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Pavlo Ostrikov à Arras : U are The Universe

Publié le 05/03/2025 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

« Faire du cinéma, c’est tenir un miroir à notre société, à notre réalité et à notre vie »

Né à Krasyliv, en Ukraine, Pavlo Ostrikov vit et travaille aujourd’hui en Ukraine. Après plusieurs courts-métrages, il a réalisé un premier long, U Are the Universe, co-produit par l’Ukraine (ForeFilms) et la Belgique (Stenola Productions). Son film a été tourné pendant la guerre, avec un budget restreint et beaucoup de débrouille.
Passé par plusieurs festivals, dont le TIFF, Arras, Les Arcs et Angers,
U Are the Universe a la particularité d’être un film de science-fiction (le premier de la sorte en Ukraine) et est une totale réussite d’humour, de romantisme et d’émotion. Le réalisateur n’était sorti de son pays qu’une seule fois, pour accompagner le film à Toronto. Deuxième sortie, en décembre dernier, au festival d'Arras.

Discussion autour de la guerre, de la relève, des petites cuillères et du mystère.

Cinergie : Pourriez-vous pitcher votre film ?

Pavlo Ostrikov : C’est avant tout une histoire d’amour et de solitude dans l’espace. L’intrigue se déroule dans un futur proche et suit Andriy Melnyk, un opérateur spatial ukrainien chargé de transporter des déchets nucléaires de la Terre vers un satellite de Jupiter. C'est un travail ingrat qui lui prend environ quatre ans : deux ans pour l’aller et deux ans pour le retour. Mais durant son voyage, la Terre explose. Andrii devient alors le dernier homme de l’univers. À bord, il est accompagné d’un robot, Maxim, programmé pour le divertir. Pourtant, après tant d'années, Maxim finit par trouver son rôle épuisant et absurde.   Après plusieurs mois de solitude et de dépression, Andriy reçoit un message. Il provient d'une station isolée et vient d’une femme, une Française nommée Catherine. Elle aussi a survécu. L’histoire explore alors la relation entre ces deux âmes perdues, cherchant un sens à leur existence. 

 

C. : Avant de vous mettre au cinéma, vous avez étudié l’aéronautique. Pourquoi ce choix? 

P. O. : J’ai étudié le Droit à l’Université nationale d’aviation. Ce n’était pas mon choix, c’était plutôt celui de mes parents. Ils voulaient que j’aie un bon métier, une situation stable. Moi, j’aspirais à autre chose. Je voulais créer quelque chose de neuf. 

Dès mon arrivée à l’université, j’ai compris que le droit n’était pas fait pour moi. Mais j’aimais beaucoup cet endroit, qui ressemblait à une sorte de Poudlard, avec ses vastes espaces et ses nombreuses opportunités. C’est là que j’ai découvert un concours de théâtre étudiant. En y participant, j’ai eu une révélation: je voulais raconter des histoires. Tout a commencé avec une courte pièce de 15 minutes, remplie de blagues absurdes. J’ai écrit l’histoire et j’ai même joué dedans aux côtés de mon ex-petite amie.  

C’est ainsi que mon parcours de cinéaste a débuté. En 2015, j’ai écrit mon premier scénario de long-métrage inspiré de ma pièce. Mais le chemin pour réaliser ce film a été long et semé d’embûches. Pendant des années, je voyais mes collègues avancer, tourner, évoluer tandis que moi, j'étais bloqué avec cette idée.  

Aujourd’hui, je suis heureux. Le film est enfin terminé et j’ai pu le partager avec le public. Pour moi, c’est la plus belle récompense. J’assiste à chaque projection, porté par les réactions des spectateurs. Le film a été projeté dans plusieurs pays, et j’ai remarqué des différences de réception selon les publics. Pour moi, faire du cinéma, c’est tenir un miroir à notre société, à notre réalité et à notre vie. La vie est un mélange chaotique de drame, de comédie, d’émotions contrastées. J’essaye juste de refléter ça dans mes films. Je n’aime pas les genres "purs", comme une comédie pure ou un drame pur. J’aime tout mélanger pour refléter la réalité telle qu’elle est dans nos vies.

 

C. : Quels ont été les défis techniques du tournage ?

P.O. : Tourner dans un espace restreint, comme les petites pièces du vaisseau, était un vrai défi. Nous avons dû adopter une approche minimaliste, sans chercher à faire du spectaculaire à tout prix. Nous n’avons pas essayé de faire plus grand ou mieux que nous sommes. 

