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TKT - Interview Solange Cicurel

Publié le 02/10/2024 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

“Il était important pour moi de parler de harcèlement scolaire dans un film accessible” 

Le harcèlement scolaire, jadis cantonné à la cour de récréation et aux bancs des classes, dépasse depuis de nombreuses années cette limite via les smartphones et réseaux sociaux de nos adolescent·es. Comment l’aborder, comment le combattre? Au travers de TKT, son dernier long métrage, la réalisatrice Solange Cicurel tisse un récit dramatique qui sonne comme un cri d’alarme autant qu’une main tendue pour ouvrir le dialogue. Rencontre dans les locaux de la SABAM en amont de la sortie du film.

Cinergie : Quel rapport entretenez-vous avec ce sujet?

Solange Cicurel : C’est un rapport assez triste que j’entretiens avec cette thématique. J’ai moi-même des enfants, et depuis des années je vois ce qu’il se passe dans les écoles, je vois le harcèlement sur les réseaux sociaux, les suicides, et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.

 

C. : Et pourtant, vous aviez pour ambition de réaliser un film “populaire”, comment concilier cette envie avec ce sujet difficile?

S.C. : Je pense qu’il était important pour moi de faire un film accessible, non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les parents, enfants, professeurs et grands-parents, à toutes celles et ceux qui souhaitent s’intéresser à ce sujet. Ce film, je l’ai fait pour eux. Ce n’est pas un film d’auteur, pas un film de niche, c’est un film populaire avec une histoire d’amour, une histoire d’amitié et de toxicité. C’est un film pour les adolescents avec des ados qui parlent comme ceux d’aujourd’hui. Nous avons travaillé les dialogues et vérifié ceux-ci avec des adolescents afin d’éviter de faire un film d’adultes déraciné de sa cible, notre but était d’être le plus proches possible des adolescents d’aujourd’hui.

 

C. : Comment vous êtes-vous lancé dans ce projet?

S.C. : Cela faisait très longtemps que ce sujet m'habitait, mais je ne savais pas par quel bout le prendre. Et puis, l’autrice Elena Tenace m’a envoyé son romain Tout ira bien [Éditions Empaj, NDLR] et j’ai été conquise par la mécanique qu’elle déploie dans cette histoire. Je l’ai contactée afin d’obtenir les droits d’adaptation de l'œuvre en prenant des libertés, notamment au niveau de l’âge de ma protagoniste, et elle a tout de suite accepté.

 

C. : Pourquoi était-ce important de changer l’âge du personnage d’Emma?

S.C. : J’avais déjà traité de la jeune adolescence dans Adorables, plutôt sur le ton de la comédie. En voyant ma fille grandir, elle avait 16 ans à l’époque, j’ai voulu raconter cette histoire à sa hauteur. J’aime écrire mes histoires autour de sujets que je vois, que je connais et que je maîtrise. C’est un âge compliqué, cette période de la vie. Les amours, les amitiés, l’importance de faire partie d’un groupe prennent beaucoup de place, tout comme l’école et ce besoin de conformité.

 

C. : Dans le film, vous mettez aussi en avant la détresse de parents démunis face aux “t’inquiètes” des adolescents. Comment avez-vous construit ces personnages?

S.C. : Par des rencontres, autant avec les parents qu’avec les adolescents. L’histoire s’est construite sur base de ces interviews pour tenter de raconter ce récit de la manière la plus juste possible. Emma est un condensé de toutes ces histoires, tout comme ses parents le sont aussi. J’ai échangé avec des parents aimants, formidables, inquiets, mais la plupart m’ont dit la même chose : on voit qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais on se dit que c’est l’adolescence. Et de l’autre côté, les adolescents n’ont pas forcément envie d’inquiéter leurs parents, de les faire rentrer dans leur monde. Et ils ont peur que s’ils laissent les adultes intervenir, on les traite de balances ou que cela empire les choses. C’est un cercle vicieux qu’il faut essayer de briser à tout prix.

 

C. : Quel est le rôle des enseignants et des éducateurs dans cette problématique?

S.C. : Ils pourraient avoir un rôle très important, mais je crois que c’est difficile aussi pour les professeurs. On met beaucoup sur le dos des enseignants aujourd’hui, mais ce sont des héros. Ils doivent être de bons professeurs, des pédagogues, des accompagnants, mais aussi pouvoir déceler et évoquer le harcèlement, être proches des étudiants, cela représente une charge énorme. J’espère que ce film pourra les aider à traiter de cette problématique, de même que les parents.

 

C. : En parlant de parents, comment s’est déroulé votre travail avec Émilie Dequenne et Stéphane De Groodt qui incarnent les parents d’Emma dans le film?

S.C. : J’ai eu beaucoup de chance, car l’une comme l’autre m’ont tout de suite fait confiance, avant même la lecture du scénario. Ils voulaient faire partie de ce projet pour lutter contre le harcèlement, et c’est formidable de pouvoir compter sur de tels talents. Avec chacun de mes comédiens, je travaille toujours de la même façon : on lit le scénario ensemble, et on revient sur les intentions, les dialogues des personnages pour que chacun soit en accord avec son rôle. Et si ce n’est pas le cas, je réécris. C’est un processus que nous avons mis en place autant avec Émilie et Stéphane qu’avec l’ensemble des comédiens adolescents, y compris Lanna de Palmaert bien sûr.

Lanna, je l’ai rencontrée grâce à ma fille Nina. C’est elle qui m’a conseillé de la contacter, car les deux se connaissaient bien. Lanna jouait déjà au théâtre et dès le premier casting, j’ai su que c’était elle. Les autres comédiens adolescents ont été castés ensuite, et nous avons travaillé en groupe pour voir comment chacun et chacune fonctionnait les uns avec les autres. La dynamique qui s’est mise en place dans notre groupe final est magique, il y a une amitié qui s’est installée qui perdure d’ailleurs depuis le tournage.

 

C. : Vous disiez tout à l’heure que les adolescents sont frileux face aux incursions d’adultes dans leur monde. Comment envisagez-vous d’accompagner ce film après sa sortie?

S.C. : Nous voulons que le film soit vu dans les écoles, et pour cela nous avons construit un dossier pédagogique très complet et bien documenté. Lors du montage, nous avons sondé plusieurs associations de lutte contre le harcèlement scolaire afin de recueillir leur avis et leurs retours, et de vérifier si celui-ci leur semblait correspondre aux réalités du terrain. Et nous avons adapté le film en fonction de leurs conseils, tout en rédigeant les outils pédagogiques avec leur aide également. En parallèle, nous avons également tourné une seconde fois certaines scènes clés du film en proposant une résolution alternative, pour montrer qu’une autre résolution est possible et que chacun peut être un héros quand on le décide. Ces petites capsules serviront de base de discussion pour les projections scolaires, elles ont été prévues pour cela et j’espère que ces outils, associés au film, pourront réussir à toucher les adolescents et déclencher la discussion. Discuter du harcèlement de manière théorique est une chose, mais je pense que des images peuvent permettre aux adolescents de se projeter et de parler du film. Et en parlant de ce qu’ils ont vu, ils parleront d’eux-mêmes bien sûr.

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