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Sur le tournage du film Deep Fear de Grégory Beghin

Publié le 30/06/2021 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Tournage

Un nouveau guichet pour le cinéma (de genre)

Illustration d'un paysage changeant et d'un cinéma qui poursuit sa remise en question, le tournage de Deep Fear vient de donner le coup d'envoi d'un nouveau label de films de genre, initié par le producteur d'Ennemi Public (François Touwaide) et d'un homologue français, Noor Sadar.

Soutenue par le Fonds Wallimage et tournée en majorité dans nos contrées, cette collection de films a pour ambition de faire émerger de nouveaux talents. Remarqué grâce à la websérie Burgland, Grégory Beghin a été désigné comme premier réalisateur, alors que le jeune Kassim Meesters, récent héros de la série Coyotes, fait partie du casting. 

 

Ironie du sort, c'est en sollicitant François Touwaide (de la société Entre chien et loup) pour un futur tournage que ce producteur nous a informés d'un autre en cours, Deep Fear (Peur Profonde), donc. Un film qui coïncide avec le lancement de Black Swan Tales, nom d'un nouveau label belgo-français consacré aux films de genre. Dans les parages du Fort de Tancremont, soit en pleine campagne liégeoise où se tenaient les prises de vues du treizième jour de cette première production, Touwaide détaillait sa démarche.
"Si on tourne ici un long-métrage, on reste dans l'esprit du «Belgian Noir» – vocable se référant à un article du Guardian qui a fait date en 2018 – de nos séries policières. Avec le développement des plateformes, on savait qu'il y aurait une forte demande pour le genre, compliqué à financer dans les schémas traditionnels, alors qu'il attire lui aussi des talents. On crée donc ce guichet pour ceux qui ont envie de faire un film complètement déjanté. Sur lequel nous, on peut très vite se positionner!"

Un label belgo-français ambitieux

On le comprend par sa dénomination, les ambitions de Black Swan Tales dépassent la francophonie. Car si ce premier long-métrage est tourné en français, les trois prochains le seront en anglais. Raison pour laquelle l'expérience d'un producteur français à l'ADN semblable est là pour doper cette force de frappe, Noor Sadar ayant déjà chapeauté, avec sa société White Lion, des projets d'envergure avec toutes les chaînes françaises (comme Kidnapping sur Arte, avec Charlotte Rampling) et avec Netflix (Caïd).
Technicien de cinéma durant quinze ans, ce Parisien confie : "En devenant producteur il y a quelques années, je sentais, comme d'autres, qu'on pouvait repenser la fiction, les équipes, le matériel et l'organisation des plans de travail, pour financer des projets autrement. Les succès obtenus par notre société nous ont montré que ce n'est pas forcément avec un gros budget qu'on fait un bon projet. La créativité vient aussi par la contrainte. Ici, on ne fonctionne ni avec une filiale de financements classiques, ni avec des subventions diverses : notre parti pris, c'est de prendre un risque en finançant nous-mêmes, avec des apports comme le Tax-Shelter et Wallimage. C'est juste une manière différente de proposer des choses." 

Touwaide complète le propos : "Avec Black Swan Tales, on a la liberté des histoires, des réalisateurs et des castings. Et ça, c'est la plus belle des richesses, surtout pour un petit pays comme le nôtre, qui doit obligatoirement être rusé et trouver des concepts forts pour se démarquer". "Et on tourne quand on veut !", renchérit Sadar, soulignant la rareté des films francophones de genre, malgré le déclic espéré en 2016, avec l'épopée cannoise (et belgo-française, elle aussi) de Grave (Julia Ducourneau). Il poursuit : "C'est magique, car dans un financement classique, il faut souvent attendre. Là, on a moins ce stress. Et on enclenche, car a perdu du temps avec le Covid. En septembre, on tourne un thriller psychologique d'horreur, en octobre un revenge-movie et en décembre, on espère un autre ! À terme, le duo table sur quatre films "Tous les 12 ou 18 mois" et a déjà trouvé des accords de diffusion avec la chaîne française OCS et un vendeur international de renom, What The Film.

