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Miwako Van Weyenberg, réalisatrice de Soft Leaves

Publié le 19/03/2025 par Malko Douglas Tolley, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

L’émotion dans le non-dit

Avec Soft Leaves, Miwako van Weyenberg dévoile un premier long-métrage d’une beauté épurée, où les silences et les gestes parlent plus fort que les mots. Inspirée par l’art du non-dit japonais et portée par une mise en scène minimaliste, la réalisatrice nous livre un récit intime, entre poésie visuelle et émotion contenue. À l’occasion de la sortie en salle via Cinéart, elle partage son envie profonde de toucher le spectateur, en transformant son histoire personnelle en une expérience universelle, tout en délicatesse.

Cinergie : Pouvez-vous nous faire le pitch de votre film ?

Miwako van Weyenberg : Soft Leaves relate l'histoire de Yuna, une jeune fille belgo-japonaise de 11 ans. C’est un film qui parle de la recherche d'identité dans deux différentes cultures, mais également au sein d’une famille. Le tout étant bien évidemment lié.

 

C. : Dans ma critique de Soft Leaves je fais référence au concept d’Haragei ou l’art subtil du non-dit dans la culture japonaise. Cette approche était-elle consciente dès le départ ou s’est-elle imposée par le sujet abordé dans le film ?

M. v. W. : Il y a quatre langues qui sont parlées dans le film. Le japonais, le français, le néerlandais et l’allemand. En plus, il s’agit d’une coproduction avec la Flandre et la Wallonie. Donc si on ajoute les équipes sur le tournage, il y avait près de six langues qui étaient utilisées sur le plateau. Enfin, pour ma part, je dis toujours qu’il y a une cinquième langue qui a été utilisée dans mon film, celle du non verbal. J'aime beaucoup travailler avec les détails, voir les microdétails. C’est quelque que j’ose que j’apprécie énormément. Les langues, ça reste quelque chose de très culturel. Ça fait partie du quotidien. Dans mon écriture, j’adore donner de l’importance aux détails et aux petites nuances. Ce qui prime pour moi, ce sont les émotions que l’on transmet à travers le récit. Les personnages viennent ensuite au service des émotions. Ensuite, on construit une histoire autour des personnages. Les émotions proviennent de petits évènements du quotidien.

 

C. : Une grande force du film réside, à mon sens, dans le fait d’avoir réussi à transmettre des émotions incroyables par des silences, un regard ou une posture sans devoir l’expliciter par un dialogue. Quelle est votre approche d’un point de vue technique pour transmettre ces émotions de manière si intense ?  

M. v. W. : C’est toujours complexe de montrer des émotions. Surtout quand on parle d’un scénario. Par écrit, c’est toujours quelque chose de très impersonnel sur papier. Le fait de faire vivre un scénario, c’est quelque chose de nouveau pour moi. J’aime beaucoup les éléments naturels et les détails à nouveau. Comme le titre l’indique, j’aime beaucoup les feuilles des arbres par exemple. Il y a également des oiseaux qui donnent du mouvement. Il y a aussi le recours à la danse ou aux mouvements des mains des personnages. Tous ces micros-éléments confèrent une douceur et une certaine forme de nostalgie au film. 

 

C. : Comment faites-vous coexister la douceur et la gravité dramatique dans votre mise en scène ?

M. v. W. : L'histoire de Soft Leaves est une suite d’évènements dramatiques qui ne sont pas nécessairement très drôles. Malgré tout, je ne voulais absolument pas que le film soit lourd ou gris, voire traumatisant. C’était important de contrebalancer cette dimension dramatique par de la lumière, mais également de détails sonores. Le bruit des feuilles et de la nature sont présents dès le départ. Ces éléments sensoriels étaient très importants pour apporter de la douceur et de la tendresse au film.

 

C. : Soft Leaves semble évoluer dans un faux rythme, où l'intensité du récit contraste avec une lenteur maîtrisée et une grande sobriété qui apaisent le spectateur. Comment avez-vous travaillé cette temporalité singulière ? Quelle importance de la bande-son à ce propos ?

