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Véronique Pacco, responsable du Service de la Commission de sélection des films

Publié le 15/12/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Véronique Pacco, responsable du Service de la Commission de sélection des films, fait l'exercice de haute-voltige de nous expliquer, dans les détails, le fonctionnement de ce service. Tout réalisateur francophone qui veut l'aide publique passe par ce bureau. Mais connaît-il le fin mot du rouage institutionnel ? Et pour les curieux que nous sommes, comment reçoit-on l'argent public dans le secteur du cinéma ? 

Cinergie : Le Centre du Cinéma est le meilleur endroit pour se renseigner et obtenir des aides pour réaliser un film. Comment cela se déroule t-il ?
Véronique Pacco:
 Nous sommes bien sûr là pour aider les producteurs à réaliser leurs projets pour tous types de films. Nous octroyons des aides à l'écriture, à la production et à la finition, mais le processus administratif est très long. L'administration n'octroie pas elle-même les aides, elle définit les règles auxquelles doivent se plier les producteurs. Les services offerts par le Centre du Cinéma passent systématiquement par une commission de sélection. Cette commission est composée de professionnels qui lisent et analysent les projets. Ils se réunissent ensuite afin de débattre de l'octroi ou non des aides.
C. : Plusieurs types de commissions existent. Quelles sont-elles et quelles décisions peuvent-elles prendre ?
V. P. : Le mot « décision » n'est pas tout à fait exact. C'est toujours le ou la ministre qui détient le pouvoir décisionnaire. L'ensemble du ministère fonctionne ainsi et chaque pôle (cinéma, musique, théâtre etc...) possède ses commissions composées d'experts. Ils rendent des avis, la ministre tranche. Dans les faits, il existe une grande relation de confiance entre la commission de cinéma et la ministre donc elle suit les recommandations des professionnels.

C. : Il faut préciser que la ministre sélectionne les membres de la commission.
V. P. :En effet, c'est la ministre et non l'administration qui nomme les membres. Ceux-ci disposent d'un mandat de trois ans et sont répartis en deux groupes : les membres effectifs et les membres suppléants. Nous effectuons un appel à candidature tous les trois ans en ciblant deux catégories de professionnels : les membres d'une organisation de professionnels et les indépendants. Nous tenons beaucoup à la diversité des profils, à ce que l'ensemble des métiers du cinéma puissent être représentés. Une commission est ainsi composée de producteurs, de réalisateurs, de techniciens notamment les monteurs qui ont un regard très pertinent, de scénaristes, de critiques... Cette diversité des regards est l'une des grandes qualités de nos commissions.
Les aides à la productionC. : Combien de projets sont étudiés chaque année ?
V. P. : Depuis trois ou quatre ans, cela tourne autour de 500 projets déposés par an en comptant les courts, les longs et les documentaires. Cela demande évidemment une très bonne organisation et de nombreux membres pour traiter tous ces dossiers. La commission est ainsi composée de 55 membres effectifs et de 30 membres suppléants. Nous créons des groupes de lecture s'occupant des différents créneaux (documentaires, courts métrages...) composés de 5 à 7 personnes. Au sein de ces différents créneaux, il y a des groupes de lecture plus restreints s'occupant plus spécifiquement des projets au stade de la production ou de l'aide à l'écriture, un autre groupe s'occupe des productions minoritaires...

Ces 500 projets sont déposés tout au long de l'année. Trois sessions sont organisées. La première a lieu en mars avec un dépôt de dossiers en janvier, la seconde en juin avec un dépôt en avril et la troisième se réunit en octobre-novembre avec un dépôt en septembre. On se retrouve ainsi avec 170 à 180 projets par session.

C. : Vous parlez systématiquement des producteurs et non des réalisateurs.
V. P. :La majorité des aides octroyées concerne le stade de la production, nécessitant de fait un producteur. Les seuls cas où l'auteur peut déposer lui-même son dossier, c'est pour demander l'aide à l'écriture pour un long métrage de fiction ou l’aide pour un film Lab.

