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50/50 - Silence radio de Valéry Rosier

Publié le 05/04/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Après une licence d’ingénieur de gestion à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Valéry Rosier décide de se lancer dans la réalisation. Il se forme à l’I.A.D. (Ecole Supérieure des Arts) en Belgique. En 2008, il réalise le court métrage Bonne nuit qui a été primé dans des dizaines de festivals et nommé aux European Film Awards en 2009. Il travaille comme assistant sur de nombreux longs métrages et participe à des projets d’art-vidéo. En 2011, il produit et réalise un nouveau court Dimanches qui remporte de très nombreux prix dont le "Prix Découverte Kodak" à la 50ème Semaine de la Critique à Cannes ou encore le Magritte du Meilleur court-métrage. En 2013, il termine son premier documentaire Silence radio qui a reçu de nombreux prix dont le Fipa d’Or 2013 à Biarritz et le prix Mitrani 2013. Il réalise ensuite Babel Express, une série documentaire de 8 x 26minutes en 2014, produit avec Arte. En 2015, il termine son premier long-métrage Parasol, sélectionné et primé dans de nombreux festivals.

50/50 - Silence radio de Valéry Rosier

Anne Feuillère : Quelle place occupe Silence Radio dans votre filmographie ?

Valéry Rosier : J'ai une tendresse très particulière pour ce film, due au temps qu’il aura fallu pour le faire et aux difficultés pour le financer. Proposer un film sur l’isolement des personnes âgées à la campagne et sur la lente disparition des liens sociaux, cela n'a bizarrement intéressé personne au départ ! J’ai tourné ce film après Dimanches, dans lequel j’avais commencé à expérimenter cette « frontière » entre documentaire et fiction, mais du coté de la fiction. Silence radio m’a permis de penser un film depuis l’autre côté de cette « frontière », celle du documentaire.

 

A.F. : Quelle différence faites-vous entre documentaire et fiction ? 

V.R. : Mes courts-métrages, Bonne Nuit et Dimanches, et mon long-métrage, Parasol, sont des fictions. Ce sont des films entièrement écrits et inventés, dans lesquels les protagonistes jouent des personnages qui sortent d’abord de mon imagination. Dans Dimanches et Parasol, j’ai choisi de faire jouer des comédiens non-professionnels. J’ai tenté, dans ces 2 films, de nourrir les rôles de leur propre vécu et, parfois même, de leur propre réalité. Il n’était pas rare de les filmer dans leurs véritables lieux de vie. J’essaie d’explorer ces sentiers qui apportent du « réel » dans mes fictions. Silence Radio, par contre, est un documentaire. Cela me donne, en tant que réalisateur, une responsabilité particulière. Une fois que je suis dans ce qu'on appelle un documentaire, je me dois d'être le plus sincère possible avec ceux que je filme et avec la personne qui va voir les images. La différence se situe pour moi à cet endroit. Je veux que le spectateur sache que je ne me moque pas de lui et que le protagoniste ne se sente pas trahi en découvrant les images. Si je mets en scène certaines séquences avec les personnages eux-mêmes, je tente de ne pas le cacher. Ce sont ces codes tacites et explicites qui sont essentiels pour moi en documentaire. Alors j’intègre des artifices : ne pas cacher la mise en scène, faire participer le protagoniste au projet de film en lui faisant rejouer une scène difficile ou drôle de son quotidien… L’esthétique frontale du film et le passage de témoignages parfois tristes à des scènes où l’artifice de la mise en scène se sent, créent des jeux de distanciation et d’adhésion que je pense nécessaires pour créer une autre complicité, celle du spectateur avec le protagoniste.

 

A.F. : Comment ce film a-t-il été reçu ?

V.R. : Le film présente des auditeurs d’une radio locale picarde qui, à divers moments, chantent des chansons françaises qui ont marqué leur vie. On entend du Brel, mais aussi du Rina Ketty ou du Claude François. En faisant un film sur une culture populaire francophone, je n’imaginais pas qu’il aurait cette belle carrière internationale en festivals. Je me rappelle mon émotion en recevant, à Biarritz, le Fipa d’or des mains de Chantal Akerman, une cinéaste que j’admire tellement. La reconnaissance de ses pairs, ça rend heureux, mais la véritable surprise a été le sourire attendri des spectateurs qui sortaient des salles où le film était projeté. Si certains moments sont durs, d'autres sont plus drôles ou tendres. J'ai le sentiment que la tendresse est passée.

 

A.F. : Est-ce que Silence Radio a changé quelque chose dans votre manière d'aborder le cinéma ?

V.R. : Il a amené Parasol, mon long-métrage. Au départ, je voulais faire un documentaire sur le tourisme pour parler de l’infantilisation à outrance de l’homme aujourd’hui. Je voulais faire un film plutôt noir basé sur ce constat. Je me suis rendu compte que je ne pourrais pas aller aussi loin que je le voulais, que je n'arriverais pas à être aussi tendre que nécessaire pour respecter mes principes. J'ai donc choisi la fiction, qui m'a apporté d'autres libertés. Chaque nouveau film est un peu une réponse aux précédents. J'avais fait Bonne Nuit « à la manière » des frères Dardenne que j’admire beaucoup. Le film a plu, mais j’avais le sentiment que ça n'était pas vraiment moi, que je me privais d’une partie de moi-même, de l’utilisation de l’humour pour m’aider à accepter le réel. Même si je n’adhère pas entièrement à tout, j’ai beaucoup d’admiration pour l’émission « Striptease », qui a ceci d'exceptionnel qu’elle a réussi à injecter de l'humour dans le documentaire. Mais je crois que les cinéastes belges aiment traverser et jouer avec les frontières du documentaire. C’est dans notre ADN. En Belgique, plus on ajoute des règles, des tracés, plus on aime les transgresser. Le documentaire est un lieu de réflexion et d’expérimentation fantastique, et j’ai l’impression qu’on est encore loin d’en avoir découvert toutes les richesses. C'est très excitant ! Et puis, sur Silence Radio, j'ai découvert ce plaisir de créer des liens, de partager une aventure avec toutes ces personnes filmées. Je fais des films pour sortir de chez moi. Le cinéma me pousse vers l'extérieur, vers l'autre. Il me sort de moi-même.

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