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Entretien avec Nganji Mutiri à propos de Juwaa

Publié le 02/05/2022 par Anne Feuillère et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

À l’Afrika Filmfestival de Leuven le 3 mai
Au New York African Film Festival le 16 mai 
À la Cinematek de Bruxelles le 14 juillet

 

De l’art d’être humain

Avec son premier long-métrage, Juwaa, Nganji Mutiri réalise le portrait émouvant d’une mère et de son fils pris dans les conséquences d’un événement tragique qui les a séparés. Si le film prend sa source dans le contexte de l’histoire tourmentée de la République Démocratique du Congo, il se déploie bien au-delà, brassant surtout dans les mailles du drame familial, les blessures des traumatismes et la possibilité de guérir. Qu’il s’agisse de son film, du cinéma, de ses rapports aux autres, de ses nombreuses activités, Nganji Mutiri se livre avec sincérité, enthousiasme et passion. Son travail, ses réflexions, ses liens semblent sans cesse en mouvement et toujours en quête de justesse. De l’art d’être humain, donc, avant tout, et de s’améliorer sans cesse.

Cinergie : Vous êtes poète, acteur, photographe, vous êtes réalisateur et producteur. Est-ce que parmi toutes ces pratiques artistiques, certaines vous définissent plus que d’autres ? Ou  appartiennent-elles toutes au même désir ? 

Nganji Mutiri : Assez naturellement, il y a des périodes où j’écris beaucoup puis je peux passer cinq ou six mois à ne m'intéresser qu’à la photographie ou à jouer au théâtre ou au cinéma. Je le fais sans trop me poser de questions, tant que j’ai ce luxe de pouvoir osciller d'une expression artistique à l'autre. Certaines sont plus joyeuses, certaines ont moins d'enjeux financiers. Même si en termes de possibilités matérielles, elles ne se valent pas, j'ai besoin de toutes ces expressions artistiques. Raconter les histoires qui me manquent, partager des émotions et des réflexions, que ça soit par l’écriture, la photographie devant ou derrière la caméra, est le point commun de toutes ces pratiques.

 

C. : Certaines sont solitaires, d’autres ne peuvent se réaliser qu’à plusieurs. 

N.M. : Je peux passer beaucoup de temps à réfléchir à ce qui m'inspire, à travailler seul sur certains projets mais avancer seul professionnellement n'est pas possible. Je l'ai appris un peu difficilement sur le long-métrage. On a une vision qu’on veut réaliser à 100%, mais au fur à mesure que l’on travaille en équipe, on apprend à donner de la place à l'intelligence collective. À deux ou à trois, sans argent, il y avait moins de gravité, moins d'enjeux. Là, il y a les enjeux financiers et toute une série de personnes payées pour faire avancer le projet. Même si j’ai une intuition très forte, par pragmatisme, je dois être capable parfois de la remettre en question. J’avais de fortes résistances au départ, je dois bien l'avouer. Aujourd’hui, que ce soit sur des projets comme un long-métrage ou au théâtre, je n’y trouve finalement que des avantages. 

 

C. : Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

N.M. : Je suis né à Bukavu, à l'Est du Congo, dans la région du Kivu, où  j'ai vécu jusqu’à mes 15 ans avant d’habiter un an à Kinshasa. Avant que la guerre ne commence en 1997/98, nous avons dû fuir pour des raisons de sécurité.

 

C. : Il y a donc une partie autobiographique dans ce film ? 

N.M. : Je ne pouvais pas faire un long-métrage sans parler de la guerre et de ses conséquences. Non seulement au Congo, où je suis né, mais partout ailleurs. Le film se base à 25% sur ce que j'ai vécu personnellement, 25% sont inspirés par les problèmes et les enjeux du Congo et 50% simplement d’inspirations humaines, liées à la psychologie, aux traumatismes, aux non-dits. Mais oui, le film s’inspire en partie de mon histoire. Nous quittons le Congo lorsque mon père est victime d’une tentative d’assassinat et j’arrive en Belgique vers l’âge de 16, 17 ans. Je termine ma scolarité secondaire à Bruxelles puis je fais mes études supérieures en sciences commerciales et en commerce extérieur. Je travaille dans ce domaine pendant six ans, d’abord chez Coca-Cola puis chez BNP Fortis. 

 

C : Ah oui ?!

