Schirren, le pianiste accompagnateur de films muets est le titre d’un livre édité par CINEMATEK en 2020. Ni biographie, ni essai, ni livre d’art, ni poésie… le livre est un peu tout cela à la fois, un livre-objet à la fois beau, passionnant et terriblement émouvant.
Il y a des trouées, des vides, des manques dans le livre édité par la CINEMATEK sur Fernand Schirren. Tant mieux pourrait-on dire, car la curiosité des lecteurs et des lectrices ainsi titillée, les conduira peut-être à pousser d’autres portes pour en savoir plus et la lecture passive pourra ainsi se transformer en enquête.
Cette porte à ouvrir pourrait justement être celle de l’exposition qui lui est consacrée du 9 juin au 31 août à Cinematek et qui exposera des objets personnels, des séquences filmées et différents documents d’archives.
Mais reprenons le livre. Un titre tout d’abord qui commence par un nom, sans mention du prénom : Schirren. Le procédé en impose. Schirren tout court, comme on dirait Picasso ou encore Akerman. L’homme n’aurait donc plus besoin de son prénom. Mais pour celles et ceux qui l’entendraient pour la première fois, précisons quand même que Schirren (Fernand de son prénom) est un compositeur et musicien. Il a été le pianiste en chef du Musée du cinéma à Bruxelles, de 1962 à 1982 et s’est rendu célèbre pour son accompagnement des films muets. Sa personnalité a visiblement marqué les consciences. Son excentricité, mais surtout son approche non conventionnelle, ont laissé leur empreinte au-delà des frontières belges. Pour preuve, le livre commence avec un très beau texte signé par le Canadien Gabriel Thibaudeau, pianiste compositeur et chef d’orchestre reconnu aujourd’hui comme étant l'un des plus grands accompagnateurs de films muets. Son évocation toute personnelle de son maître et ami retrace par écrit une séance d’accompagnement du film Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920). On assiste avec délectation à cette recréation imaginaire dans laquelle, déjà, se dessine le portrait d’un homme haut en couleurs, son ironie, son horreur des spécialistes du cinéma qu’il appelle « les sachants ». Le texte de Thibaudeau se conclut sur une photographie de mains en gros plan posées sur les touches d’un piano, noueuses, imposantes... Sont-ce celles de Fernand ou de Gabriel ? L’histoire ne nous le dira pas. Qu’importe, puisque leur présence impressionne.
Une page totalement noire précède une page blanche. Film en noir et blanc, touches du piano. Tout semble se répondre.
Au fil des pages, les pensées de Fernand Schirren s’égrènent, reprenant le manuscrit calligraphique original sur l’art de l’improvisation. On aimerait toutes les citer mais contentons-nous d’en extraire l’essence : la plus grande qualité d’un accompagnateur de films muets est l’inexistence et l’identification (qui est elle-même une preuve d’inexistence car pour s’identifier il est nécessaire de se vider de soi pour être habité par l’autre). On sent dans ce petit texte délicieux tout l’humour et l’intelligence de l’homme qui nous révèle un secret que l’on se gardera de révéler ici et qu’il illustre par cette citation de Paul Valéry : « Ce que nous avons de plus profond, c’est la peau ».
Le texte manuscrit se conclut sur une page noire, puis blanche encore et le livre se poursuit sur une courte biographie dans laquelle on apprendra que Fernand Schirren a également été le professeur de rythme de Maurice Béjart et Anne Teresa De Keersmaeker.
Place est enfin donnée à quelques photos signées Francine d’Hulst, des dessins et affiches qui complètent avec délicatesse ce beau portrait.
Infos complémentaires :
Prix du livre (trilingue, fr, en, nl) : 8 €
Le 10 juin, dans le cadre des Nocturnes Conseil des musées de Bruxelles, des visites guidées de la nouvelle exposition et de la collection permanente seront organisées. Il reste encore quelques billets disponibles.
En plus de la visite guidée, deux films muets seront proposés ce soir-là pour compléter l'expérience.
19:00 Der Student von Prag, Stellan Rye, 1913
21:30 Novyy Vavilon, Leonid Trauberg & Grigori Kozintsev, 1929
