Un an après Ça m’est égal si demain n’arrive pas, les frères Malandrin (qui signent à deux un film qu’ils ont co-écrit et que Guillaume a réalisé) retrouvent le chemin des salles avec un deuxième long métrage au titre encore plus farfelu, Où est la main de l’homme sans tête ? À vous de le découvrir dans ce thriller noir et mystérieux, aux indéniables accents lynchiens, qui fera certainement sensation au festival de Namur, avant sa sortie en 2008.
Où est la main de l’homme sans tête? de Guillaume et Stéphane Malandrin
Si le film est aussi étrange que son titre, autant vous prévenir, il ne prête pas à rire une seule seconde. Tout ici est noir de noir, du propos sur la cellule familiale à la photographie de Nicolas Guicheteau (fidèle du duo), en passant par la musique tantôt atmosphérique, tantôt inquiétante de Jef Mercelis (Komma, Voleurs de chevaux). Le casting est, lui aussi, atypique, mais fonctionne à merveille. Cécile De France (à contre-emploi dans son premier film belge) incarne Eva, une plongeuse de renommée internationale. L’Allemand Ulrich Tukur (prolifique dans son pays, connu chez nous pour son rôle d’officier nazi dans Amen de Costa-Gavras) incarne son père, qui est aussi un entraîneur tyrannique, prêt à tout pour “le bien” de sa championne. Sa composition glace le sang (lorsqu’il jure en allemand, personne ne bouge). La Hollandaise Tamar van den Dop incarne la belle-mère, à la passivité coupable.
Après un accident lors du championnat du monde, Eva reste dans le coma pendant quinze jours. À son réveil, quelque chose a changé, un lourd mystère s’est abattu sur la famille. Le grand frère d’Eva, Mathias, artiste contemporain incarné par Bouli Lanners (acteur de comédie et réalisateur d’Ultranova) a disparu. Paul, le petit frère, apprend à Eva que Mathias était “fâché” et, devant le mutisme de son père, Eva commence à suspecter ce dernier. Et qui sont ces deux hommes qui semblent la pister et veulent récupérer la main de l’un d’eux ? C’est au cœur d’un véritable cauchemar que nous sommes conviés.Le cauchemar d’Eva. D’une part, il y a l’enfer de cette famille recomposée où rien ne se dit (sur le blog du tournage, les réalisateurs rappellent la citation de Truffaut : “Où est-on mieux qu’au sein de sa famille ? Partout ailleurs !”), de l’autre, l’étrangeté d’événements qui pourraient bien être le fruit de l’esprit malade d’Eva. À moins que…
Bref, dans ce labyrinthe, où la perversion des éléments du quotidien, à laquelle répondent les sculptures de Mathias, rappellent les procédés de David Lynch, tout est faux-semblants. Le spectateur participe à une enquête aux frontières de l’inconscient. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le mystère, on commence à craindre que le dénouement ne nous déçoive, que cet assemblage hétérogène ne tienne pas : il n’en est heureusement rien, et c’est peut-être le plus grand mérite des frères Malandrin. Car si leur univers vicié s’inscrit dans une vague assez populaire parmi les jeunes cinéastes belges et français, peu arrivent à rendre leur film aussi convaincant, croyant que leurs “trucs” esthétiques, voire esthétisants, feront illusion.
Ici, scénario et mise en scène se répondent parfaitement. Le coup de génie est d’avoir fait de la cathédrale de Koekelberg le point central de l’intrigue, transformant ce monument anachronique et, disons-le, assez moche, en temple mystérieux et inquiétant. Le traitement est tel que, lors du générique d’ouverture, il faut plusieurs minutes pour reconnaître l’endroit.
Avant ce générique, et sans en dévoiler trop, prend place une séquence-choc qui plante le ton du film comme un pieu dans le cœur d’un vampire, une des scènes les plus efficaces de ces dernières années de cinéma belge.
Ne reculant pas devant les tabous ou les images dérangeantes, le film évite cependant de tomber dans l’horreur facile. La menace diffuse qui pèse en permanence sur tous les personnages tient le spectateur en haleine tout du long, ponctuée par la violence cathartique de certains échanges qui renvoient à la performance remarquable de Cécile De France dans Haute Tension d’Alexandre Aja (film hélas, nettement moins remarquable).
Où est la main de l’homme sans tête ?, sans jamais cacher sa situation géographique, ne ressemble pas à “un film belge”, il ose le genre avec talent. C’est une vraie performance qui vous laisse k.o..