N.M. : (il éclate de rire) Oui ! C’est un revirement intéressant n’est-ce pas ? Quand je le raconte, j’ai l’impression d’expliquer quelque chose de très réfléchi. Mais ça n’était pas du tout le cas, je déprimais, j’avais le sentiment que je ratais ma vie, que je ne me réalisais pas et j’ai eu un réflexe  de survie : j’ai démissionné en 2010 pour me consacrer à l’art. Et voilà comment je plonge pleinement dans l'écriture et la photographie. Le jeu d'acteur, lui, est arrivé par la poésie quand j'ai eu envie de porter sur scène des textes d’autres autrices et auteurs. Et puis François Makanga me propose de passer une audition pour une pièce de théâtre et je me retrouve avec mon premier contrat professionnel pour Les spectateurs écrit et mis en scène par Lotte van den Berg. C’est comme ça que je rencontre la scène. Ensuite, des photographies, je passe à la réalisation de clips pour Badi, que j’ai rencontré sur le projet “Héritage Congo”. Entre-temps, avec Watna Horemans et Grégory Laurent, nous avons fondé le collectif « L'animalerie ». C’était une période hyper productive. On réalisait des capsules pour La Foire du livre, des vidéos pour des comédiens que l'on apprécie, des petits films expérimentaux que nous réalisions à trois, de manière très intuitive. À tour de rôle, l’un portait un projet, les deux autres se mettaient à son service. Et puis, petit à petit, j’ai commencé à avoir envie de raconter des histoires plus scénarisées et je me suis demandé comment. J’écris et je réalise d’abord le court-métrage Condamné, inspiré par une chanson de Badi. Le film est sélectionné au Luxor African Film Festival, puis au Festival International du Cinéma de Kinshasa, c'était encourageant. Je réalise ensuite deux courts, Gni Ts Ac, Joy Power, et le tout dernier Le Soleil dans les yeux, produit par Samira Hmouda du City Lab/Pianofabriek. Après ce dernier film, Monique Mbeka Phoba m’a dit que j’étais prêt à faire un long-métrage. Je n’étais pas d'accord avec elle, je suis assez perfectionniste et je me disais que j’allais encore faire 4 ou 5 courts-métrages avant d'oser un long. Elle a finalement raison de mes doutes et on commence à préparer le dossier que je dépose avec Quentin Noirfalisse de Dancing Dog Productions à la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’était la première édition des productions légères dont nous avons fait partie. Au départ, je pensais faire une adaptation de mon court-métrage. Mais au fur et à mesure de l'écriture, je me suis tellement éloigné du court que le renommer est devenu indispensable. Voilà comment Le Soleil dans les yeux est devenu Juwaa.

 

C. : Que signifie le titre du film ?

N.M. : Phonétiquement cela signifie “le soleil” en swahili. Cela s’écrit « jua » mais pour le film, je l’ai écrit différemment pour de nombreuses raisons, et notamment parce qu’au centre de l'histoire, il y les non-dits et la manière dont chaque personnage gère ses traumatismes. Doubler la lettre "a" est une façon de signifier que le passé laisse des traces dans le présent. Et le soleil ici, c’est peut-être l'amour, la mère, pour certains la foi ou l’art... Comme dans mes textes, j’aime la pluralité des significations. Je tenais aussi à faire ce clin d’œil au swahili parce qu’un jour j’ai réalisé que je parle très bien le français, l’anglais, j’allais apprendre l’espagnol, mais bien que je sois né et que j’ai grandi au Congo, je ne maîtrise aucune des quatre langues nationales. Ni le swahili, ni le lingala, ni le kikongo, ni le tshiluba… C’est une façon pour moi de commencer à réparer un peu les manquements de ma construction pluri-identitaire.

 

