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Rencontre avec Léopold Legrand pour la sortie d'Angelika

Publié le 10/01/2018 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Dans le cadre de ses études à l'INSAS et de Regards Croisés, Léopold Legrand a posé ses valises à Lodz, en Pologne pour réaliser son court-métrage Angelika. Merveilleuse occasion pour ce jeune réalisateur de découvrir une autre façon de travailler, dans un autre pays, un autre contexte. Dans ce documentaire, récompensé par le jury de Cinergie au festival Filmer à Tout Prix 2017, Léopold Legrand dresse le portrait de la petite Angelika, une fillette de 7 ans placée dans une institution pour des raisons jamais clairement explicitées dans le film mais que l'on devine difficiles. Il suit le quotidien de cette petite héroïne vaillante qui rend fréquemment visite à son meilleur ami, le chien de la famille placé dans un chenil...

Cinergie : Ce film, tu l'as fait dans le cadre de Regards Croisés via l'INSAS. Tu as été envoyé à Lodz en Pologne. Comment cela s'est-il passé ?
Léopold Legrand :
C'est un partenariat avec l'INSAS et l'école de Lodz qui se fait chaque année. L'idée, c'est de partir pendant un mois, un mois et demi pour faire un documentaire. Je suis arrivé là-bas avec l'envie de faire un film sur l'abandon. J'ai rencontré un étudiant polonais qui s'est occupé de toute la production là-bas à qui j'ai demandé si je pouvais visiter des institutions avec des enfants. J'en ai fait trois ou quatre et je suis tombé sur celle-là et sur le personnage d'Angelika. Elle a été placée mais elle a toujours ses parents. J'ai vu chez elle quelque chose de très fort dans le regard. On ne voulait pas leur voler leur histoire. On ne voulait pas parler du contexte, de ce qui leur était arrivé pour être là. Chez elle, il y avait quelque chose dans son attitude qui racontait déjà beaucoup. On a créé un lien, on a demandé l'autorisation aux gens du centre et à sa maman. Je ne parlais pas polonais, donc c'était une communication non verbale. C'était un jeu entre elle et nous. Elle était très contente de ne pas aller à l'école et de participer au projet. La rencontre s'est faite comme ça. On a passé trois semaines à se faire intégrer, jouer avec les enfants, observer. J’ai écrit le scénario de mon côté et on a tourné pendant une semaine.

C. : Pourquoi voulais-tu faire un film sur l'abandon ?
L.L. :
J'ai perdu ma mère quand j'étais petit et l'idée de résilience m'animait. J'avais cette envie-là mais je ne voulais pas la plaquer sur un autre sujet. Je pense que c'est pour cela que j'ai voulu aller dans des institutions pour enfants. Quand j'ai choisi le personnage d'Angelika, j'ai tenté de découvrir son histoire en parlant avec les gens du centre, avec d'autres enfants. Et je me suis demandé comment on pouvait raconter, de la manière la plus pudique possible, son histoire, comment elle grandit sans ses parents, comment elle a reconstruit une famille, comment elle effectue un report affectif sur son chien, etc. L'enfance et la lutte d'un enfant dans des moments compliqués était quelque chose qui m'animait avant.

C. : On n'a pas l'habitude de voir la réalité des institutions pour enfants. Comment pourrais-tu la décrire ?
L.L. :
C'était assez particulier car on a tourné avant décembre, juste avant Noël. C'était extrêmement violent. C'est une période délicate car pour la plupart des enfants, Noël, c'est la période de réunion familiale, du sapin, etc. Comme ils n'ont pas de famille, il y a une sorte d'électricité qui règne dans les homes qu'on a visités. On ne se sentait pas capables en si peu de temps de raconter ces lieux. Le home d'Angelika est assez particulier car les enfants vivent à l'étage, et en bas, il y a des personnes âgées qui viennent passer la journée. Il y a un mélange entre les enfants et les personnes âgées et cela rendait l'endroit un peu plus doux, un peu moins agressif. Ils étaient contents qu'une activité extérieure se fasse à cette période-là. Je n'ai pas voulu rendre compte de l'agressivité ambiante, des disputes, des cris. Au montage, on n'a pas utilisé ces images, on voulait se centrer sur le personnage d'Angelika, sa quête, son rapport avec son chien au chenil et pas faire le portrait d'un lieu car ce n'était pas le sujet.

