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Rencontre avec Philippe Therasse, directeur photo d'Ennemi Public

Publié le 16/04/2019 par David Hainaut et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Philippe Therasse, maestro de l'image pour Ennemi Public

Particulièrement remarquée dans cette deuxième saison, l'identité visuelle d'Ennemi Public constitue l'un de ses principaux atouts. Derrière elle, se cache la patte de Philippe Therasse, un directeur photo qui, grâce à la série, se fait un nom dans le cinéma belge.

Rencontre au domicile de ce carolo de 44 ans, diplômé de l'HELB-INRACI et qui, avant cette première incursion en fiction comme chef-opérateur, l'a été de façon éclectique, des clips à des caméras cachées (celles de François Damiens), en passant par des courts-métrages, des publicités et des films d'entreprise.

Cinergie : Tant la critique que le public s'accordent à le dire : l'image d'Ennemi Public II constitue l'une de ses principales forces. Une belle reconnaissance de votre travail, donc...
Philippe Therasse : On nous l'a pas mal dit, c'est vrai (sourire). Mais c'est surtout grâce à la riche expérience de la première saison, car il y avait une envie commune de revenir encore plus fort, en déjouant nos pièges de « débutants ». Donc à l'image, comme il y avait moins une crainte de se tromper, je me suis peut-être permis d'être plus audacieux. Il y a aussi eu plus de panache dans les mouvements de caméras, du côté des comédiens, etc... Nous savions cette fois que dans n'importe quelle situation, on s'en sortirait. Mais à mon niveau, je dois reconnaître que grâce aux réalisateurs Matthieu Frances et Gary Seghers (NDLR: il avait collaboré avec ce dernier sur Intus, un court-métrage avec Jérémie Rénier), j'ai été placé dans des conditions optimales pour faire le meilleur boulot possible...

C. : Vous êtes reparti sans la moindre hésitation sur cette deuxième saison. Et s'il y en avait une troisième ?
P.T.: Ah, je dis toujours oui quand je bosse avec les bonnes personnes (sourire). Car sur un projet aussi dense et long, c'est évidemment capital d'être entouré de gens de qualité que vous appréciez, pour pouvoir pousser le projet le plus loin que vous pouvez. C'est du moins comme ça que je vois les choses sur un plateau de fiction. Le tournage d'un film publicitaire ou entrepreneurial reste plus court et radicalement différent, avec des enjeux qui ne sont pas les mêmes. En fiction, l'important restera toujours, à mon avis, l'histoire et les comédiens. Quand ces deux éléments-là sont au point, tout le reste peut suivre...

C. : Car aussi belle soit l'image, si les comédiens sont mauvais...
P.T.: ...cela ne sert à rien ! Par contre, l'inverse gardera toujours toute sa valeur. Puis, sur Ennemi Public, j'ajoute que la cohésion était telle qu'elle a impacté tout le monde, des comédiens aux techniciens. Certains d'entre eux ont même pu prendre plus de responsabilités sur la saison 2, ce qui a fait que l'équipe est restée soudée, motivée, concernée et toujours soucieuse d'apprendre. Quand toute cette énergie-là est regroupée, ça a obligatoirement ses effets sur les qualités finales d'un projet, j'en suis persuadé...

C. : Pour un habitué des films courts, se retrouver presque du jour au lendemain sur un si long tournage, cela relevait d'un sacré challenge, non ?
P.T. : Vous savez, parmi les raisons pour lesquelles je ne me suis pas lancé dans une fiction de grande envergure plus tôt, c'est surtout parce que les films courts me plaisaient et parce que le tournage d'une fiction demande un investissement total sur une grosse période. Ce qui n'est pas toujours évident quand vous avez une vie de famille et des enfants en bas âge, tout simplement. Quand on m'a demandé de faire Ennemi Public, je revenais d'un long séjour à l'étranger. J'étais à l'aube de la quarantaine, confiant et cette fois prêt : donc là, je n'ai pas réfléchi longtemps. C'était un moment de ma vie où, dans ma tête, j'avais envie de passer à autre chose.

C. : En parallèle, la série belge entrait à ce moment-là dans une sorte de nouvelle ère. Il n'y a jamais eu de frilosité de votre part, avant de vous lancer ?
P.T. : Honnêtement, oui. On était tous un peu dans l'inconnu, mais on savait aussi qu'on était capables de faire quelque chose de nouveau, ne fut-ce qu'en voyant ce qui se faisait au nord du pays. Mais on a très tôt été porté par ce projet, qui sentait très bon sur papier. Après, ça a été beaucoup de questionnements et avec le recul, je ne me rendais pas bien compte où je mettais les pieds, avec deux caméras sur les acteurs et huit à dix minutes utiles à mettre en boîte par jour (sourire). Au final, quand on a vu la reconnaissance, jusqu'en France, en Angleterre ou en Australie, on a forcément été heureux...

C. : La suite pour vous, comment l'envisagez-vous ?
P.T. : Continuer, j'espère en fiction, avec des projets aussi ambitieux. Mais je n'envisage pas de lâcher la publicité, qui reste un formidable laboratoire où je continue à apprendre beaucoup. À titre personnel, je ne vois pas de problème à me partager entre le cinéma et la publicité. Au contraire, c'est même enrichissant et motivant, pour ne pas avoir l'impression de se répéter. Mais je sais qu'Ennemi Public permet à mon nom de circuler. J'ai déniché un agent en France et un réalisateur franco-roumain, Ionut Teianu, m'a contacté pour travailler sur un pilote de Fiction du réel pour la chaîne M6, avec un comédien belge d'ailleurs, Erico Salamone, qui a été incroyable. Comme l'impact a été très bon en France, cette aventure va se poursuivre pour moi, dès cet été...

C. : Quant à ce phénomène des séries belges, vous le voyez perdurer ?
P.T. : Je l'espère. Parce que ça permet de faire éclore beaucoup de nos talents. C'était quand même le but premier, ne l'oublions pas. Si on reste dans cette optique-là, on trouvera toujours des gens motivés pour ces projets, où on vient chercher davantage de l'expérience que de l'argent. Mais une série, ça reste difficile. Après un tel tournage, on a besoin de s'arrêter au moins un mois avant de repartir sur un autre projet avec la même motivation, sans quoi ça ne peut pas fonctionner. Or, pour s'arrêter, il faut pouvoir se le permettre, financièrement déjà. Donc, on espère encore un petit apport, d'autant qu'on sent qu'il ne manque pas beaucoup. Mais quand je vois notre parcours et d'où on vient depuis l'écriture du pilote, c'est quand même une belle aventure, à laquelle je suis fier et ravi d'avoir participé...

https://www.philippetherasse.com/

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