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Dans la main de Dieu, de Peter Woditsch

Publié le 15/05/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

A la recherche d’œuvres d'art cachées, mises au rebut pour caractère nuisible, Peter Woditsch, en repérage pour son précédent film Musées secrets, avait fait d’étranges rencontres. Il n'y a pas que les objets que l'Eglise tente de dissimuler. Aux côtés des armoires qui regorgent de pénis provenant des sculptures de la Renaissance, émasculées par la bienséance religieuse, Peter rencontre également des prêtres catholiques chassés de la famille du Christ, excommuniés. Qu'ont-ils pu faire pour mériter les foudres du Vatican ? Pédophilie ? Viol ? Meurtre ? Dans la main de Dieu est cette recherche du profondément spirituel, ce sentiment qui n'a pas de couleur dogmatique, qui ne se plie à aucune hiérarchie ni règlement. Un film troublant, et même si on est mécréant !

Cinergie : Dans la main de Dieu est un film dans lequel vous vous êtes beaucoup investi et si tous les films sont personnels, celui-ci l'est pour vous, particulièrement.
Peter Woditsch : Je ne crois pas que tous les films soient personnels, mais celui-ci l'est en effet devenu. Ce sont les rencontres et ce sujet dont on ne parle jamais au cinéma qui m'ont motivé au départ. Je connaissais les trois protagonistes principaux dont deux d'entre eux avaient déjà participé à un de mes films, Musées Secrets, dont le sujet est bien différent : l'art érotique caché. J'enquêtais sur l’église car le Vatican possède une immense collection d'images érotiques et pornographiques et l'on m'a présenté ces deux ex-prêtres très ouverts : un Flamand, Luc Hessel, et un Autrichien, Adolf Holl. Ce dernier a écrit des dizaines d'ouvrages d'une érudition incroyable bien avant Internet, et qui m'ont appris beaucoup de choses. Par exemple - et je le dis dans le film -, le fait que de nombreux papes aient eu des enfants. 

J'ai connu Luc Hessel lors d'un "Gaandeweg" ("trouver son chemin" en français), mais ça ne sonne pas très bien. Et je l'ai suivi pendant deux ans. Chaque week-end était consacré à un thème différent. Cet homme guidait ces rencontres qui n'étaient pas que théoriques, je n'ai jamais autant dessiné et discuté philosophie à partir de ces dessins et peintures. C'est incroyable à quel point les formes et les couleurs révèlent des parts de nous-mêmes. J'ai donc connu cet homme et son histoire extraordinaire. J'ai fait des recherches, mais je n'ai rien trouvé le concernant ! Luc Hessel vit dans la tradition franciscaine, apporter son aide et son soutien à tous ceux qui en ont besoin. J'ai été élevé dans une famille très catholique, mon père m'emmenait à la messe tous les dimanches et à dix ans, lors d'une messe dans une très grande église, j'ai vomi. C'était très curieux car je n'étais jamais malade. Cette histoire m'est revenue durant un stage où l'on devait évoquer des curiosités de notre passé. Quelqu'un a dit qu'un prêtre avait dû me toucher, mais il ne m'est rien arrivé de tel. Un ami psychanalyste pense que cet acte n'est rien moins qu'une réaction naturelle face à un empoisonnement. À partir de ce jour, je n'ai plus accompagné mes parents à l'église. Plus tard, ma famille insista pour que je les accompagne à la messe de Noël, mais je ne supportais plus les sermons des prêtres. Mon histoire est très complexe. J'ai vécu en Allemagne jusqu'à l'âge de 17 ans, et mon meilleur ami était ce qu'on appelle un "juif allemand". Nous discutions énormément sur le sens de la foi, de la vie et je suis parti avec lui en Israël. J'étais fasciné par cette culture juive, mais sans jamais avoir voulu me convertir. Vers 20 ans, j'ai découvert l'œuvre d'Hermann Hesse dont Siddharta, un récit initiatique bouddhiste. Je considérais ma foi en dehors de l'Eglise. Mais revenons aux trois personnages du film. Je me suis demandé pourquoi on devient prêtre. Je voulais comprendre ce qu'est cet "appel de Dieu". Kristin Vanschoubroek, qui apparaît aussi dans le film, m'a expliqué qu'elle avait ressenti cet appel à l'âge de treize ans.

C. : Il me semble que ce qui vous fascine particulièrement, c’est que ces personnes aient trouvé une réponse au sens de leur vie.

