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Tout contact laisse une trace - collectif

Publié le 28/11/2024 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Film composite fait de récits fragmentés, Tout contact laisse une trace est un objet de cinéma non identifié, entre documentaire et pamphlet, brûlot et plateforme d’expression à la fois.

Fruit d’un travail piloté par l’atelier ZinTV dont Sarah Bahja, et d’une écriture collective menée par Milady Renoir, ce documentaire réalisé par l’artiste Nizar Saleh Mohamed Ali nous emmène sur les traces de la colonisation en Belgique, et les entrechoquements de l’Histoire d’hier et d’aujourd’hui. Rencontre avec l’équipe du film.

Cinergie : Comment êtes-vous arrivés à ce projet?

Sarah Bahja : Au départ, nous avions l’envie de travailler sur ce que l’on regroupe sous l’appellation “d’actions de décolonisation de l’espace public”. Et donc, c’est en tant que média que nous avons abordé ce sujet. Au fur et à mesure de notre récolte d’images, nous nous sommes questionnés sur cette approche, et il nous a semblé rapidement évident qu’il fallait travailler de manière plus collective. Avec Milady, puis Nizar, nous avons affiné le projet, et profité de leurs expertises ainsi que de nombreuses autres personnes pour mener à bien ce film.

Milady Renoir : Écrire de manière collective, cela nécessite de prendre en compte que l’on a des manières différentes de rentrer dans le récit de manière, selon notre parcours social. Mon regard de personne socialisée blanche est différent de celui de regards de personnes afrodescendantes et africaines, et les mots que nous employons portent derrière eux toute une série de manières d’appréhender le monde. Nous voulions à la fois rendre compte de ces piliers politiques tout en ne tombant pas dans un recensement de postures, déconstruire les façadismes et garder la complexité de notre propos. Aujourd’hui, plutôt que de brandir le terme de décolonisation, on essaie de parler de 'colonialité' de l’espace public, tout en continuant à poser des gestes et des actions, en tentant d’éviter que ceux-ci soient récupérés. Avec ce film, nous avons pris le parti de retracer, resituer et reconsidérer ce qui est évident pour la majorité des personnes non-blanches dans l’espace public, à savoir cette colonialité.

Nizar Saleh Mohamed Ali : En ce qui me concerne, j’ai été invité par Milady pour assister aux discussions de l’atelier d’écriture collective. J’étais ravi de pouvoir venir traiter en Belgique de ce sujet du passé colonial, et participer à ce projet dont je connaissais également déjà certaines des personnes impliquées. Ce sujet ne concerne pas que le Congo et la Belgique, mais tous les gens qui vivent ici et ne sont pas d’origine européenne.

 

Cinergie : Comment passe-t-on d’une écriture collective à une réalisation audiovisuelle collective?

Nizar Saleh Mohamed Ali : C’est très intéressant comme processus. Avec ZinTV, un média qui possède déjà pas mal d’archives qui montrent et dénoncent les inégalités, la multiplicité des regards était possible. D’autant que l’équipe de ZinTV ne se sentait pas convaincue d’avoir un projet avec un pourcentage de blancs trop élevé. Cela fait une année que je suis ici en Belgique, et je dis souvent aux gens que j’en apprends beaucoup sur mon propre pays depuis que je suis ici. Tout comme beaucoup d’amis me disent qu’ils en apprennent beaucoup sur la Belgique lorsqu’ils sont au Congo. Cette histoire de la colonisation est tellement fragmentée qu’on trouve des morceaux un peu partout. Et pour faire ce film, je voulais être à l’écoute, aller à la rencontre de plusieurs points de vue. Dans ce film, on voit notamment l'historien belge Lucas Catherine, qui a beaucoup écrit sur la colonisation, mais qui est une personne blanche. Son point de vue est celui d'un blanc qui parle d’un passé douloureux et de méfaits commis par des blancs. Et cela me semblait intéressant.

C’est un film qui est difficile parce qu’il y a beaucoup de matière, mais nous avons choisi de nous concentrer sur les monuments, sans pour autant les montrer, pour que certains personnages deviennent eux-mêmes les monuments du film. Mais c’est aussi un film qui ne sera jamais terminé, parce que c’est une lutte. Changer les choses, bousculer, cela ne se passe pas en un jour, une année, ni même en cinq. On ne sait pas quand va aboutir ce film, mais on sait que cela va continuer dans la vraie vie.

 

Cinergie : Comment avez-vous sélectionné les artistes et personnes qui apparaissent dans le film?

Milady Renoir: On pourrait appeler ça le 'lobby vertueux des amis', ou de celui de 'la lutte', en fait. Taslim par exemple est un des membres du collectif La voix des sans-papiers, et qui a longtemps été dans le silence des violences institutionnelles et qui a choisi le dessin pour s’exprimer. Ensuite est venue la parole scénique, descendant des manifestations et des prises de parole. Et à travers cette prise de position dans des espaces culturels, la possibilité de pouvoir dire les choses et les vivre dans son corps à la fois.
Et nous sommes heureux de pouvoir dire que pendant le processus du film, il a finalement obtenu ses documents après douze ans d’errance institutionnelle.

Parmi les autres, il y a aussi microMEGA le verbivore que nous connaissions déjà, qui lui aussi est en train d’arriver en Belgique, et qui ressentait aussi cette matérialité de la colonialité, et il y en a de nombreux autres.

 

Cinergie : Comment avez-vous choisi de transmettre cette colonialité qui se ressent visuellement dans le film, ce coup de poing comme vous l’appelez?

Nizar Saleh Mohamed Ali : Lorsque je suis arrivé en Belgique pour la première fois, c’était à la gare d’Anvers. Et je me suis retrouvé anéanti, totalement affaibli. Et ce n’est pas que ce bâtiment, c’est aussi la rue des diamantaires, le Jardin zoologique et son Okapi – un animal de mon vécu, de mon pays – ou encore le jardin botanique ou des experts étudient des bananiers. Pour moi, tout cela fait aussi partie de l’espace public. Mais avec ce film, je voulais aussi éviter de montrer des gens vulnérables. Je voulais les mettre dans une position de force, à l’instar de Moussa et ses titres dans le parc Royal.

Sarah Bahja : Chez ZinTV, nous sommes aussi un organisme d’éducation permanente, un média d’information et il y a cet aspect de transmission et pédagogie qui est très important. Produire ce film, c’est mettre en lumière les blessures, mais aussi les luttes et les mouvements sociaux et cela s’inscrit dans notre mission avec une temporalité différente, mais toujours dans un processus de création et de documentation.

 

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