M. v. W. : Le non-dit, le non verbal, le silence sont des éléments très importants pour moi en tant que personne. Je pense que si je devais réaliser un film chaotique avec plein de bruits, je ne pourrais pas le faire, car ce n’est pas moi. Si l’on se penche sur la question de la bande-son, il n’y en a pas à proprement parler dans le film. Il y a un environnement sonore, mais je n’utilise qu’un seul morceau de musique dans le film. Je le réutilise à plusieurs reprises tout au long du film. Mes deux parents sont musiciens, c’est peut-être pour cette raison que je suis si sensible aux bruits et à l’environnement sonore. Je trouve qu’il y a quelque chose de très doux et apaisant dans le silence. Maintenant, ce n’est pas un choix absolu. C’est quelque chose qui s’est construit naturellement au profit de l’histoire que je souhaitais raconter. C’était nécessaire pour pouvoir respirer dans le film. C’est essentiel pour moi de laisser des moments de respiration sans étouffer le spectateur par un surplus de sons et d’images.

 

C. : Après avoir évoqué votre approche minimaliste, mais précise du travail sonore, comment avez-vous pensé l’image pour créer cette proximité si forte avec Yuna, incarnée avec beaucoup de justesse et d’émotion par la jeune Lill Berteloot ?

M. v. W. : Aussi, dans l’image, je voulais toujours être très proche de Yuna avec des plans très rapprochés. C’est son univers, celui de la petite fille. Mais en même temps, je voulais que ce soit fait d’une manière très naturelle, quelque chose de nouveau, où l’on suit les personnages sans artifice.

Comme Yuna, je suis aussi belgo-japonaise. Je ne saurais pas dire précisément s’il y a des éléments de cinéma japonais ou belge dans mon film. Je pense que, tout comme moi, le film représente une troisième culture, à mi-chemin entre les deux univers. C’est vrai dans ma vie personnelle, et c’est aussi le cas pour le film et pour son héroïne. Je ne peux pas dire qu’un élément est spécifiquement japonais ou belge. C’est un mélange instinctif.

Le casting était très spécial. Je cherchais vraiment un enfant moitié belge, moitié japonais. Dans le scénario, à l’origine, c’était un garçon. Mais comme on le dit souvent : quand je l’ai vue, j’ai su que c’était elle. Il y a eu comme un triangle entre Yuna, le personnage, Lill Berteloot, la jeune comédienne, et moi.

Avant le tournage, on a passé des moments incroyables ensemble. On a fait plein d’activités pour tisser un lien fort : on est allées aux jardins botaniques, on a fait un escape room… C’était un vrai travail en profondeur, mais aussi une expérience de vie, pour établir une relation solide avec elle. Pour moi, c’est essentiel. Il faut qu’il y ait cette confiance et ce partage, afin que ça fonctionne, et que les émotions soient vraiment authentiques.

 

C. : Un autre membre important du casting et fidèle représentant du cinéma belge et flamand n’est autre que Gert Van Rampelberg. Comment s’est passée la collaboration avec l’un des plus grands talents actuels de notre cinéma Made in Belgium?

M. v. W. : Comme je l’ai dit, c'était très important pour moi de vraiment créer du lien entre les personnages et il était donc également présent pour partager ces moments hors des plateaux. En ce qui concerne Gert, même s’il n’est pas tout le temps présent à l’écran, dès l’écriture je savais que je le voulais pour incarner le rôle. C’était une évidence pour moi. On s’est rencontré très tôt dans le projet. C’est vraiment un personnage de cinéma. J’admire son travail et il a cette capacité à naviguer des deux côtés de la frontière linguistique en Belgique. Il est apprécié de partout. Il apporte une humanité supplémentaire au film et ça me tenait vraiment très à cœur de l’avoir dans mon casting.

 

C. : Le traquet, ce petit oiseau présent dans le film, symbolise la liberté fragile, mais aussi l’instinct de survie. C’est un oiseau migrateur, toujours entre deux mondes, à l’image de Yuna et de son identité. Partagez-vous cette interprétation ? Pourquoi ce choix ?   