C. : « C’est quoi être Africain ? » demande un personnage de votre film.  Que répondriez-vous ?

N.M. : Ma réponse d’aujourd’hui ne sera sans doute pas la même que celle que je pourrais avoir dans un ou deux mois. Les réflexions avancent, avec le temps et les rencontres. En tous cas, j’ai été assez marqué par un texte de Léonora Miano, une autrice franco-camerounaise de romans et d’essais, qui pose ces questions-là. Avant que les Européens n’arrivent sur un continent qu’on appelle Afrique aujourd’hui, les gens sur ce continent ne s’appelaient pas Africains. De la même manière, ironie triste de l’histoire, certains disent que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, alors que des gens vivaient déjà là avant son arrivée. Je préfère ainsi dire « natives americans » qu’Indiens. C’est une espèce de drame historique : aujourd’hui, la plupart des gens parlent d’Indiens d’Amérique parce que quelqu’un qui cherchait l’Inde dit l'avoir découvert alors qu’il s’agit des primo-habitants de ce continent qu’on appelle Amérique. Dans un autre espace, à un moment, un continent a été nommé l’Afrique sans consulter ses habitants. Malgré cela, quand on me demande de choisir une étiquette, je me dis « Africain » parce que tout le monde n’est pas prêt à parler de ce qui s’est passé avant et pendant la colonisation européenne. Aujourd’hui, pour moi, je dirais qu’être Africain, pour faire très court, c’est aimer l’Afrique et concourir à ce qu’elle soit la plus fière et indépendante possible, intellectuellement, financièrement, spirituellement et culturellement. C’est là où j’en suis aujourd’hui. J’ai encore beaucoup à améliorer en moi-même pour véritablement répondre à cette définition mais j’y travaille.

 

C. : Ce film est aussi un très beau portrait de femme qui questionne ce qu’est être mère.

N.M. : J’observe les mères autour de moi, je parle avec elles et si c'est un beau portrait, c’est sans doute parce qu’on a pu collectivement y injecter ce qu’elles m’ont inspiré. Cela rejoint aussi le travail que nous avons fait avec Batetida Sadjo qui interprète Riziki. Nous avons ajouté des niveaux de vies, d'émotions, de chair à ce personnage car être mère, ce n'est pas qu'une couleur, qu'une dimension, c'est aussi être femme, être un métier, une personnalité et beaucoup d'autres facettes en même temps. En plus d’insister pour qu’on trouve le plus de parité possible dans l’équipe, j'ai aussi fait relire chaque version du scénario à plusieurs personnes, et surtout des femmes, parce que nous vivons dans une société patriarcale et que j’ai moi aussi beaucoup de choses à décoloniser dans mon esprit. J’ai aussi voulu inverser quelques stéréotypes dans l’histoire. Quelques réactions "négatives" sur la place du beau-père dans le film étaient très intéressantes. Certains hommes sont habitués à voir des longs-métrages où les personnages principaux sont masculins. Ici, cet homme est surtout présenté en soutien de la femme qu'il aime et cela les déstabilise. Alors qu’un homme absent durant l'éducation de son enfant qui ne fait que lui envoyer de l’argent, c’est presque normal, malheureusement dans certaines sociétés patriarcales. À un moment dans le film, Amani remet en question la provenance de l'argent que sa mère lui donne, il va vite comprendre qu'il se trompe. Tout ça est pour moi important à entendre et à montrer parce que je suis entouré de femmes très indépendantes, de femmes avec des vécus que je ne vois pas assez à l'écran. J’essaie également de leur dire merci avec ce film. Je me rappelle aussi du jour où j’ai réalisé qu’avant de me donner naissance, ma mère a eu une vie et qu'après ma naissance, son vécu ne s’est pas limité à la maternité. Cela m'a aidé à grandir et à accepter le fait qu’être maman n'est qu'une partie de sa riche identité.

 

C. : Le contexte historique n’est pas totalement explicité. Vous ne souhaitiez pas qu’il soit au cœur du film ?

N.M. : C’était très important pour moi. Je ne voulais pas trop ancrer le film dans une réalité complexe et très identifiable, en l'occurrence congolaise. L'un des enjeux principaux est le drame familial. Quand je regarde un film, que je lis une histoire, je suis touché par mes émotions. Où cela se passe, qui parle, en coréen ou en néerlandais, c’est totalement secondaire. Même si je n'ai aucun pouvoir sur la manière dont est perçu le film, je trouverais ça dommage qu’on en sorte en se disant «Ah, c’est donc ça, une famille congolaise ». Je raconte un drame familial ancré dans deux réalités géographiques, le Congo et la Belgique, mais ce qui m'intéresse se sont les rapports entre parents et enfants, les traumatismes, les êtres humains. Juwaa raconte les retrouvailles en Belgique d'une mère et de son fils une dizaine d'années après des événements traumatiques au Congo. C’est un film qui parle des non-dits, des familles choisies, des familles d'origine et des familles d'adoption, de l'art, de la politique, de la religion, de l'amour et j'ai presque envie de dire de l'autodétermination - quand elle est possible et quand elle ne l’est pas.

