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Rencontre avec Gaspar Chabaud pour Tête de linotte

Publié le 15/09/2020 par Constance Pasquier et Nastasja Caneve / Catégorie: Entrevue

Il y a quelques mois, quand on pouvait encore se rassembler dans les salles obscures sans contraintes sanitaires, on avait vu Tête de linotte de Gaspar Chabaud dans la sélection belge au festival Anima. Coup de cœur. Prix Cinergie. On a été séduits par ce petit binoclard à tête de piaf noyé dans sa baignoire. Après un confinement interminable, on rencontre enfin ce jeune réalisateur, originaire de Toulouse, qui entre aujourd’hui en deuxième année à La Poudrière.

Cinergie : Quel est ton parcours ?

Gaspar Chabaud : J’ai grandi à Toulouse dans le sud de la France. J’ai fait une prépa artistique à Paris. Puis, j’ai fait les Beaux-Arts de Toulouse où j’ai validé une licence après trois ans. À partir de la troisième année, j’ai découvert l’animation que j’avais en tête depuis un moment. Je me suis dit que c’était ce que je voulais faire car ce qui me manquait avec le graphisme, c’était de ne pas pouvoir raconter d’histoires. Même si j’aimais le graphisme, je ne me sentais pas créatif dans ce domaine. En troisième année, je suis allé aux portes ouvertes de La Cambre pour découvrir les différentes options et j’ai flashé sur la section animation. J’ai tenté le concours en troisième année mais je n’ai pas été pris. Je suis retourné à Toulouse pour faire ma quatrième année que j’ai abandonnée en cours de route et j’ai tenté plusieurs concours en France, mais sans succès. J’ai alors retenté La Cambre et ça a fonctionné.

 

C. : D’où vient l’idée de Tête de linotte ?
G. C. : J’ai réalisé ce projet en troisième année à La Cambre. En première année, on a des exercices basiques d’animation. En deuxième année, on a dû mettre doucement le pied à l’étrier en réalisant une adaptation. En troisième année, on écrit une histoire pour la première fois. J’avais une idée incertaine en tête et, pendant l’été, quand je devais écrire le film, je suis tombé sur une photo de moi à l’âge de 7 ou 8 ans. J’avais eu un accident de voiture avec ma mère, j’étais à l’hôpital, allongé dans un lit, j’avais le visage tuméfié. Mon père m’avait pris en photo, je souriais et en même temps, j’avais ce visage explosé. Je me suis dit que ce serait marrant de faire un film qui remonterait à la source. J’en suis arrivé aux maths qui ont vraiment été traumatisantes pour moi quand j’étais petit. Je révisais tous les jours avec ma mère, un peu avec mon père. J’ai eu envie de parler de ça.

 

C. : Ce personnage principal, c’est un peu toi.

G. C. : Oui mais dans les faits, je faisais beaucoup plus d’efforts que mon personnage. Je n’étais pas aussi vide que lui, j’y mettais un peu plus du mien.

 

Tête de linotte de Gaspar Chabaud

 

N. C. : Quelles étaient tes sources d’inspiration pour les traits du personnage ?

G. C. : Le titre m’est venu très vite en tête parce que c’est une expression que je trouve rigolote. Ma prof de CP m’avait « insulté » de Tête de linotte. Je trouve que c’est une manière sympa de dire à quelqu’un qu’il est un peu tête en l’air. À la base, je voulais que l’enfant soit humain et que la mère prenne les traits d’une poule. J’avais en tête l’idée de la mère poule, de la poule couveuse. J’en ai discuté avec une amie qui m’a proposé d’affubler le personnage d’une tête d’oiseau au vu du titre du film.

 

C. : Quelles techniques as-tu utilisées dans le film ?

G. C. : J’ai fait tous les décors à la main. Je les avais faits à l’aquarelle sur grand papier. J’aimais la technique de l’aquarelle et de l’encre noire. Je ne voulais pas m’ennuyer avec la couleur. C’est après, quand j’ai scanné les dessins, que je les ai colorisés sur Photoshop. Je travaillais sur des A3, j’étais assez libre dans le trait. Je n’aime pas trop être précis dans le dessin donc, ce qui est bien avec l’aquarelle, c’est que quand je rate, je peux faire des repentirs. Les petits défauts ne me dérangent pas trop et ne me stressent pas alors que je suis bloqué avec les crayons fins.

Par contre, toute l’animation est en 2D numérique avec TvPaint. J’avais fait un stage avec Aude Ha Leplège (Saigon sur Marne) pendant un mois et elle m’avait montré qu’on pouvait mixer du traditionnel fait main avec du numérique. Après, j’ai tenté de trouver un moyen pour que les deux techniques communiquent.

 

C. : Comment s’est passée ta rencontre avec Caroline Mounier, la voix off de ton film ?

G. C. : J’étais allé au théâtre quand j’étais aux Beaux-Arts et en 2015, on est allé voir Les Particules élémentaires, pièce mise en scène par Julien Gosselin. Cette pièce de trois heures m’a vraiment beaucoup plu. Et, j’ai été scotché par le timbre de la comédienne. J’avais voulu lui envoyer un message pour la féliciter mais je ne l’avais finalement pas fait. Je l’avais un peu oubliée. Quand j’écrivais Tête de Linotte, je pensais à Valérie Bonneton qui joue Fabienne Lepic dans la série Fais pas ci, fais pas ça. Mon personnage de la mère est très inspiré de Fabienne Lepic. Comme je savais qu’il n’y aurait qu’un personnage qui parle, je voulais lui donner une présence importante. Il fallait qu’il joue bien, qu’il ait un timbre puissant. J’ai donc pensé à Caroline Mounier. J’ai écrit à son agent, j’ai fait une lettre de motivation, j’ai expliqué mon projet. J’ai reçu son contact et une demi-heure après, elle me disait qu’elle était partante. Je suis allée chez elle à Paris avec un micro. On a enregistré pendant deux heures, elle m’a fait plein de variations. Je lui ai proposé de la payer mais elle n’a pas voulu.

