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Haut et fort de Nabil Ayouch

Publié le 17/01/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Sidi Moumen, banlieue nord de Casablanca. Un homme navigue au volant de sa coquille de noix métallique entre les maisons, les étals et les ruelles d'une ville pauvre et sale, à la recherche d'un oasis de culture. Anas, rappeur et professeur de musique, atteint enfin son but, le Centre culturel Les Étoiles. Un nouveau chapitre de son histoire peut commencer.

 
Haut et fort de Nabil Ayouch

Haut et Fort, le dernier film du franco-marocain Nabil Ayouch, nous emmène au cœur des quartiers populaires de Casablanca, entre documentaire et fiction. Inspiré de la véritable histoire de cet ancien rappeur professeur et de ses élèves, le cinéaste part à la rencontre de ces jeunes venus suivre les ateliers de rap organisés par le centre, et donnés par Anas. Dans une société qui ne leur convient pas et qui ne leur offre aucun horizon, aucune issue, ces jeunes trouvent dans la musique une liberté phénoménale, miroir d'une réalité des pays arabes où le rap est devenu une véritable arme de contestation massive.

Ismail, Meriem, Zineb et les autres rappent, dansent pour donner de la voix et faire entendre leurs frustrations. À la manière d'un orfèvre, l'artiste enseignant remet en question leur vision du monde et leur vision d'eux-mêmes, pour les pousser vers une musique emplie de sens et de force. "Qu'est-ce que tu changes avec ce que tu écris ?" , questionne Anas. Une interrogation qui trouve écho dans la réalisation du film, et dans toute la carrière du cinéaste à cheval entre reconnaissance et brimade au Maroc, alors qu'il pointe une nouvelle fois la société marocaine contemporaine et ses défauts. "On ne veut pas d'ennuis", "tu finiras en prison", "tu vis dans le péché", voilà les phrases assassines que reçoivent en pleine face les protagonistes du film, alors qu'ils tentent d'être moteurs de changement. "Quand je serai célèbre et que des millions de personnes se bousculeront pour m'écouter, là mes raps auront du poids, ce sont ceux qui me critiquaient qui auront peur de ma liberté", rétorque en substance l'enseignant et militant. La réalité s'invite à nouveau dans la fiction.

La puissance des mots est une libération pour ces jeunes hommes et jeunes femmes cadenassés par leurs familles, leurs frères, leurs pères et leurs pairs. Elle éclate dans les raps, des textes écrits et composés par ces jeunes avec l'aide de l'équipe du film. L'énergie de la jeunesse, qui crie haut et fort son ras-le-bol, casse les tabous et brise les carcans de la société.

Pour autant, Nabil Ayouch n'est jamais iconoclaste ou anarchiste, affirmant clairement la diversité des fois et des modes de vie de ses protagonistes, du non-pratiquant au jeune qui rappe sur sa religion. La tolérance est de mise, le respect de l'autre aussi. En mettant en images cette histoire vraie, il dresse le portrait subtilement romancé d'un groupe de jeunes talentueux, énergiques mais aussi nourris par les réflexions de leur temps. Là où le rap est devenu un véritable outil de contestation du pouvoir, il donne à son film une dimension universelle. Des adolescent.e.s qui trouvent dans le rap et dans la danse contemporaine une émancipation, une porte de sortie, et surtout une manière de faire bouger les lignes.

Œuvre feel-good, précisément calibrée et malgré tout résolument optimiste, Haut et Fort clame la beauté d'un monde où l'art brise les frontières et déplace les montagnes, repoussant les limites à la poursuite d'une vie meilleure.

Une idée qui traverse tout le film, synthétisée par le symbole que porte l'une des adolescentes : "Without Art, Earth is just "Eh".

 

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