 

C. : C’est aussi un film sur le pardon.

N.M. : Oui, aussi. Je pense que j'ai mis dans le film tous les thèmes qui me touchaient au moment où j’y travaillais : le pardon, les rendez-vous manqués et aussi la parole, ce que j’ai envie d’appeler les ironies dramatiques car, par exemple, si la mère est devenue autrice et manie facilement les mots, face à son fils, elle a du mal à les exprimer. Il est aussi question de la colère et de ce qu’on en fait. Amani s’est senti abandonné par sa mère pendant une dizaine d'années et il est habité par sa colère et ce sentiment d’abandon. Chaque personnage a des perspectives différentes. Tant qu'on ne parle pas de nos différents points de vue, ni compréhension ni pardon ne peuvent vraiment avoir lieu.

 

C. : Et pourtant, les moments d’explications n’arrivent presque pas...

N.M. : Ce sont des rendez-vous parfois manqués. Dans un feelgood movie, les rendez-vous ne sont jamais manqués, ils ont toujours lieu finalement dans un instant un peu magique. Dans la vie, cela se passe souvent autrement... J’avais besoin aussi de montrer que ça n’est pas parce qu’on est décidé à parler, que l’autre peut entendre. C’est un peu pareil pour les moments de violence dans le film. Je ne cherchais pas à m’y complaire mais à les mettre en scène tels que je les expérimente dans la vie où ils sont soudains et brefs la plupart du temps. 

 

C. : Si tout l’enjeu est d’arriver à se parler, la résolution du conflit entre cette mère et son fils passe par un geste. 

N.M. : Amani n'arrive pas à passer au-delà de sa colère, il faut que la vie lui donne une leçon pour qu'il soit plus réceptif. Il y a un moment, un seul, où il est presque obligé d'écouter sa mère et d'interagir avec elle. À partir de là, un possible dialogue peut naître. Cela me permet aussi de mettre en place quelque chose de cyclique entre l'ouverture du film et l’une des dernières scènes où Riziki pose un geste qu'elle aurait pu faire une dizaine d'années plus tôt. Même si c’est dans une situation dramatique, ce geste finalement a lieu et il répare. Peu importe ce qui arrive ensuite, pouvoir mettre des mots ou des gestes sur une blessure, la répare. Il y a d'autres défis évidemment, la vie reste un combat. Mais on peut avancer avec un peu plus de sérénité. 

 

C. : Juwaa est un drame familial mais c’est aussi un thriller.

N.M. : J’adore les thrillers (rires) ! Alors je me suis fait plaisir, oui, avec des éléments de thriller. Mais je suis autodidacte et j’étudie à ma façon les arts et les grandes personnalités du cinéma. Et qu’il s’agisse d’un drame ou d’une comédie, peu importe le genre, il faut attraper le public, et ne pas le lâcher jusqu’à la fin du film. Avec des éléments de thriller, on crée une tension qui contribue à retenir l'attention. Et prendre les gens par les tripes est l’un de mes moteurs narratifs et artistiques. Réfléchir vient ensuite.

 

C. : Le suspens se construit à partir de ces deux lignes temporelles qui se déplient…

N.M. : Oui, deux lignes de temps qui se déplient et fournissent peu à peu des réponses. Mais j’espère aussi qu’on a réussi à créer cette tension avec la musique de Cloé Defossez, plus connue sous le nom de Cloé Du Trèfle. Ou avec la direction photographique de Quentin Devillers, en créant des atmosphères où le danger peut surgir à tout moment. Parfois, dans la vie, il y a des silences malaisants qu’on a tendance, pour faire vite, à couper. C’est ce que j’adore dans le cinéma qui m’intéresse, ces longues tensions puis quelque chose tombe, on sursaute… Et cela crée dans l’inconscient du spectateur une attente : des choses peuvent arriver. Quand la violence arrive, elle est sèche mais son impact dure indéfiniment. À ces endroits là aussi, je voyais des éléments de thriller, tout comme dans la direction photographique de Quentin.

 

