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Vacancy d’ Alexandra Kandy Longuet

Publié le 25/03/2019 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Derrière le miroir...

En allant filmer la vie de trois personnes dans les motels américains, Alexandra Kandy Longuet s’empare de ce qu’il reste aujourd’hui de l’American Dream : de la poussière, de la misère, un mirage. Ceux qui vivent dans ces motels sont à côté de la route et regardent le temps, le monde, la vie passer, dépossédés de tout. Incapable de louer une maison, ils sont réduits au strict minimum et doivent chaque jour lutter pour survivre. À la marge du monde, spectateurs d’eux-mêmes et d’un mythe qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Vacancy d’ Alexandra Kandy Longuet

Vern est beau comme un bel Américain. Lisse, froid, un peu inexpressif, un peu ailleurs. Il bricole des musiques synthétiques au fond d’un bureau, répare des bidules, fait cuire des pâtes et c’est toute une affaire car l’eau, ici, est salée… Quand on lui demande « Pourquoi ? », il ébauche un rire. Cela fait très longtemps qu’il n’a pas entendu ce mot « Pourquoi ? »Il n’y a sans doute aucune réponse à cette question. Et Vern s’occupe du cimetière attenant et de ses morts qui sont partout, dit-il, et dont il faut s’accommoder. Il vit dans un motel désaffecté qu’il peuple d’histoires de fantômes, de mythes lointains, de mafia à Las Vegas et de Frank Sinatra... Derrière une station-essence dans le désert. Et les bruits des moulins qui tournent dans le vent et le sable font surgir les hommes à l’harmonica. À côté, un restaurant propret où pourraient débarquer à tout instant Sailor et Lula s’il n’était inexorablement vide.

Many, au corps imposant couvert de tatouages, vit là aussi. La brute a fui, en cavale, ex-dealer, taulard, gangster. On bascule chez Soderbergh, ou dans Narcos, la nuit, quand les lumières de l’autoroute se mélangent, bleues, rouges... Sur son corps de géant, les vestiges d’une vie. La solitude et l’ennui partout ailleurs. Du sable, du vide, des restes d’une Amérique florissante et sûre d’elle qui aurait caché sa misère dans la marge des routes qui la traversent et la construisent. Chaque jour refaire les mêmes chemins, les mêmes gestes, balayer la poussière, se raser au robinet, faire la cuisine à l’eau salée, survivre… Et rêver d’une maison nouvelle à repeindre. D’un fils à retrouver.

Dans le grand nulle part d’un autre motel au bord de l’autoroute, Berverly fait sa valise pour rejoindre son fils. À part ça, elle erre de chambre en chambre. Elle doit sans cesse remballer ses maigres affaires, se réinstaller, trouver de l’argent, faire ses courses, se déplacer… Avec son physique marquée par la vie et sa démarche de jeune fille, Beverly avance malgré tout, à la manière de Sue perdue dans Manhattan. Derrière la porte des chambres où elle s’installe, les cris, des coups… La nuit tombe et les bruits grondent. Son corps marqué par la drogue s’effondre de fatigue. Entre deux prises de cracks. Entre deux sommeils. Et puis tout est à recommencer.

En s’emparant de l’univers des motels américains, Alexandra Kandy Longuet déconstruit un peu plus le rêve américain déjà bien abîmé. C’est tout un monde suspendu, à la limite des villes, à la marge des routes qu’elle filme au plus près, dans un quotidien qui tourne en rond, flottant et désincarné, happé par la rudesse d’un jour aride et âpre, toujours à recommencer. Sans vraiment entrer dans les détails de leurs histoires, elle s’installe dans le présent de ceux qu’elle suit pour nous immerger, au plus près d’un sommeil, d’une conversation téléphonique, d’une hallucination. Elle filme des gestes, capte des confidences, regarde les corps se mouvoir sur des terrains minés, ou abandonnés. Portrait d’une Amérique déclassée, Vacancy passe lentement du documentaire social poignant au voyage onirique, grâce à une magnifique photographie, à des ambiances sonores hallucinées, et à son rythme de ritournelle hypnotique. Et doucement, il bascule tout entier dans l’imaginaire cinématographique qui peuple notre inconscient de spectateur. Ce motif du motel, omniprésent dans le cinéma américain, vient fictionaliser ce réel déjà évanescent, l’effriter un peu plus. Ne reste alors qu’un monde de personnages à l’agonie coincés dans des décors de cinéma déglingués. L’Amérique n’est plus que le souvenir d’un fantasme, une image hantée par les silhouettes absentes qui peuplent notre imaginaire collectif… L’ombre d’elle-même, l’ombre d’un écran.

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