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Rencontre avec David Leloup, réalisateur de Saint-Nicolas est socialiste

Publié le 02/06/2021 par Constance Pasquier et David Hainaut / Catégorie: Entrevue

On souhaite que le film suscite tant des débats qu'une attention auprès des jeunes citoyens."

En septembre, Saint-Nicolas est socialiste marquait le début de cette saison si particulière, en trustant deux prix remarqués – celui du meilleur film belge, tant pour le jury que pour le public – lors du Brussels International Film Festival (BRIFF). Ironie du sort, voilà que ce documentaire surréaliste traitant de politique locale boucle presque l'année, en bénéficiant d'une diffusion tant convoitée sur la première chaîne de la RTBF, et en première partie de soirée. En préalable à une sortie en salles, l'automne prochainRencontre avec son réalisateur David Leloup, pour évoquer le deuxième film – après A Leak in Paradise, en 2016 - de ce journaliste liégeois de 47 ans.

Cinergie : Avant la longue fermeture des cinémas, certains vous imaginaient avoir une carrière comparable à celle de Ni juge ni soumise. À une semaine de la réouverture des salles, c'est finalement le petit écran qui dévoile le film au grand public. Cela vous convient-il ?
David Leloup : Comme réalisateur, c'est super de savoir que le film va être vu en masse. Moins pour les exploitants de salles, car on avait prévu une sortie en novembre dernier, avec une dizaine d'avant-premières dans autant de villes et les deux personnages du film (NDLR: Roger Boeckx et Filippo Zito, deux fantasques conseillers communaux) et/ou avec moi. Tout a été annulé, et la sortie en salles aura lieu un an plus tard que prévu en novembre, voire pour la... Saint-Nicolas

 

C. : Cela dit, vu le propos du film, ce décalage de calendrier ne modifie pas la donne pour le (télé)spectateur, si ?
D.L. : C'est en effet un film intemporel ! Il est juste marqué temporellement parce qu'il a été tourné sur une certaine durée - soit un peu plus de trois ans - mais on pourrait tourner un film similaire dans quelques années dans une autre commune. Car les mœurs politiques évoluent moins vite que le temps. Heureusement ou pas !

 

C. : Cet automne, vous annonciez que Saint-Nicolas est socialiste avait déjà déclenché l'ouverture d'une enquête administrative par le ministre (socialiste) de tutelle, Pierre-Yves Dermagne. Où en est-on à ce niveau ?

D.L.: C'est une enquête administrative faisant suite à des dysfonctionnements pointés dans le film. Mais toutes ces enquêtes ne sont pas rendues publiquement. Normalement, elles doivent faire l'objet d'un rapport et pour ça, il faudrait qu'un député wallon en fasse la demande. Mais depuis le tournage dans la localité, j'y ai encore eu vent de plusieurs scandales. Car même si peu de médias s'intéressent à la politique locale, certains citoyens assurent bien leur job de relayeur d'information, et pas que sur Facebook. (sourire)

 

C. : Vous qui souhaitiez avant tout susciter des débats, cela semble déjà bien parti. Avant même la sortie du film !
D.L. : (Il réfléchit) Ce film, c'est un peu un OVNI. Il ressemble à un Strip-Tease, car il n'y a pas de voix-off et les personnages sont loufoques par moment. Mais à côté, ils travaillent avec sérieux, en ayant déjà fait éclater un gros scandale par le passé. Ce film est éminemment politique ! La comédie, elle, est arrivée naturellement à moi. Si j'avais fait un documentaire journalistique sérieux sur le pouvoir local, ça aurait été barbant, ça risquait de n'intéresser personne et donc de ne pas provoquer de suite. Là, j'ai eu la chance de tomber sur deux personnages formant un duo digne de Laurel et Hardy ou de Don Camillo et Peppone. Il y a entre eux une dynamique et ils n'ont pas peur de la caméra. Roger est exubérant et fort en gueule, Filippo plus introverti et cérébral. Ils sont complémentaires et ne font que jouer leur propre rôle de conseillers communaux – bénévoles - de l'opposition au sein d'une commune particulière (il n'y en a pas 36 en Belgique !) avec une majorité absolue socialiste. Comme c'est ainsi depuis plus d'un siècle à Saint-Nicolas, les habitudes politiques s'en ressentent et c'est justement cet entre-soi, ce copinage et le non-respect de certaines règles et de procédures essentielles du code wallon de la démocratie, qui permet d'avoir un propos qui a du fond, tout en étant drôle. Du moins, j'espère....

 

C. : Pour revenir à la genèse du projet : celle-ci remonterait donc à simple un appel téléphonique de vos deux héros ?

D.L. : Oui. Il y a quelques années, je me trouvais à la RTBF pour parler d'une affaire de corruption. Roger et Filippo, que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam, trouvant intéressante cette enquête, m'ont alors contacté pour dévoiler un scandale immobilier dans leur commune, sur lequel je n'ai finalement jamais écrit. Mais quand j'ai fait leur rencontre, j'ai été séduit par leur pragmatisme et leur volonté de ne pas se laisser rouler dans la farine. À travers leur démarche, j'ai ainsi découvert l'échelon communal auquel je ne m'étais jamais intéressé dans ma vie. J'ai vu ce qu'était un Conseil pour la première fois, et j'ai trouvé ça intéressant et même passionnant. Tout cet échelon communal étant sous-médiatisé, j'espère que le film contribuera à le mettre en lumière. Pour permettre aux citoyens d'au moins comprendre de quoi on parle et de quoi on débat. Avant d'éventuellement s'impliquer...