Dans la main de Dieu, de Peter Woditsch

P. W. : Trouver une réponse je ne sais pas, mais un moteur certainement. Ils ont cru mais, très vite, le doute s'est installé notamment parce qu'ils ont grandi à une époque particulière. Comment réagit-on dans ces cas-là ? Si vous appartenez au parti communiste, vous avez lu Marx et Engels, vous y croyez et d'un coup, vous découvrez une autre vérité. Nombreux sont ceux qui vont rejeter le parti et les théoriciens ou ne pas entendre les critiques. Mais quand vous êtes prêtre et que vous vous faites virer à grands coups de pied dans le cul, c'est encore autre chose. On se pose évidemment la question de savoir ce qu'ils ont fait de mal. Ils n'étaient pas pédophiles. L'Eglise s'est parfaitement arrangée pour dissimuler tous ces cas. Lorsqu'il devenait impossible de nier l'évidence, on se contentait de muter le prêtre. Quel crime ont commis mes prêtres pour se faire excommunier ? Ils possèdent une force incroyable, car on a voulu les mettre à genoux et ils ont refusé. Cherchez des exemples chez les politiciens ou dans le reste de la société... Ils ont refusé la censure de l'Eglise. Dans les années septante, Luc Hesse, le prêtre flamand, a voulu reprendre un vieux monastère que l'Eglise souhaitait vendre mais sans succès, parce qu'il était trop grand. Il voulait le reprendre, mais pour en faire quelque chose de différent, selon la tradition franciscaine. Il s'est interrogé sur la meilleure manière d'utiliser cet immense espace pour des gens dans le besoin. C'est le tout premier à avoir fondé un centre accueillant les malades d'Alzheimer. Il a fondé aussi un home pour les vieux et un troisième home pour les sans-abri. Ils sont logés et nourris mais, en échange, ils doivent travailler la terre du potager. Même si une grande partie du monastère a été démolie, ces trois projets existent toujours aujourd'hui. Le centre d'Alzheimer est passé d'une à quatre maisons, le home existe toujours, et il fallu s'entendre avec des paysans pour le potager qui occupe aujourd'hui 140 personnes ! La moitié des fruits et des légumes biologiques vendus chez Colruyt proviennent de là. Là aussi Luc fut un précurseur, car dans les années septante, très peu de gens parlaient du bio.
En parallèle, il a fondé un centre spirituel "moderne" avec des activités méditatives et thérapeutiques, en petits groupes, selon les problèmes de chacun. Il disait également la messe à l'église, mais il n'obligeait personne d'y assister. Et c'est ce qu'on lui a reproché.

C. : Vous présentez des personnages qui vous ont touché, mais vous avez également voulu en faire une œuvre d'art. Vous avez intégré des images qui exaltent le spirituel et le dépassement de soi. Est-ce que ce film n'est pas aussi pour vous une profession de foi ?
P.W. : On peut l'interpréter comme ça, mais je ne me suis pas posé cette question quand je filmais. Les interviews étaient très longues et ce qui est mortel ce sont les "talking heads". Même si c'est très intéressant, on se fatigue au bout d'un moment. Il me fallait trouver des illustrations, mais je n'étais ni un fin connaisseur de l'histoire de l'Eglise, ni un journaliste. Je devais me renseigner et je ne pouvais donc plus continuer à éviter sciemment les bâtiments religieux. Il m'est arrivé une chose très curieuse; j'ai ressenti des frissons dans certaines églises, comme si on me touchait l'épaule. J'ose utiliser le mot "sacré". Pour illustrer ces propos, j'ai choisi d'inclure des photos qui me paraissaient meilleures que ce qu'on filmait. On en trouve 70 dans le film au total.

C. : Ces photos n'ont évidemment pas été choisies au hasard, elles dégagent toutes une forte spiritualité, et on se demande si ces prêtres n'ont pas été bannis parce qu'ils étaient trop spirituels pour l'institution qu'est l'Eglise.

P.W. : Je ne pense pas qu'on puisse être trop spirituel ni avoir trop de foi. Je comprends ce que vous voulez dire, mais s'ils ont été bannis, c'est tout simplement parce qu’ils étaient critiques vis-à-vis de l'Eglise. Horst Herrmann, le prêtre allemand, était très critique envers l'Eglise, mais il ne voulait pas la détruire. Quand il a écrit son livre Les sept péchés de l'Eglise, il avait une intention tout à fait positive, il souhaitait changer ce qui n'allait pas.
Il a été banni il y a quarante ans. Le pape actuel a réuni tous les cardinaux l'automne dernier, et tous les thèmes qu'ils ont abordés étaient dans le livre qui a coûté l'excommunication de Horst Herrmann. Il y a quarante ans, on l'a traîné dans la boue sans qu'il n'y ait eu le moindre début de discussion, c'est ce qui l'a rendu le plus triste. C'était de la pure censure, on lui a demandé de se taire et il a refusé.