 

Tête de linotte de Gaspar Chabaud

 

C. : Le travail autour de l’eau était assez poussé dans Tête de linotte. Est-ce que tu es allé plus loin dans la symbolique ?

G. C. : J’étais très orienté par le thème mais je n’envisageais pas un intérêt particulier pour l’eau. Quand je pense aux problèmes mathématiques, c’est ce problème de la baignoire, que je n’ai jamais compris, auquel je pense. Je n’avais pas envie de m’atteler à la résolution du problème. Or, pour le texte, il fallait que j’aie la solution. J’avais demandé à des personnes extérieures de résoudre le problème pour que mon texte soit plus réaliste. Mon professeur de son m’avait invité à enregistrer des bruits d’eau. Je me suis amusé chez moi à enregistrer ma baignoire, j’avais fait beaucoup de prises de son. J’ai demandé un peu d’aide à mes camarades pour l’animation de l’eau et de la fumée.

 

N. C. : Comment as-tu vécu ta période de confinement ?

G. C. : Pour l’instant, je suis à La Poudrière, une école de réalisation en France où on nous apprend vraiment à écrire. Je suis parti là-bas et on réalisait un film d’une minute. On devait répondre au thème « L’homme et l’animal » et je faisais un film sur une chorale avec des oiseaux qui ont des voix humaines. Le vendredi 13 mars, je devais enregistrer 7 personnes, j’étais stressé parce que je n’avais jamais fait de direction. Et, le 13 mars, c’est le jour où tout a basculé en France, mon ingénieur son n’a pas pu venir. Je me suis retrouvé avec un son de mauvaise qualité pendant tout le confinement et j’ai animé tout le film avec ce son. Finalement, j’ai fini par enregistrer les sept personnes mais c’était un peu galère. Pour moi, ce n’était pas une super bonne période pour travailler chez moi. J’avais du matériel mais c’était très difficile sans le son.

 

C. : Pourquoi as-tu choisi le médium de l’animation ?

G. C. : J’ai choisi l’animation parce que j’ai toujours un peu dessiné, et je crois que je préfère la gestion d’un film animé, sans avoir fait de la prise de vue réelle. J’avais rencontré des personnes à l’INSAS qui me disaient qu’elles travaillaient avec une équipe de minimum 15 personnes. J’éprouve des difficultés à communiquer avec de grosses équipes. Avec l’animation, c’est différent. Les effectifs sont réduits et c’est plus confortable pour moi.

 

C. : Penses-tu que l’animation permet d’aborder plus librement certains sujets ?

G. C. : Oui, on est face à sa feuille et tout est possible. Même si mon film ne traite pas d’un sujet drôle, j’aimerais toujours intégrer l’humour et de la légèreté dans ce que j’écris, peu importe le thème abordé.

 

C. : Tu voudrais tenter d’autres techniques ?

G. C. : Avec la 2D numérique, je gagne du temps. J’aimerais aller vers de la 2D dessinée à la main. Concernant la stopmotion, je préférerais animer des marionnettes plus que faire la préproduction qui me fait assez peur. Je ne suis pas attiré par l’image de synthèse.

 

Tête de linotte de Gaspar Chabaud

 

C. : Tu as des projets pour la suite ?

G. C. : Il me reste un an à La Poudrière. Je dois réaliser un film cette année, mais je n’en parle pas trop. Ce sera encore un film qui va traiter de la colère, thème récurrent dans Tutu et Tête de linotte. Le film parlera des petits riens. Et puis, après la projection au Jacques Franck de Tête de linotte en début de cette année, Sarah Pialeprat m’a contacté pour faire la bande annonce du Brussels Art Film Festival pour novembre 2020

 

C. : Travailler sur un projet non narratif te plaît ?

G. C. : Je suis content parce que, après mes études, j’aurais envie de réaliser mais je trouve ça bien de ne pas faire que ça. J’espère avoir des commandes de clips, de bandes annonces. J’ai aussi une casquette de designer graphique et je voudrais la mettre à profit.

 

C. : Comment vois-tu ton avenir dans ce secteur culturel un peu secoué ?

G. C. : Cela ne me fait pas trop peur. Certains intervenants en animation disaient que ce médium permettait de travailler seul, de gérer à distance une production animée. Pour la prise de vue réelle, c’était plus compliqué. L’animation est un peu « sauvée » mais je ne me repose pas sur mes lauriers. Je n’ai pas envie d’être bloqué par l’angoisse donc je continue d’avancer.

C. : Tu as eu de bons retours sur tes derniers projets ?

 

G. C. : Je suis allé à Angers avant Anima et j’ai eu de bons retours. C’est très agréable mais on nous attend au tournant. C’est bien mais on verra si le suivant convainc.

 

C. : Si tu devais nous citer trois films d’animation qui t’ont marqué ?

G. C. : Yoriko Mizushiri, une japonaise qui a réalisé la bande annonce pour l’Animafest de Zagreb. Elle fait des animations très sensorielles, très lentes elle a réalisé Maku. J’avais aussi adoré L’Ogre de Lorène Braibant qui est à la fois contemplatif, drôle, poétique, humoristique. Je l’avais contactée pour faire un stage chez elle, je l’ai rencontrée finalement à La Poudrière. Cette année, j’ai vu Genius Loci d’Adrien Merigeau qui a travaillé avec Brecht Evens. Le film est esthétiquement incroyable.

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