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Tueurs de François Troukens

Publié le 06/12/2017 par Adrien Corbeel / Catégorie: Critique

Dans les premières minutes de Tueurs, le premier film de François Troukens et Jean-François Hensgens, de fausses images d’archives se succèdent : braquage d’un supermarché, meurtre de personnes innocentes, possibles conspirations politiques, et un groupe d’assassins masqués que les médias surnomment « Les Tireurs Fous ». Le nom a beau être différent, la référence sera claire pour la plupart des spectateurs belges  : il est question, en filigranes, des fameuses tueries du Brabant qui avaient défrayé la chronique entre 1982 et 1985, et ont marqué en profondeur l’inconscient collectif belge. Il était inévitable qu’elles finissent par nourrir l’imaginaire de son cinéma.

Si Tueurs s’inspire fortement des tueurs du Brabant, c’est surtout dans la manière dont ce passé sanglant affecte le présent. Nous suivons, au cours des 90 minutes qui composent le film, une poignée de personnages impliqués souvent malgré eux dans une affaire vieille de 30 ans. En première ligne, Frank (Olivier Gourmet), braqueur de banque qui, après avoir réalisé le casse qui devait lui assurer une retraite tranquille, se retrouve accusé de meurtres dont il n’est pas l’auteur, et doit fuir des policiers persuadés de sa culpabilité. Alors que ces derniers sont à ses trousses, il apparaît progressivement que le piège dont Frank est la victime n’est qu’une partie d’une plus large conspiration.

Tueurs ne doit pas être approché comme une fiction réaliste, et ce ne serait d’ailleurs pas lui rendre service que de le juger pour sa vraisemblance. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est dépourvu d’une certaine justesse. Jean-François Troukens, co-réalisateur et scénariste du long-métrage, s’est inspiré non seulement de quelques faits réels, mais aussi de son propre vécu pour faire son film. Ancien braqueur ayant purgé plusieurs années en prison, il utilise désormais son expertise criminelle à des fins plus... culturelles. Tueurs évolue ainsi par petites touches d’authenticité - la vie derrière les barreaux, le machisme ambiant du grand banditisme - et stratégies narratives de thriller plus classiques. Historiquement et géographiquement, le film s’ancre dans un cadre belge reconnaissable (le Palais de justice de Bruxelles fait notamment quelques apparitions), mais il lorgne également du côté de l’efficacité des films de genre américains, jouant souvent sur des retournements de situations et de séquences impressionnantes pour maintenir l’intérêt de son spectateur en éveil.

En tant que thriller, Tueurs baigne dans un contexte moral ambigu. Son personnage principal est un braqueur, vers lequel notre allégeance est censée aller, mais dont la personnalité n’incite pas forcément à la sympathie. Ni excuses, ni enfance malheureuse, ni devoirs familiaux ne sont évoqués comme circonstances atténuantes de ses actes. Il est simplement un bandit, attiré par l’appât du gain, et méthodique dans l’exécution de ses crimes. Pour créer l’empathie du spectateur à son égard, les auteurs du film ont surtout choisi d’accentuer la gravité et l’injustice de sa situation, dont il n’est que partiellement responsable. Frank n’est en effet qu’une pièce sur l’échiquier d’une conspiration plus grande que lui, un individu certes malhonnête, mais pas autant que l’Etat qui est après lui. Le tableau du paysage politique que nous propose le film est acide  : la corruption criminelle est partout, insidieuse et effroyablement efficace, et finalement encore plus dangereuse que les actions de malfrats.

Dans ce jeu de chat et de souris, Bouli Lanners endosse un rôle moins sympathique que d’habitude, celui d’un commissaire bien décidé à arriver à ses fins. Lubna Azabal, dans le personnage d’une policière au caractère tout aussi bien trempé, lui rend la réplique. Ils livrent tous deux des performances très intenses, où chacun tente de surpasser l’autre par la force de sa personnalité. Le reste du casting est complété par une pléthore d’acteurs belges talentueux : Natacha Régnier, Anne Coesens ou encore Johan Leysen, dans des apparitions parfois étonnantes par leur brièveté.

Derrière la caméra, on retrouve François Troukens, mais aussi Jean-François Hensgens, surtout connu comme directeur de la photographie. Il utilise ici tout son savoir-faire acquis sur de films très divers (notamment L’économie du couple, Banlieue 13 et Nous trois ou rien) pour nous proposer une œuvre visuellement assez forte. Il y a mis un soin dans le cadre, dans la mise en lumière et dans le mouvement de ses images qui est la marque d’un technicien soucieux de l’aspect formel de son film. Cette même maîtrise apparaît aussi dans les scènes d’actions, nerveuses et souvent impressionnantes, qui parsèment le long-métrage.

À la fois film de genre efficace et intéressante variation cinématographique sur une sombre page de l’Histoire de Belgique, Tueurs s’impose ainsi comme une première œuvre prometteuse pour ses auteurs.

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