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Sauve qui peut de Alexe Poukine, 2024

Publié le 25/06/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Utiliser le faux pour convoquer le vrai, s’inspirer du vrai pour nourrir le faux. Dans Sauve qui peut, la réalisatrice Alexe Poukine (Sans frapper, Palma) nous emmène à la rencontre des soignant.es pour mieux appréhender leur quotidien. Au travers de jeux de rôle où la réalité déborde souvent de la fiction, les protagonistes de ce documentaire mettent en lumière toute la maltraitance d’un système et d’une société, sous le regard distant, mais pas détaché d’une réalisatrice bienveillante autant qu’engagée par son sujet.

Sauve qui peut de Alexe Poukine, 2024

Accueillir les émotions, être à l’écoute, comprendre pour mieux compatir. Autant de recommandations faites aux étudiant⸱es de médecine qui se prêtent, dans les premières minutes de Sauve qui peut, à l’exercice de la consultation. Et déjà, devant ces conseils, certain⸱es semblent démuni⸱es. Remise en question salutaire, ou utopique idéal impossible à appliquer sur le terrain? Dans le monde post-COVID, on pourrait penser que l’importance des soins de santé n’est plus à prouver. Mais à entendre les professionnel⸱es qui peuplent les images de ce Sauve qui peut, il semblerait que rien n’ait changé, que du contraire. “En hôpital, on a l’impression que personne ne va bien”, assène l’une des soignantes entre deux exercices d’expression. “Dans notre métier, on ne marche que avec la culpabilité,” réagit une infirmière. Une situation d’explosion permanente, de burn-out permanent provoquée par la pression continue d’une société, d’un système où l’humain est une donnée, une variable. Comment dès lors concilier la compassion et l’émotion avec ce rouleau compresseur?

Sans proposer de réponses autres que celles évoquées par ses propres protagonistes, Sauve qui peut met en lumière ces personnes à la fois puissantes et fragiles dont on a tant vanté la résilience, mais à qui on coupe sans cesse les ailes. Et au travers de cette plongée intense et sans fioritures, la volonté de pouvoir montrer, écouter pour mieux comprendre, pour mieux compatir, pour pouvoir enfin se mettre à la place de ces soignant⸱es qui côtoient la vie et la mort chaque jour et toujours continuent à aller de l’avant.

Car ce qui ressort de ces jeux de rôle de manière récurrente, c’est la violence d’un monde médical grippé, peuplé d’êtres de bonne volonté sucés jusqu’à la moelle, avec plus d’une fois des conséquences tragiques, des récits inhumains. Un monde médical qui s’étiole sous les coups de boutoir des économistes et des coupures budgétaires. “On est dans une culture (de travail) où on ne peut pas montrer sa souffrance”, constate avec dépit l’une des protagonistes. Et c’est là que ces exercices, captés par Alexe Poukine, sont essentiels. Avant d’agir, collectivement, avec et pour ces femmes et ces hommes qui donnent leur énergie et leur temps pour notre santé. Car pour lutter contre ce “système de maltraitance généralisée”, il n’y a que le collectif qui puisse fonctionner, au travers d’une prise de conscience sociétale du problème. Un édifice auquel ce documentaire compte bien ajouter sa pierre, avec une grande justesse.

 

Sauve qui peut est en compétition nationale au BRIFF.

La séance du 30 juin sera suivie d’un échange avec la réalisatrice Alexe Poukine

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