C. : Tu as écrit une histoire pour pouvoir mettre ce personnage extraordinaire en scène. Quel est ton sentiment par rapport à cela ? En tant que documentariste, comment considères-tu la part de réel dans ce documentaire ?
L.L. :
J'avais fait un seul documentaire avant dans un centre pour personnes malentendantes. J'avais passé beaucoup de temps dans ce lieu avec ma caméra. Je m'étais dit que j'allais construire un récit à partir de toutes ces images. Mais je me suis rendu compte que ce n'était pas la bonne méthode d'avoir des heures de rushes pour construire une histoire. Je voulais passer beaucoup de temps à repérer, capter la réalité de ces enfants sans ma caméra et à partir de ces observations, je voulais construire le scénario. Dans le film, il y a plusieurs personnages extérieurs au centre que j'ai rencontrés et convoqués dans le film : le psychologue qui m'a aidé à construire mes interviews est externe au centre, le vieux monsieur avec qui elle parle dans le tram sur son chemin vers le chenil est une personne à qui j'ai demandé d'être là. Il s'agissait de mises en situation d'événements et je voulais qu'il se passe quelque chose. Angelika ne fait jamais le trajet seule vers le chenil. Cela servait au film, on a remis en situation.

C . Tu avais déjà fait ce trajet avec elle auparavant ?
L.L. :
Pour cet exemple-là, non. Je l'avais entendue parler de son chien donc je savais qu'elle y allait. Mais je voulais en faire un personnage très autonome et je voulais faire un film à hauteur d'enfants, avec presque seulement des enfants. Elle m'a expliqué quel était le trajet, on est monté dans le tram et on a dit qu'on ne voulait que la petite et personne d'autre, on a demandé aux accompagnants de ne pas être dans l'image. On tord la réalité, on la manipule. C'est un scénario de documentaire. Je ne raconte pas l'histoire réelle d'Angelika mais un film inspiré de sa vie.

C. : Comment a-t-elle géré le rapport avec la caméra ? On dirait qu'elle ne voit pas la caméra.
L.L. :
C'était un jeu entre elle et nous. La seule consigne était de dire qu'on ne regardait pas la caméra. C'est aussi ça l'innocence des enfants : après cinq minutes, c'est comme si la caméra n'existait plus. On lui disait de jouer, de faire ce qu'elle voulait. On l'observait et quand un détail nous intéressait, on lui demandait de le refaire et on la filmait. Les mises en situation se déroulaient comme ça. Je pense que c'est le propre des enfants, au début, ils sont un peu perturbés par la caméra mais après cinq minutes, ils l'oublient.

C. : Tu oscilles entre fiction et documentaire, est-ce que tu vas faire un choix ?
L.L. :
Je ne veux pas faire de choix. J'ai envie d'avoir la possibilité de faire les deux. C'est le sujet qui va déterminer si c'est une fiction ou un documentaire. J'aime tourner les documentaires comme une fiction, je ne veux pas être dans la captation mais faire de la mise en scène documentaire. Quand je fais de la fiction, c'est l'inverse, je veux que ce soit inspiré des choses qui m'entourent. J'ai été bien formé à l'INSAS : leur politique c'était qu'il ne fallait pas grand-chose pour faire des films. Il faut juste savoir observer ce qui se passe autour.
En fiction, il y a une logistique plus lourde, il faut diriger une équipe, savoir communiquer avec elle. Avec le documentaire, il s'agit d'établir un rapport avec le sujet filmé. Je m'amuse plus en fiction parce qu'on crée tout, il y a un jeu avec les comédiens. Mais, j'ai grandi avec le documentaire même si je n'en ai pas fait des tonnes. En travaillant sur ce film, j'ai l'impression d'avoir beaucoup appris et d'avoir vraiment établi un contact avec elle. Ce sont deux plaisirs très différents, mais je veux continuer à faire les deux.

C. : Avant l'INSAS, qu'as-tu fait ?
L.L. :
J'avais fait Khâgne Hypokhâgne, des études littéraires option cinéma à Paris au lycée de Sèvres. C'est censé préparer à l'école normale supérieure mais je n'avais pas le niveau pour faire cette école. Pendant ma formation, j'ai fait deux films en première et deuxième année et je me suis dit que je voulais raconter des histoires de cette manière-là.

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