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Vincent Gilot, chef d'atelier d'animation de La Cambre

Publié le 09/07/2010 par Dimitra Bouras / Catégorie: Dossier

Vincent Gilot, chef d'atelier de La Cambre
L'école d'animation de La Cambre produit, chaque année, une dizaine de films de ses étudiants qui, pour la plupart, voyageront un peu partout sur la planète. Nous avons voulu savoir comment s'est créée cette pépinière de talents, et quels sont les ingrédients de sa réussite. Nous sommes partis à la rencontre du chef d'atelier, le référent des travaux pratiques et nous avons trouvé un pédagogue généreux de partager ses connaissances, capable de nuancer les a priori que peuvent avoir les adultes face aux plus jeunes générations.Vincent Gilot nous a guidé dans une belle promenade dans l'histoire et la vie quotidienne de cette école supérieure.

Introduction historique : pourquoi une école d'animation ?

La Cambre a été créée en 1927 par Henri Van de Velde qui, après avoir été séduit par son expérience à Weimar dans le Bauhaus, a voulu, de retour en Belgique, fonder un Bauhaus belge. Il a donc créé une école des Beaux-Arts et des Arts appliqués à l'abbaye de La Cambre avec des cours d'architecture et d’arts décoratifs. Le cinéma n'est arrivé à La Cambre qu'en 1958, sous l'impulsion de Luc Haesaerts, qui a voulu instaurer un cours de cinématographie documentaire expérimentale, métamorphosé par la suite en Institut de Cinéma.
Avec l’arrivée de la télévision, qui a entraîné une demande de techniciens, sont nées deux nouvelles écoles, l'INSAS et l'IAD. Menacée de disparaître, La Cambre a pu sauver son existence en définissant un domaine cinématographique original, lié aux Beaux-Arts. C'est ainsi que l'animation a fait son apparition en 1963.
En Belgique, les écoles d'animation sont liées aux écoles d'art, contrairement à la majorité des systèmes européens qui imbriquent les écoles d'animation dans les écoles de cinéma. En Belgique, et particulièrement à La Cambre, l'animation est considérée comme un art, et non une technique.
En 1981, Guy Pirotte, le chef d'atelier à cette époque, a créé l'atelier de production, sur le même modèle que celui de l'INSAS et l'IAD. Ces ateliers de production sont, depuis lors, aidés par la Communauté française, ce qui permet de dégager plus de moyens mis à la disposition des réalisations des films d'étudiants, en plus de ceux qui sont octroyés par l'école. Ces ateliers n'ont pas de mission pédagogique, mais de promotion et de diffusion. Ils permettent de mettre, dans le circuit du 7ème art, des films aux finitions professionnelles : pellicules, négatifs, tirages de copies. Cela a donné une fenêtre de visibilité beaucoup plus grande aux productions de La Cambre.

Vincent GilotQui dit production, dit diffusion. Quid des films d'étudiants ?
Les étudiants réalisent des films de la 3ème année à la 5ème année. Cela signifie qu'en fin d'année, on a plus ou moins 25 films, avec plus ou moins de réussite. Dans ces 25 films, sont sélectionnés 12 films qui représenteront la Cambre dans les festivals. La diffusion est assurée, depuis 8 ans, par un groupe d'étudiants qui prend tout en charge avec les moyens financiers de l'atelier de production. Ce sont les étudiants qui contactent les festivals, remplissent les fiches d'inscription, tirent les copies DVD et les envoient avec la documentation, les photos et les biographies. Ils ont vraiment pris en main tout le circuit de diffusion et, aujourd'hui, ils sont en contact avec une cinquantaine de festivals, ce qui représente un travail énorme. Pour se faire une idée, les grandes écoles d'animation en France engagent des professionnels qui ne s'occupent que de la diffusion des films des étudiants. 