C. : Est-ce cette injustice qui vous a poussé à faire ce film ?

Peter Woditsch, réalisateur

P. W. : J'ai essayé de ne pas prendre cette position dans le film parce que beaucoup de journalistes et de réalisateurs l'ont déjà utilisée dans les films sur la pédophilie et c'est très facile de prendre un bâton et de taper sur l'Eglise maintenant. J'ai choisi de les laisser parler afin que le spectateur puisse se forger sa propre opinion. Adolf Holl, le prêtre autrichien, raconte que lorsqu'il a été excommunié, il n'osait plus sortir dans la rue, car ceux qui étaient jusqu'à la veille collègues et amis depuis des années, changeaient de trottoir en le voyant. Adolf Holl, qui a 84 ans, vient de publier un ouvrage. Horst Hermann, dont la santé est fragile, va sortir un livre sur Dieu. Luc Hesse, comme je l'ai dit, continue de s'occuper de personnes en difficultés. Ils travaillent encore, ils ne se laissent pas abattre.

C. : Effectivement, la force dont ils font preuve est remarquable et on sent bien l'admiration que vous leur portez. Une chose m'a frappé également : alors que le discours médiatique ne cesse de brocarder "l'intolérance de l'Islam", il est ici question de remettre en cause le catholicisme.
P.W. : Je ne suis pas un théoricien, donc je peux parler uniquement de ce que j'ai vécu avec ces trois prêtres. Le film va être diffusé au festival de Varsovie dans une section qui s'appelle "Des héros parmi nous". J'aime bien. Host Hermann a eu une phrase magnifique qui a donné le titre du film. J'ai souhaité les interviewer dans l'église où ils ont été ordonnés prêtres, ce sont des lieux que l'on n'oublie jamais. Hermann n'était jamais retourné dans cette église en 50 ans alors qu'elle ne se situe près de chez lui. Son émotion était très forte en y entrant, et lorsqu'à la fin de l'entretien, je lui pose une question sur Dieu, il me répond : "Je ne peux pas tomber plus bas que dans la main de Dieu".

C. : C'est cette droiture et cette fierté que vous essayez d'appliquer à votre cinéma ?
P.W. :
Oui. J'essaie d'être le plus honnête possible. Dans un documentaire, on peut tout découper, tout détourner et chercher le scandale. Pour être honnête avec le spectateur, il faut être honnête avec soi-même. Contrairement à mes précédents films, il me paraissait évident que je ne devais pas le monter. Pourtant, j'adore le montage mais pour X raisons il me paraissait évident que je n'avais pas assez de recul. J'ai donc travaillé avec un monteur très expérimenté. On a monté pendant des semaines et puis on a obtenu un premier résultat, mais ce n'était pas mon film ! Nous avons décidé de tout reprendre à zéro, ce qui ne m'étais jamais arrivé. Evidemment, cela à provoquer un scandale chez Sophimages ! Ce n'est pas que le film était mal monté, mais il était parti dans une direction qui ne me représentait pas du tout. J'ai demandé cinq jours, et j'ai repris le montage avec l'aide d'une assistante. Entre temps j'ai fait quelque chose d'essentiel, à savoir, marcher durant deux semaines dans le Sahara avec un petit groupe. De retour à Bruxelles, j'ai compris que ça m'avait "purgé". J'ai pris beaucoup de photos là-bas, mais jamais je n'aurais cru qu'une photo du Sahara puisse avoir une telle place dans un film sur des ex-prêtres. On a monté quinze minutes durant ces cinq jours, et cela n'avait plus rien à voir.

C. : Quelle était la grande différence entre ces deux versions ?
Dans la main de Dieu, de Peter Woditsch

P. W. : Je ne sais pas exactement, mais c'était beaucoup plus intuitif. L'assistante se moquait totalement de la religion, mais elle était très juste dans ses choix. Elle désignait toujours la photo la plus pertinente. La confiance s'est installée et nous avons travaillé très rapidement. Enfin, le film ressemblait à ce que je voulais faire, avec ce respect, cet équilibre. Je ne voulais pas taper sur la religion gratuitement, mais je ne voulais pas faire un film destiné au public catholique.
Par exemple hier, j'ai croisé un voisin que je connais depuis une quinzaine d'années, et qui est totalement athée. Il est venu voir l'avant-première du film à Flagey. D'habitude, on s'échange quelques mots, et c'est tout. Là, il m'a dit combien il a été ému par le film, qu'il n'arrête pas d'y penser et qu'il ne cesse d'en discuter avec sa femme, athée convaincue elle aussi.

C. : On peut considérer ce film comme philosophique et qu'à travers ces questions autour de la spiritualité, vous mettez en valeur l'importance de la question plutôt que la réponse.
P.W. : Philosophique je ne sais pas. Mais il n'y a pas de réponse, chacun a la sienne.

 

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