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Sur le tournage du film Juwaa (ex-Le Soleil dans les yeux)

Publié le 20/11/2019 par Constance Pasquier et David Hainaut / Catégorie: Tournage

Kinshasa Family

 

Pendant que Jan Bucquoy (La Dernière Tentation des Belges) ou Patrick Ridremont (Le Calendrier) bouclent leur nouveau film - à "plateau fermé" pour le second -, et que la RTBF s'apprête à mettre en boîte une nouvelle série (Unseen), le tournage du cinquième film (Juwaa, ex-Le Soleil dans les Yeux) du nouveau Fonds à condition légères du Centre du Cinéma suit son cours, entre Bruxelles et bientôt le Congo. 

Néophyte à ce niveau, mais artiste belgo-congolais proactif depuis près d'une décennie, Nganji Mutiri (ou Laeh) fait donc partie des réalisateurs bénéficiaires de cet appel, peaufinant un drame familial autour d'une mère (Babetida Sadjo, remarquée dans Waste Land) et de son fils (Edson Anibal). Visite, sur ce plateau.

Début 2018, la découverte du nom du débutant Nganji Laeh (ou Mutiri) parmi les quatre premiers projets de réalisations sélectionnés – sur une trentaine - de "l'appel à conditions légères", ne constituait qu'une demi-surprise. En effet, qu'il s'agisse de comédie (le film Black, les séries Les Rivières Pourpres ou Salamanders), de photographie ou déjà, de réalisation (auto-production de courts-métrages), cet artiste natif du Congo venu s'installer en Belgique à l'adolescence, a largement eu l'occasion de prouver l'éclectisme de ses talents. Après avoir basculé de vie à 30 ans, en démissionnant d'un poste dans le secteur commercial...

Un court-métrage comme point de départ

Tournage nocturne oblige, c'est lors d'un début de soirée de cet automne que Mutiri nous accueille sur son plateau, tranquillement assis sur le banc de la villa uccloise, théâtre d'une partie de son premier long-métrage qui compte dix-sept jours. D'emblée, le réalisateur confirme que Juwaa est bien la version allongée d'un court signé sous le même titre en 2014, lauréat à Bruxelles d'un Prix "Coup de Cœur du jury" au Festival System D. "On retrouvera 30% de l'essence du court dans ce long, car pas mal de choses ont évolué depuis. Pour résumer, c'est l'histoire d'une mère, Riziki (Babetida Sadjo), et de son fils, Amini, (Edson Anibal) qui, après avoir vécu des événements traumatisants au Congo et avoir été séparés pour des raisons qu'on comprendra pendant le film, finissent par se croiser en Belgique, dix ans plus tard. C'est là qu'on verra s'ils parviennent à renouer des liens. Autour d'eux, on aura toute une galerie de personnages, comme on parlera d'université, d'art ou encore, de conflits intérieurs, entre ce qu'on attend parfois de nous dans la vie, et ce qu'on veut vraiment en faire."

Prolixe et serein, clair et posé dans son discours, Mutiri évoque ensuite le choix de ses acteurs, avec lesquels il a organisé plusieurs rencontres au préalable. 

"Je procède toujours comme ça, car c'est important que tout le monde se comprenne. J'aime quand les comédiens incarnent ce que j'ai projeté, mais j'apprécie autant ce qu'ils peuvent eux-mêmes apporter à leurs rôles. Autour de Babetida Sadjo et d'Edson Anibal, on retrouvera pas mal d'acteurs, car comme j'apprécie les films qui se rapprochent des difficultés de la vie, j'estime justement que pour pouvoir bien raconter une fiction complexe, il faut de nombreux personnages. C'est d'ailleurs ce qui permettra de révéler plusieurs facettes d'Amini et de Riziki." Aux côtés des deux précités, on croisera ainsi Claudio Dos Santos, Benjamin Boutboul, Ady Batista, Tamaka Kalvanda ou encore Francisco Luzemo. 

Avec Edson Anibal, une (jeune) découverte...

À peine quelques mètres plus loin, à l'intérieur de la maison cette fois, et alors que l'équipe s'apprête à tourner à l'étage de celle-ci, le jeune Edson Anibal, 22 ans, apparaît dans le salon, pour ce qui va constituer le premier entretien de sa jeune carrière. Malgré ce premier rôle principal, "très éprouvant émotionnellement", il affiche un large sourire et une bonne humeur, témoignant même avec lucidité : "On a pas mal bossé en amont, mais je n'avais encore jamais endossé une telle responsabilité", avoue-t-il. "Car ce personnage me fait puiser à des endroits difficiles, et j'essaie de trouver la connexion entre lui et moi, car c'est ce lien qui provoque les réactions instinctives dans le jeu. Quand je suis face-caméra pour des scènes répétées, des choses non-prévues surgissent, mais elles restent cohérentes avec le film. L'entreprise est stressante, mais je tiens bon!"