C. : Les montants distribués ne sont pas identiques.
V. P. : Effectivement, il existe de nombreux barèmes. Les aides varient de 42.500 euros pour un court métrage, 65.000 euros pour un documentaire télévisuel ou encore 500.000 euros pour un long métrage de fiction. Il est important de préciser que les commissions sont réparties en deux collèges. Le premier collège s'occupe de la première œuvre d'un réalisateur, le deuxième collège traite les œuvres suivantes, deuxième ou plus. En long métrage, le second collège s'occupe des troisièmes œuvres ou plus. Cette séparation existe depuis plus de quinze ans maintenant et découle d'une volonté de soutien aux jeunes réalisateurs pour favoriser l'émergence de nouveaux cinéastes.

C. : Comment sont répartis ces montants ?
V. P. : Il y a quelques années, nous avions reçu beaucoup de bons projets de longs métrages de fiction, du coup, les montants étaient parfois inférieurs de 20 à 25% à ce que demandait le producteur. Depuis, il y a une volonté d'aider un peu moins de films, mais de mieux les soutenir. L'aide est désormais fixe, si un producteur demande 500 000 euros, il aura cette somme ou rien du tout. La commission décide librement du montant à distribuer dans les autres créneaux. Un consensus existe néanmoins depuis quelques années pour que l'aide octroyée ne soit pas inférieure à 10% de la demande.

DocumentairesC. : L'enveloppe n'a pas changée ?
V. P. : Globalement, elle a évolué ces dernières années, mais pas en proportion de l’augmentation du nombre de demandes. L'augmentation du nombre de projets est beaucoup plus rapide que l'augmentation de l'enveloppe globale.

C. : Sur 500 projets, combien sont finalement sélectionnés ?
V. P. : Tout dépend des créneaux, mais cela tourne entre 20 et 30% des dépôts. En court métrage, on est aux alentours de 20%, la part de dossiers sélectionnés est légèrement supérieure pour les longs métrages. Pour les documentaires, nous sommes autour de 30%. 

C. : Concrètement, quel est le nombre de films choisis ?
V. P. : En long métrage majoritaire, on compte 12 films par an. On soutient également des productions étrangères et flamandes ce qui donne un total de 22 à 23 longs métrages. En documentaire, on est à plus ou moins 40 documentaires par an et environ 25 projets de courts métrages.

C. : Que se passe t-il une fois le dossier accepté ?
V. P. : S'il s'agit d'une aide à l'écriture, on signe avec l'auteur et il bénéficie de l'aide assez rapidement. C'est très différent pour les aides à la production vu que les aides du Centre du Cinéma ne constituent qu'une petite partie du budget d'un film. Lorsque le producteur reçoit le précieux sésame que constitue la notification d'aide, il doit trouver les autres financements. Une fois son budget bouclé, il doit revenir nous voir pour terminer la procédure d'agrément, c'est-à-dire que nous vérifions ses sources de financement et si tout est en ordre, et que la société de production est en bonne santé, nous agréons le film et l'aide est débloquée. Il a un délai de trois ans maximum pour réunir ses fonds.

C. : Vers qui se dirige alors un producteur pour finaliser son budget ?
V.P. : 
Habituellement, pour les longs métrages, la RTBF, Wallimage, le VAF ainsi que les distributeurs sont sollicités. Evidemment, depuis quelques années, le Tax-Shelter a de plus en plus d'importance. Les producteurs travaillent beaucoup avec la France et le Luxembourg, mais aussi avec l'Angleterre, l'Allemagne ou la Suisse ce qui permet de réunir des budgets plus importants.
Pour les documentaires, on retrouve les partenaires habituels : la RTBF et les ateliers de production.

