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Rencontre avec les trois réalisateurs du documentaire Tandem Local

Publié le 22/09/2021 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Les gamins au vélo

En pleine tournée de leur étonnant et joli film Tandem Local qui, avec bienveillance, positivisme et vulgarisation, nous interroge sur de nouveaux modèles alimentaires plus équitables et solidaires, les trois réalisateurs du projet, Ludovic Bollette (initiateur), Marc-Antoine Boyer (cadreur) et François Legrand (producteur) ont répondu à quelques-unes de nos questions.

Leur démarche remonte à l'été 2019. Via un périple de plus de deux mois à vélo à travers les dix provinces belges, à la rencontre de producteurs alimentaires, ils ont entrepris de donner la parole à des citoyens qui, chaque jour, se mobilisent pour faire évoluer – voire changer – les mentalités à propos de la consommation locale. Le tout, à cinq (avec un ou deux membres «tournants») et en tente, de Bertrix à Ostende, en passant par Bruxelles et le Hainaut.

 

Cinergie : Votre film, Tandem Local, est officiellement sorti ce 9 septembre. Mais votre tournée se poursuivra au moins jusqu'en novembre. Comment se déroule-t-elle, jusqu'ici ?

Ludovic Bollette : Voir de nombreuses personnes assister au film, ça fait plaisir. Après, comme on a surtout des spectateurs déjà convaincus par la thématique, on aimerait attirer plus des «non-convaincus». Mais on l'a déjà remarqué, certaines personnes ont déjà commencé à changer leur façon de consommer grâce au film !

François Legrand : On a déjà vécu des moments frustrants, comme à l'avant-premières de Namur et de Liège, où il a fallu refuser du monde ! On cherche d'ailleurs encore quelques salles de ces côtés-là, si jamais (sourire)...

 

C. : À partir de quand ce projet tourné «à l'arrache» entre quelques bénévoles a-t-il été pensé comme un vrai film de cinéma ?

Marc-Antoine Boyer : À la base, on pensait juste faire une série pour Youtube. Mais quand on a regardé nos premières images et qu'on a vu que le projet suscitait de l'attention en amont, comme celle de Simon Fransquet (le Magritte de la meilleure musique en 2019), on s'est dit : «Pourquoi ne pas monter d'un niveau ?». Et effectivement, malgré nos petits moyens, on arrive à être diffusés dans des salles. Donc là, on est au-delà de nos attentes. C'est le nirvana !

F.L. : Le miracle vient aussi du fait qu'on a tourné tout le film avec des micros-cravates et sans perche. On a été aidé par un super ingénieur du son, Alexandre Rocher, qui a rajouté des bruits d'ambiance dans chaque plan. Finalement, on ne remarque même pas cette petite "triche". Puis, grâce à une rencontre faite à la RTBF (NDLR: coproductrice, la chaîne diffusera le film en 2022), on a pu retourner trois jours avec un pilote de drones, Arnaud Stoumont, qui lui aussi a permis de donner une dimension professionnelle au projet. Comme Pamela Ghislain, une comédienne qui a été précieuse comme interprète pour la partie flamande, ou le monteur, Pablo Vallée-Denoual qui, avec le covid, a bossé pendant un an. Ce qui n'a pas été simple pour lui, car on ne savait pas ce qu'on voulait. Et quand des réalisateurs ne savent pas ce qu'ils veulent... (rire)

L.B. : C'est vrai, mais notre monteur n'était lui pas un «convaincu» ! Mais c'est bien, ça nous a permis de convaincre un «non-convaincu». (rire)

 

C. : En d'autres termes, votre film est dans l'air du temps tant dans son contenu que dans sa manière d'être fait...

F.L. : Oui, mais tout ça a été sportif et ne pourrait pas se faire systématiquement. Pour parler chiffres, on a réussi à trouver 45.000 euros d'aides financières, et l'équivalent de 122.000 euros d'apport en nature. Des techniciens ont réduit leur salaire, car tout le monde était motivé : c'est en fait un projet qui a bénéficié d'énormément d'entraide.

M-A.B. : Quand on est parti sur nos vélos, il n'y avait pas d'argent. Ce n'était que du bénévolat. Les deux mois de tournage, pendant juillet-août, ont été très compliqués. Ce n'est vraiment qu'en le faisant qu'on a changé notre fusil d'épaule. Et qu'à partir du montage qu'on a sollicité un financement participatif (NDLR: de 219 citoyens contributeurs), d'ailleurs.

F.L. : Puis, la RTBF nous a rejoints pour une aide à la finition. Comme la SABAM, les Villes de Bruxelles et de Liège ou le mouvement Terre-en-vue, et d'autres. Des petites aides peut-être, mais toutes sont importantes. Car sur les 1.100 kilomètres parcourus, nous avions 90 interviews, soit plus de vingt heures de matière filmable....

 

C. : L'un de vos principaux objectifs reste de toucher un maximum de public ?

L.B. : De surtout toucher les gens par rapport à la problématique que connaissent nos producteurs locaux, et en montrant que ça bouge bien, chez nous. Si un film français comme Demain (2015, de Cyril Dion & Mélanie Laurent) a créé beaucoup d'initiatives, c'est important de voir qu'un mouvement est en cours ici aussi. Puis, plutôt que d'aller vers des gens connus, on a interrogé des citoyen(ne)s inconnues du grand public. Pour être en phase avec les valeurs du projet. On espère que ça inspire...