La patte La Cambre
La caractéristique des films signés La Cambre, c'est… qu'ils n 'en ont pas ! C’est-à-dire qu'ils sont assez atypiques. Ils représentent souvent le travail d'un auteur. C'est un contenu en plus d'une forme. Il y a peu de films à visée commerciale, de passage en télé, ou même très peu de films pour enfants. Ce sont des films très égoïstes, faits uniquement pour le plaisir de chaque auteur, et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ça marche !
La Cambre fait l'impasse sur la 3D CGI, technique utilisée dans Shrek ou Là-haut. Pour cela, il faudrait être appuyé par des écoles d'ingénieurs et d'électroniciens. Les techniques enseignées ici sont plus traditionnelles et plus artisanales, avec des peintures sur papier, ou des films en volume, avec des marionnettes, des maquettes et des objets, ou une tablette graphique. 

Comment devient-on « cambrien » ?
Il y a un examen d'entrée, parce qu'il y a plus de demandes que de places disponibles, et il faut pouvoir encadrer correctement chaque étudiant. La philosophie de La Cambre, dans chaque discipline, c'est d'accompagner chaque étudiant dans son projet individuel. On essaie de greffer l'enseignement autour de son projet, c'est-à-dire qu'il faut une véritable disponibilité des professeurs. C'est ce qu'on appelle la pédagogie différenciée. Dans les trois premières années du Bachelor, l'étudiant se trouve devant un cursus en trois parties : une partie spécifique à l'option choisie et, dans cette option, des cours comme le son, l'animatique, le storyboard etc., et une partie pratique de travail d'atelier trois après-midi par semaine. Un autre tiers est constitué de cours théoriques, pour l'acquisition de notions plus intellectuelles : historie de l'art, sémiologie, sémantique, etc. Un troisième tiers est dédié aux cours de soutien à la disciple comme le dessin, la perspective ou l’art numérique.
En général, une cinquantaine de candidats se présentent à l'examen d'entrée, pour une douzaine de places. Les candidats qui viennent se présenter connaissent l'école, sa philosophie et ses exigences. Les conditions pour entrer, c'est d'avoir une base de dessin, pas dans l'excellence du dessin, mais comme outil de communication de point de vue. Ils doivent passer un examen de maturité culturelle pour tester leur capacité à discuter d'un texte, argumenter et, à travers un storyboard, savoir comment raconter une histoire. Il y a aussi un test d'animation pour voir s'ils ont le sens du rythme, un exercice de scénario, et enfin une rencontre orale avec l'équipe pédagogique, où ils peuvent présenter des travaux antérieurs.
Sur 50 ans, La Cambre compte 73 étudiants diplômés. Ces dernières années, les étudiants qui en sortent varient entre trois et six. Une moitié disparaît en cours de route. Pour une grosse partie, c'est en première année, quand ils se rendent compte que ce n'est pas ce qu'ils voulaient. D'autres partent parcqu’ils trouvent un travail avant la fin de leurs études. 

Quelle issue après cinq ans à La Cambre ?
Ce que l'étudiant trouve après cinq ans à La Cambre, c'est, d'une part des réponses techniques aux questions qu’il se pose, mais surtout un réseau, une méthode d'approche de production d'un film : de l'image, du son, de la narration. Pour chacun de ces volets, les méthodes techniques évoluent. La narration est très importante. Elle est testée collectivement pour voir si l'histoire tient la route sans la pirouette graphique.
Ils bénéficient d’un cours de scénario de Philippe Elhem, où ils voient d'autres films et d'autres approches. En 2ème année, ils ont un cours d'histoire de l'animation avec Philippe Moins. Les étudiants reçoivent aussi une nouvelle qu'ils doivent adapter. Cette année, par exemple, il s’agissait de La Bibliothèque de Borges. S'ils peuvent en faire un petit film, ils le font, mais, en fin d'année, ils doivent pouvoir montrer aux spectateurs leur point de vue sur la nouvelle.
Les étudiants qui sortent d'ici ont déjà fait un ou deux films, et c'est leur carte de visite. Un film primé est une embauche assurée. Le domaine où l’on demande des animateurs, c'est principalement la publicité.
Les films se font en collaboration, à différents niveaux : intra Cambre c’est à dire entre étudiants de disciplines différentes (photos, scénographie, etc.). Il y a aussi des collaborations avec d'autres écoles, formelles ou informelles. Dans les collaborations formelles, l’école fait partie du groupe ARTES, une collaboration entre La cambre, le Conservatoire Royal de Bruxelles, et l'INSAS. »

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