C. : Comment avez-vous travaillé avec  lui ? 

N.M. : Nous avons d'abord travaillé sur le moodboard. J’envoyais des bandes-annonces, des photos, des peintures, puis on en discutait. Je connais aussi son travail évidemment. On savait ce qu’on allait faire. Dans la séquence du musée, par exemple, on a fait appel à Nicolas Savary qui filme en steadycam pour obtenir une impression assez fluide dans ce musée où se promènent ces deux potentiels amoureux. Avec Quentin, nous avons eu beaucoup de plaisir à penser insérer dans le cadre des tableaux prémonitoires de la relation de ces deux jeunes gens. Grâce à ça, il y a plusieurs lectures possibles de la même scène. Quentin, je le surnomme « le magicien de la caméra » : on entrait dans un lieu, une salle de boxe par exemple, et d’un coup, grâce à son éclairage, on était dans Seven de David Fincher… J'ai appris à aimer prendre ce temps de la préparation pour mieux penser ces détails, ces lectures possibles. Ensuite, on offre le terrain de jeu aux acteurs et actrices mais on sait ce qui se raconte métaphoriquement au premier degré, au deuxième ou au troisième degré. C’est un gros travail de préparation, beaucoup de conversations autour des images de films qu’on aime. Il y a aussi les décors préparés par Julián Gómez à Bruxelles et par Deschamp Matala à Kinshasa. Je crois que c’est Bruce Lee qui dit «Il faut absorber beaucoup, se séparer de ce dont on n’a pas besoin et rajouter ce qui nous est le plus singulier ». Les inspirations ont été nombreuses, on n’invente rien, on ne part pas de nulle part mais nous avons réussi à trouver notre singularité.

 

C. : Comment avez-vous rencontré Edson Anibal qui fait là des premiers pas fracassants au cinéma !

N.M. : J’ai eu beaucoup de chance. Je cherchais un jeune comédien noir qui travaillait au cinéma et au théâtre parce qu’il fallait une certaine endurance pour faire de longues séquences. C’est ce qu’on fait au théâtre quand on joue au moins une heure sans arrêt. J’en ai parlé autour de moi et Tamara Kalvanda et Stéphanie Van Vyve m’ont fortement conseillé Edson Anibal qui était en première année au Conservatoire. Je suis allé le voir lors d'un de ses examens et j’étais déjà à 60% convaincu. Ensuite, le secret est pour moi dans la préparation. On a fait beaucoup de rencontres formelles, informelles, des castings, des exercices car j’avais besoin de sentir l’élasticité de son jeu d’acteur. Comme pour le sport, il vaut mieux se préparer aux plus grandes difficultés à l'entraînement. Une fois digérés tous ces entraînements, toute cette torture artistique, la direction d’acteur est faite de liberté et d’ajustement. Mais à partir d’une énorme préparation. Et comme j'en ai besoin en tant qu'acteur, je propose également aux personnes avec qui je travaille, des biographies hyper complètes des personnages. Je suis prêt à ce qu’on me demande par exemple comment Amani a vécu les deux premières années sans sa mère. Edson est un acteur à la fois très instinctif et très intelligent. Entre deux prises, je peux lui glisser à l'oreille «Souviens-toi qu’Amani, à 12 ans, s’est battu parce qu’un camarade à l’école lui a dit qu’il n’avait pas de maman.» et il va me surprendre dans sa proposition de jeu tout en restant juste. 

 

C. : Le couple qu’il forme avec Babetida Sadjo fonctionne totalement. Ils sont très puissants ensemble. 

N.M. : Lors du casting, pendant la scène des retrouvailles, j’ai failli verser une larme. J’ai compris que si j’y croyais là, on était bon ! Ils se nourrissent très bien, parfois même dans leurs silences. C’est la chance que j’ai eu avec ces deux artistes. Ils sont tous les deux à l’écran tout le temps alors si ça ne fonctionnait pas entre eux, il n’y avait pas de film. Et ce d’autant plus que cette histoire est en quelque sorte celle d'un nouvel accouchement. Si on a bien fait notre travail avec toute l'équipe technique et artistique, lorsqu’on suit Amani à l’écran, le public se demande ce que fait sa mère à ce moment-là. Est-ce qu’elle s’inquiète ? Que penserait-elle ou ferait-elle si elle était témoin de ses agissements ?  Et de la même manière, quand on est avec Riziki, que se passerait-il si Amani voyait tout ça ? Ils sont ensemble tout le temps - même quand ils ne sont pas géographiquement au même endroit. Ils sont totalement liés. Le noyau de ce drame familial, c'est cette mère et ce fils. Qui va aider l'autre ? Lequel va empêcher l'autre d'avancer ? Le film est construit sur deux temporalités : celle chronologique que l’on suit, et une temporalité psychologique. Lors du premier repas de la famille recomposée en Belgique, on entend des voix et c'est Amani qui entend la voix de sa mère comme au Congo. C’est un premier indice : il est à Bruxelles, mais il n'est pas encore sorti de ce qui s'est passé à Kinshasa. Tant qu'ils ne se sont pas parlés, il est toujours le petit garçon qui s’est caché dans le placard. Tout ramène à ce moment qui doit se dénouer.

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