 

Repéré au Conservatoire de Bruxelles l'an dernier par le réalisateur, venu spécialement assister à son examen de fin d'année, Anibal a déjà enchaîné quelques expériences de tournages (Poissonsexe, Premier de classe, La Terre et le sang, la série OVNI). "Ce scénario-ci m'a parlé et touché, car Amani est moi partageons beaucoup de choses. C'était difficile de passer à côté, surtout comme débutant. Puis, dans ce personnage noir d'origine africaine, il y a une dimension différente de ce qu'on voit d'habitude avec les acteurs des minorités visibles – comme on dit! (sourire) -, encore trop souvent caricaturés. Là, on sort des carcans, c'est donc une évolution positive", détaille encore celui qui, plus jeune, s'est passionné de cinéma en observant Jérémie Renier sur le tournage de Cloclo, où il avait été convié par un professeur. "Que je remercie, d'ailleurs ! Car c'est bien en voyant Renier composer son rôle qu'une voix dans ma tête m'a dit d'un jour travailler dans le cinéma. Mais la vocation d'acteur ne s'est présentée à moi que plus tard". Déjà bien sollicité donc, Anibal débutera par ailleurs une tournée théâtrale (Human Beings de Sukina Douglas) au KVS à Bruxelles, en février prochain.

 

...et Babetida Sadjo, une valeur sûre

Particularité du jour : Christopher Arcache, le directeur de production - et co-scénariste du film avec Malkia Mutiri, la sœur du réalisateur - a eu la subtile idée de nous convier à l'horaire précédent le début des prises de vues de nuit, auxquelles nous assisterons. De quoi nous laisser un moment relativement confortable avec les protagonistes du jour. C'est donc bien à l'aise, à son tour, que Babetida Sadjo s'installe face à nous, pour converser : "Ce film comporte tout de même une charge émotionnelle compliquée, étant donné qu'on parle de souffrances entre une mère et son fils, qui doivent se reconnecter après s'être perdus de vues.", entame-t-elle.

Connaissant bien le cinéaste pour avoir tourné avec lui un court-métrage (Gnistac) en 2014, elle dévoile ensuite une anecdote : "Pour trouver mon rôle, Nganji avait posté une annonce sur Facebook disant qu'il recherchait une mère, et tout notre entourage commun m'avait identifié ! Je lui ai alors dit que si tout le monde y pensait, qu'il devait peut-être songer à moi, car jamais je n'irais vers lui ! Et il m'a pris (rire). Mais il y a un vrai désir commun de collaborer. Comme actrice, c'est une chance d'avoir un tel rôle, car il évolue dans le temps. C'est même un challenge inédit pour moi, d'autant que l'histoire devrait donner une vision nuancée de ce que sont réellement les femmes africaines. Et ça aussi, c'est touchant", se réjouit-elle, tout en soulignant la compétence et la mixité (rare) de l'équipe, composée tant de techniciens blancs que de

noirs, de femmes que d'hommes. "Ici, chacun se sent représenté, et cette homogénéité amène une énergie agréable sur le plateau", dit encore cette (autre) diplômée du Conservatoire de Bruxelles, qui a vécu au Vietnam.

Après le long tournage - en Bulgarie - de la première série originale belge créée pour Netflix (Into the night, visible l'an prochain) et avant de réaliser en janvier son premier court-métrage, Les âmes à zones, Sadjo jouera deux pièces en 2020, tout en gardant un projet de création d'un festival de cinéma dans son pays natal, la Guinée-Bissau. "Je travaille beaucoup, parfois très tard, mais après ce film-ci, je prendrai quand même une pause. Sans quoi mes enfants risquent de me déshériter" (rire).

 

Nganji Mutiri: un premier film à 39 ans

En guise de conclusion, on épinglera encore une partie de notre discussion avec Mutiri, dont le surnom "LAEH" provient d'une contraction du nom de son site de poésies (Lartdetrehumain.net). "Là, je me concentre à faire un bon film en étant bien entouré, comme Quentin Devillers, un magicien de l'image, et d'autres experts. Ça me semble primordial de le rappeler, car il y a au cinéma un côté ingrat à voir uniquement les noms des réalisateurs et d'acteurs sur l'affiche. Pour moi qui consomme du cinéma à haute dose depuis des années, ce film est une autre occasion de raconter les choses, de mettre à l'écran des émotions, des réflexions et des vies que je ne vois pas assez sur les écrans européens, et même africains pour certaines questions. Cela dit, les casquettes et les couleurs de peau, c'est secondaire. Je vois d'abord un long-métrage universel, avec des êtres humains. Et j'espère que les gens qui viendront le voir seront aussi surpris que touchés...", termine le réalisateur qui, s'il envisageait passer un jour derrière la caméra, ne l'espérait pas avant ses 40 ans. Mais "Si un film vous manque, faites-le", aime-t-il souvent dire...

 

Dernière partie tournée au Congo

Avant de boucler sa dernière partie au Congo début décembre, ce Juwaa aura également été filmé à Etterbeek, à l'IHECS - l'école de journalisme bruxelloise - et à l'Aéroport de Zaventem, en plus de scènes de voitures dans la capitale, paraît-il "compliquées à tourner". Premier long-métrage produit par une société bruxelloise rodée au documentaire (Dancing Dog Production, composé du trio Maximilien Charlier - Quentin Noirfalisse - Antoine Sanchez), soutenu par la Fédération-Wallonie donc, il verra le jour courant 2020.

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