Directeur photo du film, grand spécialiste de la caméra à l'épaule, Fromont s'adapte, tel un caméléon, à la pellicule et au numérique. Que ce soit avec Chantal Akerman avec peu de lumière mais en pellicule, ou avec Philippe Reypens avec beaucoup de lumière mais en numérique. Questions-réponses à un cameraman très demandé dans le cinéma documentaire et fiction, en Belgique et dans le vaste monde.
Rémon Fromont sur le tournage d'Eliot
C. : Raconte-nous comment tu travailles avec Philippe Reypens ?
R.F. : Avant le tournage d'Eliot, Philippe Reypens m'a montré les lieux où il voulait tourner, et quelques films qu'il aime bien pour le cadre et les lumières. On se connaît, et je sais qu'il est très précis. On regarde des photos et on se parle. J'ai vu ses films précédents. Je sais qu'il ne va pas vouloir mettre une optique folle au plafond. On s'est vite accordé sur le choix esthétique des cadres.
C. : On t'a vu travailler avec une caméra numérique (l'Alexa).
R.F. : Oui, c'est la première fois que Philippe Reypens travaille en numérique. Il voulait voir ce que cela donne, puisqu'il prépare un film qui va se tourner avec ce support. En fait, on s'adapte aux différentes caméras numériques qui se succèdent depuis six ans. Au début, c'était compliqué à maîtriser. Il y avait trop de contraintes dans l'exposition, tout ce qui était surexposé devenait invisible. Depuis la Red et l'Alexa (Arriflex), avec des capteurs, cela permet d'utiliser les optiques du 35mm ainsi que les nouveaux fichiers. C’est plus simple. Actuellement, on éclaire plus, on fait l'inverse. On a désormais toujours trop de lumière. On ne joue plus qu'avec de toutes petites sources. C'est une grande nouveauté pour le cinéma. Pendant longtemps, comme chef op’, nous avions nos habitudes. On travaillait en pellicule avec du 200 ou du 400 ASA. On avait donc le compas dans l'œil au niveau de la lumière.
Avec le numérique, on a fait d'abord un pas en arrière puisqu'il fallait plus de lumière. Actuellement, avec les nouvelles caméras, c'est l'inverse. On est obligé de mettre des filtres neutres pour faire tomber la trop grande luminosité afin de retrouver la profondeur de champ des caméras 35mm (l'effet de flou et de net). On retrouve un vrai plaisir cinématographique à travailler avec ces nouvelles caméras.
C. : D'où la réutilisation d'objectifs cooke ?
R.F. : Oui, parce que l'image numérique est tellement parfaite qu'elle devient chirurgicale. Même pour faire le point c'est différent de la pelloche. Si le point n'était pas directement sur l'œil en pellicule, l'épaisseur chimique permettait de faire du flou derrière ou avant le point net. En numérique, ou bien c'est net, ou bien c'est flou. Cette netteté, c'est intéressant et, en même temps, elle est trop crue. Pour adoucir, on reprend des optiques réputées pour leur douceur comme Cooke. Les loueurs d'objectifs me disent qu'ils ressortent des séries d'optiques que l'on ne louait plus en 35mm parce que l'image était trop molle.
En ce qui concerne la qualité de l'image, on est arrivé à un point où il ne sert à rien de faire des caméras plus perfectionnées. Il faut trouver des systèmes qui rendent l'image plus chaleureuse. Cela a été très vite. Il y a trois ans, on n’imaginait pas des caméras de cette qualité. On pensait qu'il resterait 10 ou 15 ans de marge par rapport à la pellicule.