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50/50 - Les Rendez-vous d'Anna de Chantal Akerman

Publié le 08/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Chantal Akerman est issue d'une famille juive polonaise. Ses grands-parents et sa mère, Natalia, ont été déportés à Auschwitz, d'où seule sa mère en est revenue. L'angoisse chronique de sa mère est un thème majeur de son œuvre. Avec les rapports sexe/amour/argent, l'ennui et le vide existentiel, l'humour triste et la solitude. Elle analyse les comportements humains en posant la question du bonheur. Sa relation au judaïsme, toujours plus intense, traverse toute sa filmographie. C'est Pierrot le fou de Jean-Luc Godard qui a provoqué sa vocation. Formellement, Michael Snow sera sa deuxième profonde influence. André Delvaux l'a soutenue dès son premier court métrage, Saute ma ville en 1968, un film pré-punk où l'adolescente exprimait de manière explosive son besoin vital de libération.

50/50 - Les Rendez-vous d'Anna de Chantal Akerman

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Vous avez été la productrice de Chantal Akerman, mais aussi sa deuxième assistante sur Les rendez-vous d'Anna : quelle place occupe ce film dans sa filmographie ?

Maryline Watelet : Tout d'abord, il arrive juste après Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, qui a donné à Chantal Akerman une visibilité internationale, puisque ce film a fait l'effet d'une bombe et est allé absolument partout durant plus de deux ans. Grâce à ça, Les rendez-vous d’Anna a trouvé des soutiens importants – la Gaumont par exemple –, qui ont donné des moyens financiers à Chantal qu'elle n'avait jamais eus. Le budget était très important tout d'un coup, les acteurs étaient de véritables stars à l'époque : Jean-Pierre Cassel, Lea Massari ou encore Aurore Clément, qui était une étoile montante. C'était un film avec une grosse équipe, un plan de travail impossible à bouger. Il représente donc un cadre de travail très différent pour Chantal. C'est aussi celui qui a marqué une rencontre importante pour elle : celle avec Aurore Clément, qui va aboutir à une longue collaboration, puisqu'elles vont faire cinq films ensemble après Les rendez-vous.

 

A.F. et S.P. : Comment le film a t-il été accueilli lors de la Première ?

M.W. : Il a été sélectionné au Festival de Paris et a été hué d'une manière horriblement violente. Je n'avais jamais vu une chose pareille ! Aurore Clément a dû quitter la salle, cachée sous un imperméable. Personne n'a compris pourquoi, mais visiblement il s'agissait d'une cabale personnelle contre l'actrice elle-même... D'ailleurs, finalement, le film a reçu le Prix de la Mise en scène. Puis, il a été sélectionné dans d'autres festivals et a reçu d'autres prix, notamment à Chicago sans susciter ces réactions excessives.

 

A.F. et S.P. : Selon vous, Les rendez-vous d'Anna était-il pleinement ancré dans son époque ?

M.W. : Sans aucun doute. Tout d'abord, peut-être par ce qu'il raconte, son côté autobiographique. Il met en scène une cinéaste qui accompagne son film de ville en ville, un peu comme un représentant de commerce... Cette histoire était clairement inspirée de ce que Chantal avait fait avec Jeanne Dielman, qu'elle avait accompagné partout. Tous ceux qui avaient aimé ce film avaient envie de voir Les rendez-vous d'Anna. Plus globalement, je pense aussi qu'il est de son temps parce qu'il montre une Europe du Nord en crise et recueille les histoires de personnages qui deviennent de véritables métaphores, celle de la figure de l'Allemand, du Français... C'est très fort ce qu'elle a fait là ! Et puis, il y a les thèmes de son cinéma : l'exil, les questions sur le bonheur, l'amour, la filiation, etc... Pour elle, il s'agissait de raconter la fin de quelque chose. C'était presque prémonitoire dans un sens, car ce film, qui date de 1978, est aujourd'hui encore d'une criante actualité.

 

A.F. et S.P. : Quelle est la vie de ce film aujourd'hui, 40 ans après ?

M.W. : En tant qu’administratrice de Paradise Films, je vois tout ce qu’il se passe autour des films que nous avons produits et qui sont aujourd'hui confiés à la Cinematek. Les rendez-vous est toujours demandé dans les cinémathèques, dans les festivals, partout... L'œuvre de Chantal est étudiée dans les universités du monde entier. Je reçois des thèses d'universitaires américains, des textes si denses et analytiques que je n'ai même pas la force de tous les lire ! Et cela sera toujours le cas, je crois, même quand vous et moi ne serons plus là. Une fondation est en cours de création : cela permettra de rassembler tous les films de Chantal et de faire circuler ceux qui sont moins connus comme Demain on déménage ou Histoire d'Amérique.

 

A.F. et S.P. : D’après vous, qui serait l'héritier de Chantal Akerman aujourd'hui, en Belgique ?

M.W. : Au moment de son décès, j'ai reçu tellement de messages qui me disaient : « Je n'aurais jamais fait de cinéma sans elle ! ». Je crois que beaucoup de gens ont été influencés par son cinéma. Certains le disent, et pas des moindres, comme Gus Van Sant ou encore Apichatpong Weerasethakul. Elle a influencé beaucoup de gens avec son cinéma, c'est certain, mais également avec le chemin qu'elle s'est tracé. Chantal a quitté l'INSAS après trois mois et, pour cette raison, elle est un peu comme un mythe, un mythe rimbaldien qui inspire des jeunes voulant travailler hors du système comme elle, librement !

 

 

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