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Babetida Sadjo, réalisatrice et autrice

Publié le 02/06/2022 par Anne Feuillère et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

Réalisatrice, autrice, « actrice, femme et mère, amante, sœur, amie... »

On la croise au sortir du BSFF où elle vient de montrer, pour la première fois, Hématome, un premier court-métrage coup de poing ; en train de faire la promotion du film Juwaa de Nganji Mutiri où elle interprète l’un des deux rôles principaux ; avant qu’elle ne file d’abord à New York où elle va présenter Our Father, the Devil d’Ellie Foumbi avant de s’envoler en Guinée-Bissau préparer un long-métrage…

Femme(s) puissante(s)

Babetida Sadjo dévore la vie, file son chemin et contourne, en haussant les épaules, tout ce qui pourrait se mettre en travers de sa route, mais avec le sourire, le rire en cascade et une énergie à revendre. Originaire de Guinée-Bissau, elle quitte son pays pour le Vietnam à l’âge de 14 ans. Elle ne parle pas un mot de français et pour apprendre, elle s’inscrit au club de théâtre de son lycée. Et là, c’est la révélation. Sa vocation est lancée. Arrivée à Liège d’abord, elle s’inscrit très vite après ses études au Conservatoire de Bruxelles. Depuis lors, elle a tracé sa voie, rapide et fulgurante au théâtre d’abord, notamment avec des textes qu’elle écrit elle-même comme Le Masque du dragon ou Les murs murmurent. Et puis le cinéma lui tend les bras jusqu’à Waste Land de Pieter Van Hees qui lui vaut un Ensor du meilleur second rôle en 2015. Son visage est désormais devenu incontournable sur le petit ou le grand écran belge, et plus largement européen. Avec des projets plein sa besace et un talent fou, elle est loin d’avoir dit son dernier mot. Car « raconter des histoires », tels sont sa vocation, son art et son talent. À propos d’Hématome, ce tout premier film très personnel, fort et important, elle se livre, avec beaucoup de générosité, de franchise et de courage. Cinergie : Si Hématome est le premier film où l’on vous découvre derrière la caméra, vous avez déjà tourné un court-métrage entièrement autoproduit que vous gardez dans vos tiroirs pour le développer, vous travaillez actuellement sur l’écriture d’un long-métrage… Votre vocation de réalisatrice est déjà largement lancée !  

 

Babetida Sadjo : Oui, j'ai envie de passer derrière la caméra. Je me considère comme artiste avant tout. Si quelque chose me touche, je vais chercher une manière de le développer. Je peins aussi, de l’art abstrait. Je me laisse libre. On ne prend pas suffisamment cette liberté de créer, de s’affirmer artiste de manière générale. Je ne suis pas uniquement comédienne, je suis autrice, je suis réalisatrice, je suis peintre. J’ai envie de me laisser imprégner par le monde et de trouver ensuite le canal pour m’exprimer

 

C. : Vous avez toujours été habitée par ce désir de passer derrière la caméra ?

B. S. : Non, c’est venu au fur à mesure de mes collaborations avec les réalisateurs et les réalisatrices avec qui j'ai eu la chance de travailler. Comme je suis assez préoccupée par les stéréotypes que peut véhiculer un film, j'ai tendance à participer à la création, j'aime donner mon point de vue. Les cinéastes en font ce qu'ils veulent. Petit à petit, je me suis dis que j’avais envie d'écrire, de décrire ce monde que je vois dans ma tête, auquel j'ai envie que d'autres personnes puissent s'identifier. Parce que malheureusement, les personnes noires, en tous cas non blanches, ne jouent pas dans beaucoup de films en Belgique, et partout en Europe d’ailleurs. J’ai eu envie de passer du stade de la constatation au stade de l’action !

 

C. : Vous réalisez un premier film très puissant, l’histoire d’une métamorphose, celle d’une femme victime qui retrouve sa puissance.