Travailler avec Volodymyr Kravchuk (l’acteur principal) a été une expérience fluide. Nous étions déjà amis, et il avait une véritable passion pour ce projet. C’est quelqu’un d’incroyable. Mon rôle en tant que réalisateur était presque simple.
Je lui disais juste : « C’est parfait, continue comme ça ». 
J’ai toujours aimé les films tournés en un seul lieu, avec peu d’acteurs et des contraintes fortes. Mon premier court-métrage se déroulait dans un seul endroit, avec deux acteurs et seulement deux plans. Je ne savais même pas comment monter un film à l’époque ! J’ai tout appris en faisant, et mes courts-métrages ont été ma véritable école de cinéma. Je pense que c’est la meilleure approche quand vous ne pouvez pas vous permettre de payer une école  de cinéma.

 

C. : Qu’est-ce que ça représente de fabriquer un film de science-fiction aujourd’hui en Ukraine ? 

P.O. : Quand j’ai présenté le projet, beaucoup de gens me disaient que c’était impossible parce qu’il s’agissait du premier film de science-fiction ukrainien ! Et en Ukraine, un tel projet est un immense défi : il faut tout concevoir de zéro – les décors, les costumes, le vaisseau, le robot… jusqu’aux petites cuillères ! 
En plus, personne ne croyait en moi. C’était mon premier long-métrage, et personne ne savait si j’étais capable de le mener à bien. Moi-même, je n’en étais pas sûr. C’était un pari risqué, mais j’avais cette passion, cette obsession de finir ce film. 
Aujourd’hui, je suis épuisé… mais heureux. C’est une étrange sensation, un mélange de tristesse et de joie.  Nous avons construit le décor du vaisseau sur un plateau. Il y avait cinq pièces entièrement réalisées pour le tournage. Même le robot Maxim a été fabriqué, et ce n’est pas une création en images de synthèse. 

 

C. : Quels ont été les plus grands défis de votre projet ? 

P.O. : Le premier problème a été le financement. Nous avons dû postuler deux fois à l’Agence du cinéma ukrainien. Construire les décors a aussi été un casse-tête avec un petit budget : comment créer un univers crédible ? J’ai dû lire des tonnes de livres sur l’astrophysique et travailler avec des experts pour les effets spéciaux. En tant que réalisateur, j’avais l’habitude de travailler avec des budgets limités. Ce film m’a appris à collaborer avec des équipes CGI, des producteurs… C’était un vrai défi, mais aussi une expérience incroyable.

 

C. : Est-ce que la guerre a changé quelque chose pour le film ? 

P.O. : Le film s’est passé pendant la guerre. La co-production avec la Belgique nous a beaucoup aidés, notamment pour le casting des acteurs francophones et pour l’enregistrement des voix à distance. À cause de la guerre, nous ne pouvions pas voyager, et les acteurs ne pouvaient pas venir à Kiev. 

Le scénario n’a pas été modifié après l’invasion. Je ne crois pas à l’improvisation. J’avais une histoire à raconter, et je l’ai racontée telle quelle. La guerre, l’invasion ont eu des conséquences pour moi, mais pas pour l’histoire. 

Le film n’a pas encore été diffusé en Ukraine, mais nous préparons une sortie en salle pour l’année prochaine. J’espère que le public ukrainien l’appréciera, car il est rempli de références et de détails qui parleront beaucoup aux Ukrainiens. 

 

C. : Pourquoi avoir choisi comme genre la science-fiction ? 

P.O. : Parce que l’espace est un mystère. Personne ne sait vraiment pourquoi nous sommes là ni ce qu’il y a au-delà. Et même si je ne peux pas aller dans l’espace moi-même, le cinéma me permet de voyager et d’explorer mon imaginaire.

 

C. : C’est quoi, le futur du cinéma ukrainien ? 

P.O. : Une nouvelle vague de jeunes cinéastes en train de faire du documentaire ou des premiers films était en train d’émerger en Ukraine, avec des films très prometteurs. Malheureusement, la guerre a tout interrompu. C’est dommage parce qu’on vit dans un monde alternatif et on aurait pu voir tellement de grands films. Aujourd’hui, l’industrie du cinéma ukrainien survit tant bien que mal. Nous produisons surtout des documentaires, et je pense qu’il n’y aura pas d’autre film de science-fiction en Ukraine avant au moins cinq ans. Ca a été un énorme défi, mais maintenant, ce serait impossible de faire un film pareil. Mais malgré la guerre et les obstacles, nous continuons à raconter des histoires. Nous avons besoin de continuer à les partager. Maintenant, nous survivons, j’espère qu’à la fin, nous pourrons ramener plus de films d’Ukraine. C’est notre réponse à la guerre. 

 

C. : Dans votre film, il y a une citation de Robinson Crusoé qui m’a marquée : "Ma vie aurait pu être bien pire ou bien meilleure ». Pourquoi l’avoir intégrée au projet ? 

P.O. : C’est exactement ce que je ressens. Mon film aurait pu être plus triste, mais j’ai décidé de profiter de l’instant présent.  Aujourd’hui, en Ukraine, nous n’avons pas vraiment de plans pour l’avenir. Nous essayons juste de vivre dans l’instant.

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