David Leloup, réalisateur de Saint-Nicolas est socialiste

 

 C. : Ce conseil communal de Saint-Nicolas, vous avez déclaré l'assimiler à une pièce de théâtre. C'est-à-dire ?

D.L. : Tout y est joué. Même le texte de l'opposition est écrit à l'avance ! Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le groupe majoritaire à Saint-Nicolas – et j'imagine que c'est ainsi dans toutes les communes à majorité absolue – se réunit une heure avant le Conseil, en sachant déjà tout ce qui va être dit. L'opposition peut donc raconter et voter tout ce qu'elle veut, elle ne peut jamais agir ! Certaines choses qu'on voit dans le film m'ont effaré. Quand on voit l'échevin des finances de l'époque, Valérie Maes – devenue depuis la bourgmestre - dire "Si ma réponse ne vous satisfait pas, j'en prends acte mais c'est ma réponse", c'est simplement illégal ! Pour toute demande formulée, le service administratif existe pour justement mettre à disposition des conseillers communaux les documents demandés.

 

C. : Et vous ne vous êtes pas contenté de filmer un conseil, mais bien... sept !
D.L. : Oui, ce qui comprend les repérages. Du coup, nous avions trop de matière. Il a donc fallu faire des choix, mais je les assume. Avec Luc Plantier, le monteur, on a découvert des scènes qui sont de petites pépites ! Son travail a été fondamental car sans lui, le film n'aurait pas été le même. Les choix éditoriaux ont été faits en sa compagnie. Il avait déjà monté mon premier film, A Leak in paradise. Comme on se connaît bien, cela a créé une alchimie favorable au film.

 

C. : Pour la réalisation, cet aspect «Strip-Tease» était-il voulu ?
D.L. : Je suis fier quand ceux qui ont vu le film font la comparaison, car c'est une émission qui m'a marqué quand j'étais ado. Mais selon qui réalisait un épisode de l'émission, il n'y avait pas systématiquement un regard bienveillant sur les gens filmés et ça, on a voulu à tout prix l'éviter. J'aurais pu, pourtant ! Mais là, c'est un choix lié à ma double-casquette de réalisateur et de journaliste. J'ai tenu à rester le plus neutre et objectif possible. C'est aussi pour ça que je n'ai pas voulu de voix-off. Pour ne pas influencer les spectateurs et laisser vivre les personnages le plus possible.

 

C. : On est évidemment bien d'accord : il ne s'agit pas d'un film contre un parti ?
D.L. : Absolument pas ! Les craintes allant dans ce sens – que je peux comprendre – sont toutes infondées. Cela aurait pu être le MR, le CDH, Ecolo ou un autre. Là, c'est juste que la commune, c'est Saint-Nicolas où il y a une majorité absolue. Je suis convaincu que certains travers ou abus montrés dans le film sont liés à cette position ultra-dominante et qu'on peut les retrouver ailleurs, avec d'autres couleurs politiques. Le film ne plaira pas à tout le monde, mais tant mieux. Ce serait effrayant de faire l'unanimité !

 

C. : Si on vous dit que le film est aussi drôle que désespérant, vous répondez ?

D.L. : Qu'il montre bien la teneur des débats, les compétences d'une commune, comme la propreté des trottoirs ou certains travaux publics. On n'est pas au Sénat en train de débattre sur l'euthanasie. Certaines discussions sont pénibles : quand on parle de mettre une barrière dans la rue car il manque trois pavés pour que personne ne se foule la cheville, c'est au conseil communal que ça se règle. Au-delà de ça, ces mandats de six ans sont les plus longs en politique, et il y a des enjeux primordiaux qui engagent les gens pour des décennies. Saint-Nicolas est la commune la plus densément peuplée de Wallonie et elle est confrontée à un problème de logement. Le mètre-carré y est cher, alors que la commune a besoin d'accueillir de nouveaux citoyens.

 Saint-Nicolas est socialiste

 

C. : Votre travail, tant comme journaliste d'investigation que comme réalisateur, est (re)connu depuis des années. N'est-ce pas la preuve que démocratiquement, tout ne va pas si mal que ça, dans notre pays ?

D.L. : C'est vrai, mais la crise du Covid a quand même ébranlé la confiance des citoyens dans les médias traditionnels. En tout cas, une frange de la population est devenue extrêmement suspicieuse vis-à-vis des journalistes de grands médias, ce qui doit pousser la profession à s'interroger encore plus sur son avenir et ses pratiques. En tout cas moi, comme journaliste indépendant depuis une vingtaine d'années (NDLR: notamment pour le VIF) , on ne m'a jamais censuré d'article, car tout ce que j'écris est solide. À partir du moment où je viens avec des informations vérifiées, sourcées et d'intérêt général, pourquoi un média refuserait-il de les publier ? Et je suis content de ce statut d'indépendant, qui me laisse libre de travailler quand et sur les sujets que je veux, en me laissant le temps de parfois faire un film. Je suis juste passionné parce que je fais, passant parfois des nuits blanches pour mon travail. J'apprends encore à me freiner (sourire)...

 

C. : Vous êtes moins souvent interrogé que l'inverse ! Qu'est-ce que cela vous procure ?

D.L. : C'est toujours bizarre (sourire, mais ce film, on l'a porté depuis des années. Toute une équipe a travaillé dessus, dont les (co)producteurs et les personnages du film, non payés pour le faire. C'est la moindre des choses de répondre à des questions - y compris de questions difficiles -, pour la promotion. Ce qu'on veut surtout, c'est que le film soit vu par le plus grand nombre, qu'il suscite des débats et qu'il initie le goût de la politique chez certains jeunes citoyens. Ou en rejoignant un parti, ou en intégrant une association...

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