Longs métragesC. : Ces aides existent également dans d'autres domaines comme la littérature, le théâtre... Leur existence est-elle due uniquement à un souci de soutien à la création artistique ?
V.P. : C'est une aide à la création artistique bien sûr, mais c'est aussi une aide à la professionnalisation et à la pérennisation du secteur. Précisons que le Centre du Cinéma distribue des aides sur des critères culturels, alors que Wallimage, par exemple, donne des aides sur des critères économiques. Ce sont les qualités artistiques du projet qui nous intéressent, la qualité du traitement, de l'écriture; quelle vision du monde ce film propose-t-il et que nous apprend-il etc... L'un des autres critères, très bien décrit par ailleurs dans un décret, est l'intérêt culturel pour la Communauté française. Nous produisons ainsi des films d'auteurs et non des projets à teneur commerciale. Nous recherchons un point de vue affirmé, une singularité d'approche, etc... Nous tenons également à la diversité des genres, du film social à la comédie comme avec le formidable succès des Barons.

C. : Peu de films sont inéligibles, si ce n'est les films X.
V.P. : Oui, comme toute organisation publique les critères sont définis par décret. Nous ne finançons donc pas de films X, les films portant atteintes à la dignité de l'être humain, etc... Il arrive que des discussions soient vives autour de sujets un peu délicats, mais nous n'avons heureusement pas de cas de projets refusés à cause d'idées nauséabondes.

C. : Il y a eu récemment des changements dans les critères d'attribution. Lesquels?
films Lab 2006-2014V. P. : Depuis le début de l'année 2014, il existe une aide au développement pour les longs métrages de fiction du premier collège, soit les premières œuvres. Cette aide existe depuis plusieurs années pour le documentaire et provient d'une demande récurrente des producteurs. En effet, après l'aide à l'écriture, il existe une période de battement où le scénario n'est pas tout à fait terminé et où le producteur doit chercher des financements tout en organisant des repérages, des castings, etc. Nous avons convenu d'une enveloppe de 37.500 euros pour aider les producteurs à améliorer les scénarios et les dossiers. Ces dernières années, les producteurs avaient tendance à présenter les projets un peu trop tôt pour des raisons budgétaires tout à fait légitimes. Nous espérons donc que cette aide leur permettra de préparer au mieux le dossier avant l'étape suivante à savoir la production.

C. : L'aide n'est pas automatique même pour des cinéastes renommés comme Jaco Van Dormael.
V. P. :Tout à fait, il n'a pas obtenu l'aide au premier passage mais au second, c'est dire si l'on insiste sur le dossier présenté. Pour un premier long métrage, on tient compte des courts métrages précédemment réalisés ainsi que du fait qu'il s'agisse d'un premier long justement. Pour les autres, on tient compte des œuvres antérieures, mais c'est le scénario présenté qui est analysé. Si le scénario est refusé, il est retravaillé et réétudié par ailleurs. Mais ce n'est pas parce qu'un réalisateur a deux, trois ou quatre films derrière lui que le projet passera d'office, certainement pas. 

Pour compléter l’analyse et la discussion sur les dossiers, les auteurs de projets se voient désigner un rapporteur qu’ils rencontrent avant la réunion. C’est ensuite le rapporteur qui présente le projet lors de la séance collégiale de la Commission. Il peut ainsi apporter des informations complémentaires au dossier. Pour ce qui concerne les longs métrages (fiction et documentaires), nous procédons autrement en invitant le producteur et le réalisateur à présenter leur projet devant les membres. Un échange de vues s’installe, dès lors, en direct, entre les auteurs de projets et les membres. 

C. : Vous ne prenez pas du tout en compte le nombre d'entrées des films.
V. P. : Non, pas du tout. On peut en parler, mais on connaît très bien les difficultés de diffusion en salles comme en festivals. De plus, il faut apprendre à lire les chiffres, à les remettre dans leur contexte, etc. Les chiffres bruts ne veulent pas dire grand-chose en cinéma et ne constituent surtout pas un critère de sélection pour un futur film.

 

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