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Rwanda, les collines parlent de Bernard Bellefroid

Publié le 01/03/2006 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

La Logique des bourreaux  


Si vous ne savez pas ce qu’est la mauvaise foi, voilà un film qui vous l’apprendra une fois pour toutes. Rwanda, les collines parlent, de Bernard Bellefroid, est un film d’autant plus violent qu’il ne montre pas ce dont il parle.
Pas de cadavres, d’ossements, d’enfants amputés, de fosses communes et autres images « choc » qu’ont diffusées les médias occidentaux sur le génocide du Rwanda. Le réalisateur, sans ajouter de commentaire, nous montre les tueurs face aux juges des tribunaux GACACA créés pour  la réconciliation et l’unité de la population rwandaise. Ce dont il est question dans le film de Bernard Bellefroid, c’est de la parole des génocidaires et des parents de leurs victimes : une parole qui s'affronte et ne se recoupe pas. Il s’agit pourtant de voisins qui ont vécu ensemble les massacres et y ont survécu.

Rwanda, les collines parlent de Bernard Bellefroid

Trois exemples terriblement efficaces. Le premier, un repenti du nom d’Obede demande, sans broncher, pardon pour les crimes commis, mais refuse d’assumer le massacre d’enfants innocents dont l’accuse des voisins. Le  grand-père des enfants le traite de menteur sans que ni lui, ni le tribunal ne bouge, sinon pour lui rappeler qu'il peut faire appel. Le tribunal est composé d’habitants du village, et pas moins de quatre membres de la famille d´Obede en font partie. Acquitté, après avoir passé  près de sept ans en prison, il est contraint de donner du bétail à ses victimes. Quelques semaines plus tard, sans sa chemise rose de détenu, il conseille cyniquement à ses ex-codétenus de ne jamais se reconnaître seul coupable mais de se dissimuler derrière le collectif des tueurs. C’est la chanson bien connue du c’est pas moi c’est l’autre qui m'a entrainé. Enfantin ? Efficace ! Redoutablement efficace. Etonnez-vous si les parents des victimes proclament : « Ils s’innocentent  mutuellement ».
Dans le second épisode, un homme âgé refuse de reconnaître la moindre faute malgré l’amoncellement de témoignages que le tribunal a recueilli. Son déni, dissimulé derrière de mythologiques serpents, est consternant. Comment la mémoire des crimes commis peut-elle se transmettre aux jeunes générations pour qu’elle ne se reproduise pas si les bourreaux campent dans le déni de la réalité ? La réconciliation n’a donc pas eu lieu. Il écope de vingt ans de prison.

Le troisième accusé est Tutsi et a tué son frère sous la menace d’être tué lui-même. Sa belle-sœur refuse de lui parler, estimant que, même sous la contrainte, le commandement « Tu ne tueras point » reste une obligation. C’est le seul des trois qui semble avoir intégré un peu de culpabilité mais ses proches restent inflexibles. Ils refusent de lui accorder leur pardon. Non réconciliés. La réconciliation est-elle possible lorsque la violence du génocide ne trouve pas de parole pour s’articuler ? Les bourreaux ont cette cruauté supplémentaire : ils sont sans mémoire et savent gérer l'oubli. Ils dénient, de manière récurrente,  les faits que de nombreux témoignages corroborent.

Comment l’ampleur du désastre génocidaire peut-elle se transmettre si les tueurs n'assument pas leur responsabilité (oublions la culpabilité)? En en parlant, s’y confrontant, en publiant les témoignages, en brisant le silence. En réalisant un film comme celui de Bernard Bellefroid et en le diffusant. C’est aussi à cela que sert le cinéma : être une mémoire vivante. 

Rwanda, les collines parlent est un film d’une grande sobriété. Il s’en tient, dans un système de champ/contrechamp, au dialogue impossible entre les bourreaux et les parents des victimes via les tribunaux de réconciliation. Sa grande force est d’avoir pu faire oublier aux différents protagonistes la présence d’une caméra. D’où l’intensité des témoignages et des interventions. Personne ne joue contrairement à ce qui se passe sur la scène des médias occidentaux. Un film dont les interrogations sur la fragilité de la mémoire et de ses enseignements vous poursuivent longtemps après l’avoir vu.

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