B.S. : Oui, qui s'approprie à nouveau sa vie et fait le chemin de la justice. Judith a été victime dans son enfance de crimes pédophiles et n'a pas osé porter plainte. Elle ne s'est pas présentée au procès, elle n'a pas eu la possibilité de faire entendre sa douleur, les dégâts que tout cela a causés à l’intérieur d’elle. Elle va confronter son beau-père aux actes qu’il a commis quand elle avait dix ans. Elle retourne dans la maison familiale, avec toutes les réminiscences que ça engendre en elle, pour poser le mot viol. Il a été condamné pour attouchement et non pour viol. Sa parole à elle a manqué. Ce film était vraiment pour moi une manière de dire aux victimes qui n'ont pas eu le courage de parler que je les entends. Je les entends simplement parce que cela m’est arrivé à moi aussi. Je suis en compassion avec elles. La justice des hommes ne suffit pas toujours. Comment continuer à vivre, continuer à être une femme, à profiter de sa sensualité, de sa maternité sans qu'il y ait l'ombre de ce traumatisme ? Dès la scène d'ouverture, on le sait, il y a plus rien à faire d’un point de vue légal. Alors, se pose la question de ce qu’elle peut encore faire et c’est aller discuter avec cet homme qui a été pour elle un véritable père. On sous-estime beaucoup la douleur d’une telle trahison dans un lien qui n’est pas un lien de sang, mais qui a été choisi. C’est la pire des trahisons ! Surtout pour un enfant… Je voulais les mettre directement en présence, dans un lieu qui leur est familier, cette maison, où l'acte a eu lieu, les mettre face-à-face, sans témoin. Il n’y a qu’elle et lui, et leurs mots, leur vérité. Je n’ai pas voulu tomber dans une espèce de stéréotype du méchant pédophile – oui, c’est très très bizarre à dire comme ça ! - mais dans ce genre d’histoire, la plupart des gens se disent « Je n'aurais jamais cru ça de lui. ». J'avais envie de montrer le personnage du beau-père dans son humanité et le mettre dans la même position qu’elle occupait au moment des faits. Quand elle avait dix ans, il était dans la force de l’âge. Là, il est faible, malade, fragile et elle, elle est dans toute sa puissance, toute sa force, sa féminité.

 

C. : C’est un premier film audacieux et risqué qui en plus vous expose beaucoup.

B. S. : J’ai sans doute pris un risque, oui, mais j'avais besoin d'être à un endroit de vérité pour porter un tel sujet. Je suis allée discuter avec des personnes victimes de crimes pédophiles, avec les membres de ma famille… Le jour où j'ai vu passé le premier #metoo, je ne savais pas ce qui était en train de se passer, mais il y a eu un immense soulagement à l'intérieur de moi. Puis, au fur et à mesure, je me suis dit « Mais que sont-ils devenus ? » On n’entend pas parler de ces victimes, ces enfants, ces femmes et ces hommes qui ont subi ça, je ne les entends pas souvent témoigner de leur ressenti. Ils se soignent tout seuls en général en silence. Non seulement, c’est difficile d’en parler parce qu’on est victime, mais il y a en plus une sorte de chape de plomb, comme un grand tabou de notre société qui profite de la difficulté des enfants à poser des mots sur ces actes pour ne pas y faire face. Ce qui la gangrène de honte. Personnellement, ce qui m'empêchait d'en parler, c'était que je ne voulais pas être réduite à ce qui m’était arrivée. C'est le risque que j'ai pris ici.

 

C. : À la manière de votre personnage qui se dit en mille morceaux, votre film aussi mélange plusieurs registres jusqu’à recomposer une image, un visage, ce dernier regard.

