaborer et se nourrir les unes les autres, c’était notre idée derrière ce projet. Pour ma part, j’aime vraiment beaucoup travailler en équipe, je trouve cela très enrichissant.

 

C. : Câline, votre dernier projet en date, était projeté à Anima 2022. Pourriez-vous nous parler de sa genèse ?

M.R. : Câline est mon premier court-métrage hors école. J’avais envie de parler de la nostalgie de l’enfance, avec la pointe de tristesse qui y est liée. Petite, j’aimais beaucoup les câlins, et entre ces souvenirs d’enfance et la réalité de l’âge adulte, où les rapports affectueux changent, je voulais comprendre ce qui avait changé. Chez moi, mais aussi en ouvrant le sujet, de voir ces évolutions chez les autres également. Le dispositif d’interviews que j’avais mis en place pour Si j’étais un homme m’avait beaucoup plu, et je suis partie dans cette direction avec l’idée de rencontrer des enfants. J’aime vraiment le travail de Lia Bertels, une autre réalisatrice issue de la Cambre et qui avait réalisé Micro-dortoir, un film que j’adore, très beau et très fort. Le début du projet s’est donc construit autour de ces rencontres, mais je me suis rendue compte petit à petit que ces témoignages, même s’ils étaient drôles et pleins d’énergie, ne collaient pas avec le sujet plutôt triste que je voulais aborder, à savoir l’inceste. Donc le projet a fini dans un tiroir quelque temps. Un jour, mon père nous a demandé à mes sœurs et moi de venir faire le tri dans nos objets et jouets d’enfance. Et ce moment, que nous avons trouvé intéressant avec mes sœurs, est devenu le point de départ, le cadre de mon récit. Cette idée d’affronter les souvenirs, la nostalgie, le bonheur et la tristesse que cela peut faire remonter. J’ai aussi été beaucoup inspirée par ma lecture de Timothée de Fombelle et son livre Neverland. Il y décrit l’enfance comme “un pays où on ne peut plus jamais retourner”, et c’est ce que j’ai essayé d’atteindre dans ce film. Montrer ces petits événements qui transforment la vie, qui font que rien n’est plus jamais pareil. C’est un peu le sujet du film, montrer qu’il faut continuer à aller de l’avant, et ne pas simplement regarder derrière soi et être triste de ce qui n’est plus.

 

C. En parallèle à ce projet, avez-vous eu des expériences de travail qui vous ont marquée ?

M.R. : Avec Tabass Co, nous avons réalisé pas mal de projets jeunesse, on a eu de beaux moments et des collaborations sympathiques. De mon côté, j’ai travaillé comme assistante animation sur le long-métrage Petit Vampire de Joann Sfar. Artistiquement, ce n’était pas très enrichissant, mais j’ai beaucoup appris techniquement et cela m’a grandement aidé pour mon film. Travailler sur des plans bien précis, retoucher, nettoyer, c’était l’apprentissage d’une rigueur de travail qui m’est restée. Et cette belle expérience de collaboration avec mes camarades chez Tabass Co.

 

C. : Des projets, des envies pour la suite ?

M.R. : Des vacances ? [rires] Pour le moment, je n’ai pas encore de projets ou de films en tête. Peut-être un long-métrage, un jour. Le court-métrage est un format que j’apprécie, mais dans Câline par exemple, j’aurais peut-être voulu approfondir certaines choses, développer d’autres aspects. Travailler avec des acteurs et actrices a également été une expérience que j’ai beaucoup aimé, donc peut-être continuer dans cette direction.

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