M. v. W. : C’est encore un reflet de mon envie d’amener des éléments naturels dans le film. J’aime travailler avec les métaphores, mais aussi l’idée de ne pas trop les montrer, ni trop les expliquer. Je préfère qu’elles restent discrètes, ouvertes, que chacun puisse les ressentir à sa manière.

 

C. : Qu’est-ce qui vous anime, vous donne envie de faire du cinéma ?

M. v. W. : Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais du cinéma, et je crois que c’est justement ça, la réponse à la question. Quand j’étais petite, j’étais très timide, un peu dans mon cocon. J’avais l’impression de ne pas vraiment avoir de voix. Le cinéma, c’est devenu une manière de m’exprimer, une langue à part entière. Pour moi, c’est avant tout une question d’émotions, plus que de grandes histoires ou de messages. C’est quelque chose de très personnel, presque instinctif.

 

C. : Est-ce important pour vous d’être attentive à la diversité et à la représentativité, aussi bien devant que derrière la caméra ?

M. v. W. : Je crois que dans le monde du cinéma, il y a déjà eu beaucoup d’évolutions positives, mais par petits pas. Et ces petits pas, c’est déjà mieux que rien. Pour moi, la question de la représentation est très importante. Par exemple, le fait d’avoir Yuna comme rôle principal, une fille belgo-japonaise, c’est quelque chose que je n’ai jamais vu quand j’étais petite. Ce n’est pas que je fais des films pour enfants, ce n’est pas un film d’enfant d’ailleurs. Mais en même temps, c’est le film que j’aurais aimé voir quand j’en étais un. Et ça, ça me fait plaisir.

Sur le plateau aussi, j’étais entourée de femmes, et ça, c’était également précieux pour moi. On avait un environnement dans lequel je me sentais vraiment bien. Je crois que si on ne se sent pas bien sur un plateau, ça se ressent dans tout le processus. Et ce que j’ai ressenti pendant le tournage, c’est aussi cette diversité, ces différentes langues, ces différentes énergies. Donc oui, la représentation, c’est quelque chose de très important pour moi.

 

C. : Depuis les premières projections à Ostende, Rotterdam et au fil des interviews, quels retours sur le film vous ont le plus touchée ?

M. v. W. : C’est très intense, parce que beaucoup de personnes que je ne connais pas viennent me raconter quelque chose de très personnel, quelque chose qu’ils ont ressenti ou vécu en lien avec le film. Ça me touche énormément, car le film part d’une expérience très intime pour moi, et je suis toujours surprise de voir à quel point ça résonne chez d’autres, parfois sur des choses auxquelles je n’aurais même pas pensé. Ce sont souvent des petits liens, des détails qu’ils perçoivent et qui créent cette connexion. Ça me fait vraiment plaisir, parce que finalement, c’est un partage à travers quelque chose de très personnel.

 

C. : Combien de temps avez-vous travaillé sur Soft Leaves ?

M. v. W. : J’ai travaillé pendant sept ans sur Soft Leaves. C’est vraiment mon bébé… et maintenant, il est temps de le laisser partir, de lui dire goodbye. Le film a évolué avec moi, et moi aussi j’ai évolué avec lui. Donc, quelque part, ça fait aussi du bien de prendre un tout petit peu de recul, de distance.

Pour la sortie, ce que j’espère surtout, ce sont des conversations. J’ai partagé quelque chose d’intime à travers le film, et maintenant, j’aimerais que ça ouvre des échanges avec les spectateurs, qu’il y ait ce dialogue.

Pour le futur et mon prochain projet, je crois que je n’arriverai jamais vraiment à lâcher l’aspect personnel. Même si ce n’est pas toujours quelque chose que j’ai vécu directement, j’aime raconter des histoires ancrées dans des émotions que je connais très bien. Je cherche toujours un équilibre : trouver d’autres manières de raconter quelque chose d’intime, mais en empruntant de nouveaux chemins.

 

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https://www.cineart.be/nl/films/soft-leaves

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