B.S. : J'avais vraiment besoin de démarrer le film comme n'importe quel autre, de déployer ma vision. Je ne crois pas qu’il aurait fonctionné sinon. C'était important d'inviter les gens à entrer dans le monde de Judith avant d’aller au cœur d'elle-même, dans cette voix off qui vient comme une espèce de vague s’éclater devant le Palais de justice. Depuis ce silence, le poids de ce silence – elle est là, elle ne parle pas beaucoup, avec ses amies. Deux trois phrases à peine avec l'avocate, elle est déconnectée d’elle-même, comme toutes les victimes de traumatismes – j’avais envie de l'amener petit à petit vers une explosion de parole interne, quelque chose de détruit, même au niveau de la langue, que j'avais envie d'éclater. C’est comme des bribes de pensées qui ne s’arrêtent plus et produisent une espèce de flot où le « je » disparaît. J'avais besoin de cette poésie de la douleur. J'avais envie d’aller vers cette explosion de la bête féroce qui dort à l'intérieur d'elle et qui, je pense, dort à l'intérieur de beaucoup de victimes qui n'ont pas eu droit à la parole. C'est une libération… Avec ce plan final qui raconte quand même que tout ce qu’on a vu, c’est ce qui hurle à l'intérieur d'une victime qui a été « silenciée » - oui (rires), je sais pas si ce mot existe mais je le dis ! Au moment où il lui offre ce cadeau, le symbole de tout son cauchemar, le seul témoin des actes qu’il a commis et qu’il voudrait qu’elle transmette à son propre enfant, elle vrille.

 

C. : Vous prenez le risque aussi qu’on vous reproche de faire l’apologie de la vengeance.

B.S. : Évidemment je ne crois pas à ce type de vengeance. Tu imagines un monde où l’on commencerait tous à se faire justice ? Ce serait la catastrophe ! Mais c'est un appel à la justice, oui, pour qu’elle réagisse mieux. Je crois qu’une victime niée est potentiellement dangereuse pour toute une société. On s'occupe de la réparation ou de l'isolement de ces personnes dangereuses mais on ne pense pas assez à ce que deviennent les victimes à qui justice n’a pas été rendue. La justice a minimisé ce qui m’était arrivé, je me suis moi-même sentie dangereuse. C’est aussi de ma propre responsabilité car je ne suis pas allée témoigner. J'étais au Conservatoire de Bruxelles à ce moment-là, j’allais avoir mon diplôme, je ne voulais pas que le procès empiète sur ma vie et mon futur. Je dois vivre avec cette culpabilité. Mais j'ai un outil extraordinaire : l'art !

 

C. : Il n’y a pas de prise en charge des victimes ?

B.S. : Si, à partir du moment où le jugement a lieu, il peut y avoir des dommages et intérêts mais cela ne représente pas toujours assez d'argent pour être suivi psychologiquement. Et dans tous les cas, pour en arriver là, il faut d’abord passer devant la justice et c'est trop tard, c'est toujours trop tard. À la seconde où un tel acte est commis sur une personne, c'est trop tard. Mais on peut renaître de ses cendres. Sinon, je ne serais pas là, je ne serais pas comédienne... Je suis une actrice qui vit de son métier, une femme et une mère, une amante, une sœur, une amie... On peut renaître de ses cendres mais c'est beaucoup d'énergie, c'est beaucoup beaucoup d'énergie ! La loi ne tient pas compte de l'impact mental de tels actes sur un enfant. On fait une différence d’un point de vue légal entre le viol et l’attouchement mais dans la tête d’un enfant, il n’y a aucune différence quant au traumatisme que ça engendre ! Et cela me gêne terriblement parce que qu'est-ce qu'il en sait, un enfant, en fait, de la différence qu'il y a entre toucher ses parties intimes ou le pénétrer ? Un enfant n’a pas la maturité pour comprendre cette différence. Pour lui, c'est la même chose, je crois. La loi doit changer car cela entraîne des différences de peines. Or c’est horrible et je trouve indécent de faire cette différence ! Je ne veux pas minimiser bien-sûr car en tant que femme, je sais bien la différence, mais un enfant ? La loi ne prend pas en compte ce statut d’enfant chez les victimes. Mais c’est terrible, c’est une destruction totale. Ce n’est pas pour rien que le viol est utilisé comme arme de guerre ! J'espère que la loi va changer à ce niveau-là, j'espère sincèrement que le débat va s'ouvrir et faire abolir cette différence entre attouchements et viols, parce que c'est indécent et que cette différence n’est pas faite pour les victimes mais pour les bourreaux.