F.L. : Vendre sa maison pour aller tourner des documentaires à l'autre bout du monde en prenant l'avion pour interviewer des gens (re)connus, c'est très bien. Mais filmer ce qui se passe ici, ça nous semble tout aussi important. Car ce qui se déroule dans d'autres pays n'est pas forcément la même chose en Belgique. Qui est en plus un beau pays à visiter ! Avec le film, on a envie de faire comprendre aux gens que manger local reste un acte simple qui couvre un tas de politiques différentes : écologique, économique, sanitaire ou sociale. Que ce n'est pas spécialement plus cher si on se renseigne bien, et que c'est même... savoureux !

L.B. : Manger local, c'est voter, en fait. Là, on vote climat ! Notez, moi je suis là, mais comme je viens de me lancer comme maraîcher, je n'ai pas beaucoup de temps pour faire de la promo....

M-A.B. : Pour moi, Tandem Local est d'abord une aventure humaine. En le réalisant et en passant du temps avec toutes ces personnes, on voulait que les spectateurs s'assoient, prennent le temps d'écouter des agriculteurs actifs sur le terrain, en ayant conscience de ce qu'ils vivent. Dans beaucoup de films du genre, on voit des experts, or là, ce sont vraiment des gens. Jeunes ou vieux, mais tous poussent leur ras-le-bol sur leur métier. Pour moi, le film, c'est ça...

 

C. : Votre sortie a été post-postée d'un an à cause du COVID. Finalement, cette crise, qui a suscité dans la population une attention vers le local, n'a-t-elle pas été la meilleure des publicités pour vous ?

L.B. : C'est que le film devait sortir à ce moment-ci ! (sourire)

F.L. : Oui, mais on sait qu'on a quelques personnes réticentes, notamment en Flandre, qui est moins avancée que la Wallonie autour de la souveraineté alimentaire, par exemple. Mais on comprend. On a tous eu des petits boulots dans le passé, on sait ce que c'est. Comme moi, dans un call-center pendant trois ans. Les gens sont fatigués, pas forcément au courant et n'ont pas toujours l'occasion ou l'énergie de penser à d'autres alternatives. Et donc, de modifier leurs habitudes. On vit quand même dans un monde de fous, avec beaucoup de stress. Donc, à moins d'essayer soi-même de ralentir la cadence, c'est difficile de changer. Mais en effet, vu l'essor du local, dopé par l'épidémie, on a encore été plus convaincus par notre démarche. Même si on n'est pas là pour offrir la bonne parole, mais bien pour donner un point de vue.

 

C. : Votre film le dit : la Belgique est plutôt bien lotie au niveau alimentaire. Elle pourrait même presque s'en sortir seule pour nourrir ses onze millions d'habitants !

F.L. : Oui, bien qu'il nous manque encore quelques producteurs de céréales. Mais concernant les légumes ou la viande, on est de très bons élèves. Le film tue aussi quelque clichés, en faisant rencontrer végétariens, omnivores ou flexitariens (NDLR : vocable désignant les consommateurs éclairés), flamands et francophones. C'est important de parler de tout ça, car certaines études de l'effondrement le disent : une variation du prix du pétrole, une guerre ou un changement politique drastique dans un grand pays comme la Chine ou les États-Unis sont des choses qui pourraient créer des pénuries plus problématiques, en un rien de temps. Je dis ça en espérant bien sûr que tout aille bien et qu'on... continue à manger localement, ça reste ça l'important...

 

C. : Au terme de cette première aventure filmée, vous avez de la suite dans les idées ?

F.L. : On a encore pas mal de sollicitations pour le film. Des écoles nous contactent, pour qui Tandem Local peut servir d'outil. On garde toujours en tête une série web. Car plein d'intervenants n'apparaissent hélas pas dans le documentaire, faute de place. Alors qu'on a rencontré de superbes personnes qui transforment par exemple du chocolat, du café, du soda ou de la bière. Qui nous parlent de la pêche durable, aussi. On pourrait donc se servir de ces bonus sur plusieurs épisodes. Tout dépendra du temps et de la trésorerie de Permavenir (NDLR : le nom de son association, qui inspire et éduque à la transition écologique). On aimerait aussi traduire le film en anglais, en espagnol et en flamand. On verra, donc...

L.B. : Mon principal souci va être de gagner ma vie correctement. Comme je ne touche actuellement que 950 nets avec mon maraîchage, je travaille en parallèle dans le bâtiment. Mais j'ai plein d'idées, comme faire un verger, un amphithéâtre dans un champ pour montrer des films, créer d'autres maraîchages, une école spécialisée sur le local...

M-A.B. : Moi, après ce film, j'ai décidé d'arrêter mon travail. J'en avais de toute façon marre de bosser tout le temps. Là, j'ai envie de me consacrer à moi et à ce que j'ai réellement envie de faire. J'ai donc pris une année sabbatique, pour prendre le temps de m'arrêter.

L.B. : Moi en fait, je ne réalise toujours pas que le film est fini...

M-A.B. : Oui, c'est presque trois ans de notre vie, quand même !

F.L. : Et en frôlant le burn-out. Avec des copines qui ont pas mal souffert, aussi...

M-A.B. : Quelques engueulades, aussi. Enfin, quand même pas assez pour les montrer dans le film (rire). Mais il y avait une sorte d'étincelle qui nous disait qu'on ne pouvait pas arrêter de le tourner.

L.B. : Oui, puis quand on l'a projeté dans un champ et qu'on a vu des gens émerveillés rester jusqu'à trois heures du matin pour parler du documentaire, de se demander comment consommer autrement... Voir les changements que le documentaire provoque, moi...

F.L. : C'est vrai que quand on voit certaines personnes émues et même parfois pleurer, je me dis qu'on a quand même réussi notre coup...

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