Prix « Jeunes talents belges » au Festival International du Film Documentaire Millenium 2020, La musique de Soline raconte la relation intime entre une mère et sa fille qui perd progressivement l’usage de son corps. Dans ce film de fin d’études pour l’INRACI, la jeune réalisatrice Aurélie Maestre Vicario parle de sa famille, de sa sœur cadette et de leur mère, de leur quotidien parsemé de hauts et de bas. La musique de Soline est un film d’une grande tendresse qui met en lumière les joies et les peines partagées par ce trio de femmes autour du handicap de Soline.
Aurélie Maestre Vicario nous joue La musique de Soline
Cinergie : La musique de Soline est un film de fin d’études. Est-ce que l’idée de ce film était présente chez toi depuis longtemps ?
Aurélie Maestre Vicario: J’ai réalisé ce film en troisième année mais dès la première, j’avais réalisé un petit exercice de documentaire sur ma sœur. Comme c’était ma première année en cinéma, ce n’était pas abouti, je n’y connaissais pas grand-chose mais ce petit projet a commencé à naître en moi et j’avais très envie de faire ce film. En troisième année, j’ai profité du financement et du suivi des professeurs.
C. : Pourquoi avoir voulu réalisé un film sur ta sœur ?
A. M. V. : Je suis très fusionnelle avec ma sœur qui est quelqu’un de très important pour moi. Quand j’ai commencé à vouloir la filmer, elle devait avoir onze ans. Je trouve que c’est vraiment une chouette nana et je ne voulais pas qu’elle se limite à son image de personne handicapée. C’était une petite fille pimpante, pleine d’énergie. Dès le début je l’ai filmée en très gros plans. Je voulais lui montrer à quel point elle était resplendissante.
C. : Comment as-tu procédé pour l’écriture du film ? Comment partir d’un sujet aussi personnel pour aboutir à un partage avec le grand public ?
A. M. V.: L’écriture a été un des moments les plus compliqués du film. Dès septembre, j’ai commencé à écrire avec le soutien de mon professeur Sébastien Andrès qui m’a beaucoup soutenue, aiguillée. C’était vraiment une aide précieuse pour moi. J’étais dans une écriture continuelle. J’avais une idée de base quand ma sœur a été hospitalisée, ma mère ne savait pas être là et je suis restée avec elle pendant deux semaines H24 et on a abordé des sujets que je n’aurais jamais imaginé aborder avec elle, ce qui m’a permis d’adopter un nouveau point de vue.
La distance a été amenée pendant le tournage. Pendant l’écriture, je ne me suis mis aucune limite, je savais qu’à part mon professeur, personne ne voyait ce que je faisais. Par contre, pendant le tournage, je ne voulais en aucun cas violer l'intimité de ma soeur et de ma mère. C’était un de mes critères clés. J’ai procédé de la même façon pendant le montage. J’ai visionné tous les rushes avant que le monteur Luca Van Ecke ne les manipule. J’ai fait un tri au préalable car je ne voulais pas tout montrer, je voulais garder une certaine intimité.
Au départ, j’avais très peur de montrer ce film au public. Dans ma tête, c’était un film d’école qui n’était pas censé voyager. Au début, j’étais très mal à l’aise.
C. : Comment as-tu guidé ton équipe pour qu’elle capte ce que tu voulais montrer ?
A. M. V.: Mes intentions de base étaient très claires. Quand j’écrivais, j’en parlais déjà à mon équipe donc ils savaient vers où on allait. Tous les soirs, on faisait un débriefing pour savoir comment on allait procéder le lendemain. J’avais instauré des noms de code avec l’équipe si je sentais une gêne de la part de ma mère ou de ma sœur pour ne pas qu’ils filment à ce moment-là. On a aussi vécu deux semaines entières avec l’équipe et ma famille, par la force des choses, l’équipe est devenue une partie de ma famille ce qui a favorisé cette aisance pendant le tournage. Il y a eu aussi beaucoup de moments où j’étais seule avec ma sœur et ma mère pour qu’il n’y ait pas cette gêne.
C. : Comment ta sœur et ta maman ont réagi à l’idée de ce film ?
A. M. V.: Au début, le film n’était que sur ma sœur qui était très à l’aise avec ça puisque je la filme depuis tellement longtemps. Au fur et à mesure des repérages, je me suis rendu compte que ma maman était un personnage très important dans le récit que je voulais montrer. Ma maman était un peu plus réticente au début, elle voulait qu’on voit seulement ses mains mais guère plus. Personnellement, je trouvais que c’était un magnifique portrait d’elle qui la mettait en valeur même si elle ne l’accepte encore pas trop aujourd’hui. Elle n’aime pas son image et ne voit que le négatif alors que je trouve que c’est une femme très belle et très forte. C’est ce que j’ai essayé de montrer.
C. : Ta mère occupe une grande place dans le développement de ta sœur.
A. M. V. : Oui, pour moi ce film est un film sur une adolescente qui est en pleine rébellion d’ado et qui dépend physiquement de sa mère qui tente vaille que vaille de prendre sa place de maman mais qui doit aussi s’occuper d’elle. Il s’agissait de trouver un juste milieu entre ces deux rôles.