 

C. : Interpréter votre propre rôle était une évidence pour vous ? 

B.S. : Au tout début, il y a quatre ans, quand je l'ai écrit, pour être tout à fait honnête, oui. J’ai cherché ensuite une autre actrice pour le faire et je l’ai trouvée. Mais elle était occupée et ne pouvait être disponible que deux jours avant le tournage. Je voulais le donner à quelqu'un d'autre parce que j’ai eu beaucoup de chance de travailler et j’avais envie d’offrir cette possibilité. Et d’ailleurs, je vais travailler avec cette comédienne dans mon prochain projet. Mais c’était mon premier film, deux jours de préparation avec la comédienne, c’était vraiment trop peu ! Et ça ne pouvait être qu’elle ou moi car il fallait une comédienne qui parle créole. Inclure ma langue maternelle dans le film était une manière de parler ma vérité. Dès que je parle le créole, je suis vraiment au cœur de moi-même. Je voulais aussi que le beau-père parle sa langue, cela raconte qu’ils font famille. Et puis je parle souvent le français mais c’est rare de voir le chemin inverse, c’est rare d’entendre un homme blanc ou une femme blanche parler le lingala ou le créole dans un film complètement européen. J’avais aussi envie de profiter à 200 % des sensations d’être derrière la caméra. J’adore être spectatrice ! J’arrive vraiment à ne pas me voir à l’écran, je n’ai aucun problème mais tout de même, les films que j’ai faits s’inscrivent très fort en moi. Des bribes me reviennent, je me souviens de la sensation, de l’émotion que j’ai explorée sur le tournage. Derrière la caméra, je me sens beaucoup plus spectatrice.

 

C. : Comment choisissez-vous vos rôles ?

B.S. : Je ne les choisis pas ! (rires) Mais j'en ai refusé quelques-uns, c’est vrai... Donc je les choisis ! D'abord pour ce qu’ils font vibrer à l'intérieur de moi. Je dois sentir aussi qu’il y a quelque chose dans l'écriture qui manque, qui n'est pas là mais que j’imagine, dont je me dis que je viens l’apporter, c'est ma petite contribution. Je n'en parle pas spécialement au réalisateur ou à la réalisatrice, je viens juste avec cette petite chose-là et c'est mon leitmotiv durant le tournage.

 

C. : À voir votre filmographie, il m’a semblé que vous choisissiez des rôles de femmes puissantes.

B.S. :  J’ai été élevée par une femme, sans homme autour de nous, et ma mère est la femme la plus forte que j’ai rencontrée sur cette terre ! Avec ce qu'elle a traversé, être encore là, c'est de l’ordre du miracle ! Parfois, je m'assois à côté d'elle, je la regarde, et je ne comprends pas comment elle a fait pour tenir le coup dans sa vie. Mes rôles partent toujours d’une impulsion d’elle, de ma grand-mère, de mes tantes… Ces femmes sont le point de départ de chacun de mes rôles, je les reconnais, j’y vois quelque chose d'elles. Ça m'aide dans mon travail, à rester vraie devant la caméra parce que s’il y a bien une chose que la caméra ne supporte pas, c'est la fausseté ! Mais c'est drôle de dire "fortes", ça veut dire que leur fragilité les rend fortes... Quand j’aborde mes personnages, c’est leur fragilité qui m'intéresse. Mais plus on est fragile dans sa vie, plus on est fort. Ne pas pleurer, tenir le coup, on croit souvent que c’est ça être fort mais pas vraiment en réalité. Quelqu'un qui ose dire son cœur a une force absolue. On confond totalement la force et la maîtrise de soi. Se maîtriser n’est pas de la force. Et vouloir tout maîtriser n'est pas intéressant. Avec ce film, j'ai pris le risque de ne rien maîtriser et j’ai choisi d’ignorer les « Que va-t-on dire de toi, qui tout d'un coup, de comédienne passe derrière la caméra ? Et pour parler de ça ? » Et moi, je me dis : « Waouh ! On est encore là ?! » Mais pourquoi ne pourrais-je pas raconter une histoire ? C’est mon métier en fait, peu importe le canal que je choisis, j'ai été formée pour raconter des histoires. Alors, je prends la caméra pour raconter une histoire si je veux, je prends mon ordinateur, j’écris des histoires...