Une nouvelle bande de potes pour Kassim Meesters (Coyotes)

Mais revenons à ce premier film, Deep Fear, écrit par le Français Nicolas Tackian, connu entre autres pour la série Alex Hugo. Située dans les années nonante, l'histoire évoque les aventures de trois jeunes qui, pour fêter la fin de leurs études, acceptent d'accompagner un ami pour une descente dans des catacombes. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu et la joyeuse troupe va vivre un enfer. À l'exception du tout aussi prometteur français Victor Meutelet, trois des quatre jeunes comédiens principaux étaient présents lors de notre venue : le Belge Kassim Meesters (Coyotes), la Française Sofia Lesaffre (héroïne de Pour vivre Heureux de Dimitri Linder & Salimah Sarah Glamine, elle était dans Les Misérables de Ladj Ly et sera à l'affiche de Saint-Habib, le prochain film de Benoît Mariage) ainsi que son compatriote Joseph Olivennes. Tous ont qualifié le tournage de gai et sportif, tendu et stressant, physique et riche en challenges. "Vingt-cinq mètres sous terre, dans le noir et avec des lampes de poche, on ne fait pas ça tous les jours ! Mais ce qu'on fait sent bon et va dans une même direction" (Olivennes). "Avec un méchant nazi et des tripes partout, j'étais hésitante à accepter mais au final, c'est jouissif et on se donne à fond !" (Lesaffre). "L'expérience de 40 jours sur Coyotes me sert et si je me retrouve à nouveau avec une bande de potes, la comparaison s'arrête là !" (Meesters). Léone François (La Théorie du Y) figure elle aussi au casting, orienté par le fidèle directeur Sebastian Moradiellos (Girl, Nos Batailles).

Grégory Beghin, repéré grâce à une websérie de la RTBF

Entre deux autres prises, nous interceptons le réalisateur, Grégory Beghin. Bruxellois de 36 ans diplômé de l'INSAS et à qui le projet a été confié grâce au succès d'une websérie de genre produite par la RTBF (Burgland), l'importance du travail en amont qu'il évoquait sur Losers Revolution (co-réalisé avec Thomas Ancora) se confirme. "Si le budget est limité, on est confortables. On a de bons comédiens, des décors difficiles et des conditions qui font qu'on ne pouvait tourner qu'en 17 jours. Mais c'est impossible de faire ce film sans préparation. Pendant trois mois, on a découpé les scènes de A à Z avec le directeur photo, Yvan Coene, ce qui a permis de pré-établir tout, avec des répétitions. Quand on arrive sur le plateau, on ne se pose quasi pas de questions et on tourne ! Pour moi, c'est le seul secret que j'ai pour tenir la cadence."

Écrivant son premier long-métrage ("Qui sera plus dramatique et personnel", dit-il), Beghin, qui a croisé Touwaide grâce à une rencontre organisée par Screen Brussels à ... Cannes, précise la tonalité de son Deep Fear. "C'est un film d'horreur assumé de série B, avec un décalage, car on n'est pas là pour être 100% crédible. Ce ne sera pas tout le temps rigolo à regarder, mais il y aura autant de scènes horribles que touchantes. Les acteurs sont si incroyables qu'ils ont poussé les curseurs du projet plus loin que prévu. J'espère que ce micmac émotionnel fonctionnera au montage !" Auquel il s'agira d'ajouter de nombreux effets spéciaux. "Je suis content qu'on puisse développer ce type de films en Belgique, car il y en a peu. Et si on fait bien les choses, il y en aura beaucoup d'autres. Certes, on doit engager pas mal de jeunes gens - en théorie - moins expérimentés, mais c'est une nouvelle belle porte ouverte pour beaucoup de monde". Précisons que le film, sélectionné comme les suivants par un comité de cinq personnes se réunissant chaque mois, nécessite l'engagement d'une équipe d'une quarantaine de personnes.

«On est au début d'une nouvelle ère» (François Touwaide, producteur chez Entre Chien et Loup)

Le mot de la fin revient à Touwaide, qui prépare entre autres la troisième saison d'Ennemi Public. Également vice-président de l'Union des Producteurs Francophones de Films (l'UPFF), il est via ce lien actif tant dans l'évolution du Fonds des Séries Belges qu'il ne l'a été dans la mise en place de l'important décret SMA (Services de Médias Audiovisuels), en vigueur depuis avril chez nous pour favoriser la création locale. "On est à un tournant, les frontières entre écrans sont plus poreuses que jamais. Dans les années à venir, le cinéma, les plateformes et de nouveaux opérateurs abreuveront notre public de contenus d'un tas de façons différentes, ce qui favorisera aussi toute la création indépendante. Bon, on a encore des combats à mener pour mettre plus en avant nos talents à l'écran, au-delà des chaînes historiques qu'on connaît. Et si moi, mon boulot de producteur est de d'abord donner les moyens à des talents de s'exprimer, j'ai la naïveté de croire qu'on est au début d'une nouvelle ère !"

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