C. : Est-ce que le film a déclenché une discussion entre vous ?
A. M. V. : Le film a été très thérapeutique au niveau de ma famille car il a permis d’aborder certains tabous que nous n’abordions pas auparavant. Par exemple, les états d’âme de ma sœur qu’elle gardait pour elle et qu’elle ne partageait pas spécialement avec ma maman. Le film a permis de débloquer certaines choses et d’avoir pas mal de compréhension des deux côtés. Il y a vraiment eu un avant et un après film.
C. : Et toi, où te situes-tu dans cette relation à trois ?
A. M. V.: J’ai l’impression d’être l’entremetteuse. Je comprends tout à fait le point de vue de ma maman et celui de ma sœur. Quand il y a des conflits entre elles, je suis au milieu et je les relie. C’est pour cela que je me suis mise en hors champ dans le film. Cela leur permettait de se sentir beaucoup plus à l’aise, comme je parlais derrière la caméra, elles avaient l’impression que la caméra n’existait pas. La dynamique aurait été fausse si je n’étais pas intervenue.
C. : Au moment où tu as filmé avec l’équipe, c’était toi qui étais derrière la caméra ?
A. M. V.: Pas tout le temps. Dans la séquence à l’hôpital, j’ai filmé une grosse partie. Je me suis occupée des moments intimes, les moments de mise au lit, etc. Je fais attention de ne pas filmer ma sœur quand elle est dénudée par exemple. Par contre, les moments au piano, au théâtre, quand elle mange, étaient pris en charge par l’équipe entière. Je ne voulais vraiment pas qu’elles se sentent violées dans leur intimité, c’était mon mot d’ordre.
Tout le monde ne réagit pas de la même façon face au handicap. Comme je vis avec ma sœur depuis toujours, je ne vois pas son handicap mais les autres qui ne connaissent pas ma famille, notre quotidien sont un peu déroutés et il leur faut un temps d’adaptation d’autant plus que Soline a beaucoup d’autodérision. Il y a donc eu des moments avec toute l’équipe, des moments avec l’ingénieur du son qui était caché dans la cuisine pour bien mixer mais c’était moi qui filmais et il ne voyait rien, il y avait beaucoup de dispositifs différents en fonction du contexte.
C. : Pourquoi voulais-tu faire ce film ?
A. M. V. : Je l’ai réalisé parce que je voulais faire un portrait aussi bien de ma sœur que de ma mère. Pour moi, ce film parle d’amour et je voulais leur montrer à quel point elles sont belles et à quel point leur relation est superbe. Elles se tirent souvent dans les pattes et s’envoient des piques mais je voulais montrer ce lien qui existe entre elles et que je trouve magnifique.
C. : Comment peux-tu qualifier l’aide que tu as reçue de ton professeur ?
A. M. V. : J’ai beaucoup de mal à trouver les mots et il m’a beaucoup aidée dans l’écriture. Je lui expliquais ce que j’avais dans la tête et il m’a aidée à mettre ça sur papier. C’était mon premier film donc je ne savais pas comment rédiger un dossier pour le jury, je ne connaissais pas les normes à respecter, etc.
De septembre à début décembre, on se voyait une fois par semaine et on parlait pendant une heure de ce film. J’en ai aussi beaucoup discuté avec mon équipe qui était à fond dans l’écriture. Je les ai inclus directement parce que c’était important pour moi qu’ils comprennent le cheminement du film sur ma sœur au film sur un trio.
C. : Ce film a été montré en festivals. Tu t’es donc sentie prête à le montrer au grand public.
A. M. V. : Au début, je ne voulais pas qu’il aille en festivals mais l’école aimait bien le film et a voulu l’inscrire en festivals, ce que je peux comprendre. Finalement, j’étais contente parce que cela nous amenait une reconnaissance à tous et aussi pour ma maman qui s’est sentie un peu valorisée alors qu’elle se voyait comme une mère atroce sans patience. Elle est patiente, bienveillante et il y a des moments où elle craque et c’est normal.
C. : Le fait de montrer ce film au grand public t’a permis de prendre du recul ?
A. M. V. : Oui, j’ai pris du recul. J’ai mis du temps à tourner la page sur ce film parce qu’émotionnellement cela a été très costaud. On a fouillé le passé pour comprendre le pourquoi du comment donc j’ai pris beaucoup de recul l’année dernière pendant que le film suivait son petit bonhomme de chemin. C’était une expérience incroyable dont je me souviendrai toute ma vie. C’était ma première expérience en tant que réalisatrice et je m’y réfèrerais toujours. Maintenant, je suis prête à écrire d’autres films.
C. : D’où vient le titre de ton film ?
A. M. V. : Ma mère est musicothérapeute. La musique, c’est sa passion, c’est toute sa vie. C’était une manière d’inclure ma maman dans le titre. De plus, tout au long du film, Soline apprend un morceau au piano. Parfois, elles sont un peu tendues autour du piano, parfois elles sont heureuses et c’était pour moi le fil conducteur de l’histoire. Je voulais lier ma maman par la musique à Soline.