 

C. : C’est un reproche que vous avez ressenti ? Cette question de votre place ?

B.S. :  On me la fait sentir, oui, mais c'est pas grave. Et c’est normal puisque que je sortais de ma zone de confort, du cadre qui m'a été assigné, celui d'être comédienne. Mais je ne m'occupe pas de ça. Je pars du principe qu’on te dessine un cadre mais qu’il t'appartient d'y rester ou pas. Ce n’est pas facile d’en sortir, je suis bien placée pour le savoir ! Mais je pense que c'est de ma responsabilité de rencontrer mes envies et de les assouvir. Et je veux mourir sans regrets, donc je fais ce que j'ai envie ! J'ai eu vraiment beaucoup de chance d'avoir des propositions très intéressantes et de m’être tellement amusée au théâtre ou au cinéma. Et je sens aussi humblement que je n’ai pas de limites. Ou plutôt, je ne me donne pas de limites parce que j'ai trop d'envies. J'ai énormément d'envies dans mon ventre ! La mort me vient souvent en tête, la possibilité de mourir un jour (rires), qui n’est pas une possibilité mais une certitude ! Et je ne veux absolument pas me retrouver dans mon lit de mort en me disant « Babetida, tu avais envie de ça, et tu n'as pas osé, tu es resté dans le cadre qu’on t’a assigné.» Mais franchement, je n'ai pas à me plaindre. Je travaille, je n'ai pas dû faire d'autres métiers, c'est une grande chance de pouvoir subvenir à ses besoins en faisant ce qu’on aime… Mais j’ai travaillé pour ça et je n'ai pas envie de m'arrêter là, j'ai envie de tout jouer... J’ai envie de rôles qu'on n'ose pas donner à des femmes africaines. Dans Juwaa, la question d'être africain passe au second plan, le film pourrait se passer n'importe quand, n'importe où… On change le casting, on garde l'histoire et ça tient toujours simplement parce que le film touche à l'humanité. Il y a des actrices exceptionnelles ici à Bruxelles, des actrices afrodescendantes qu'on emploie pas assez !

 

C. : Juwaa est un très beau portrait de  femme. Comment avez-vous travaillé avec Nganji Muturi?

B.S. : On a passé beaucoup de temps au téléphone (rires) ! On a beaucoup parlé, je lui ai posé beaucoup de questions. Ce qui est génial avec Nganji, c’est qu’il te laisse totalement libre ! Même s’il sait exactement où il veut aller. Mais il te laisse apporter ta part à ce qu’il appelle « notre histoire ». Et j'aime bien cette envie d’être ensemble, de créer ensemble. Pour ce rôle, j'ai convoqué vraiment toutes les femmes du monde qui souffrent parce qu’elles sont sorties de leur cadre, qu’elles ont décidé de dénoncer une injustice et l’ont payé de leur vie, ou en perdant leur famille. Je suis aussi mère de deux enfants et quand je pars en tournage, mes absences me coûtent beaucoup émotionnellement. J'ai convoqué les mamans, surtout les mamans africaines, ces femmes incroyables qui tiennent leur foyer. Dans Juwaa, la honte que porte cette mère qui aurait abandonné son enfant m’intéressait mais aussi ce qu’elle doit dealer avec son traumatisme. Cette impossibilité d'être mère, cette difficulté quand tu portes un si grand traumatisme, je l’ai aussi convoqué dans Hématome. Par essence, être mère, c’est être là pour l'autre. Or, l’horreur des traumatismes, c'est qu’ils réapparaissent au moment où tu t’y attends le moins, quand tu fais ta vaisselle, que tu es en train d'étudier, de discuter, de rigoler. Cela ne prévient pas et les victimes sont condamnées à vie, c'est la plus grande prison au monde, plus terrible que d'être traumatisé dans son enfance. Cela ressurgit tout le temps. Alors, c'est une question de switch, il faut chercher à passer à autre chose tout le temps pour pouvoir profiter de la vie parce que la vie est sublime. Parfois, je me lève le matin et je me dis « Je suis vivante !». Se réveiller le matin, ça n’est pas donné à tout le monde ! On n’y pense pas mais plein de gens ne se sont pas réveillés ce matin. Alors seulement me dire « je me suis levée ce matin », c'est un carburant pour croquer la vie !

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