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Rémi Vandenitte à propos de Grise Mine

Publié le 07/05/2010 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Rémi Vandenitte, auteur de Grise Mine, film lauréat du Prix Cinergie au Festival Anima 2010. Pour notre entrevue, Rémi nous a donné rendez-vous dans les ateliers de La Cambre, son ancienne école qu'il a quittée depuis peu.

Cinergie : Qu'est-ce qui t'a donné envie de passer cinq ans à apprendre les techniques de l'animation ?
Rémi Vandenitte :
J’ai fait des études d’illustration aux Beaux-Arts avant de venir à La Cambre. J'ai appris la sérigraphie, la photo et la gravure. C’est dans la
gravure que j’ai pris le plus de plaisir. D’ailleurs,
Grise Mine a commencé par des illustrations et des gravures. C’est seulement après que j’ai mis au point l’histoire et la mise en scène. Ce qui m’a donné envie de faire de l’animation, c’est le fait de mettre du son sur les images. C’est quelque chose que je trouve incroyable.
J’ai fait un stage à l'atelier Graphoui, et je me suis rendu compte que mettre du son sur une image animée, c'est magique, ça prend une tout autre vie !
Pour Grise mine,il y a eu un gros travail de son. En fait, deux gars de l’INSAS se sont proposés pour me donner un coup de main, un ingénieur son et un monteur. J’avais déjà une idée assez claire de ce que je voulais, mais il fallait faire des recherches. On est allé dans la mine de Rumelange, au Luxembourg, pour faire des prises de son. Il s’est avéré que ce n’était pas du tout ce que l’on croyait. Sous terre, le bruit est absorbé, on n’entend rien !
Une partie du son a été enregistrée dans la mine, mais l’autre s'est faite en studio. On a très vite pensé au son de l'orgue. Tout ce système de soufflerie et de tubes fait inévitablement penser au système de tunnels d'une mine.

Portrait de Rémi Vandenitte auteur de Grise Mine

C. : Quelles sont les techniques que tu as découvertes à La Cambre ?
R. V. : J’ai commencé à animer sur du papier. Après, je suis passé à la tablette graphique. J’ai appris l’animation du papier découpé sur ordinateur, et je l’ai développée pour Grise mine. Pendant cinq ans, j’ai fait un peu de tout, j’ai cherché ce qui m’intéressait techniquement, graphiquement et dans la narration. J’ai fait cinq films très différents et pour le dernier, j’avais envie de me faire plaisir. Mon truc, à côté de l’animation, c’est la gravure et l’illustration. J’ai essayé de trouver un système pour appliquer la technique de la gravure en animation.
Le principe, c’est que c’est du virtuel. Je travaille sur tablettes graphiques, c'est-à-dire que c’est mon image qui est noire et que j’ai mon dessin en référence derrière ou devant. Je gratte dans le noir pour faire apparaître le blanc. C’est à chaque fois là où la lumière se pose. L’avantage, c’est que ça suggère tout au lieu de montrer clairement, ça suggère des formes. Il y a plein de moments où l’on est pas sûr de ce que c’est, et il faut un petit temps d’adaptation avant de percevoir la forme. C’est un peu le mythe de la grotte, c’est le même principe. J'ai également beaucoup travaillé l'apport de lumière en 3D, en modélisant, en donnant du volume aux personnages, aux objets. Tout est dessiné en volume, et je superpose des couches sur lesquelles je vais encore travailler pour donner un effet de lumière.
Je savais quel graphisme j'allais utiliser grâce à la gravure. Les 4 films que j’ai faits auparavant n'ont rien à voir ni entre eux ni avec celui-ci, bien que, graphiquement, Grise Mine se rapproche un peu de mon premier film. Je n’ai pas fait de concessions pour ce film, je voulais juste le faire jusqu’au bout. Et puis, tout compte fait, j’ai trouvé une manière efficace de le faire, et c’est ça qui m’a permis d’arriver à une bonne méthode de travail et de le finir à temps. C’était une première, je n’avais pas pensé à travailler comme ça avant. J’ai pris beaucoup de plaisir à le faire, jusqu’au bout. Il n’y a pas eu un seul moment de contrainte.

C. : Tu es un peu jeune pour avoir connu les mines de charbon, comment est née cette histoire ?
R. V. : Elle fait partie de mon histoire familiale. Mon arrière-grand-père est mort dans la mine. Les illustrations que j’avais faites au départ étaient tirées de cette histoire. Mais je n’avais pas envie de rentrer dans une histoire douloureuse, je voulais faire quelque chose sur le temps qui passe. Le personnage traverse le temps sans le savoir. Plus il s’enfonce, plus il va loin. C’est comme ça qu’il en vient à retrouver des squelettes de dinosaures, des cadavres d’on ne sait où, d’on ne sait quand …
La seule autre personne vivante dans cette histoire, c’est le mineur qui a pris un caillou sur la tête et qui a un bandage. Il est en train de manger ses chevaux. Il y a eu une catastrophe à Courcelles qui a fait plus de 1000 morts. 14 ouvriers sont ressortis après 15 jours sous terre. Ils expliquaient qu'ils avaient survécu en mangeant les chevaux morts et les cantines des autres qu’ils retrouvaient.
Même si ce film n’est plus d’actualité en Belgique, il l'est toujours dans d’autres pays.
Et puis, il y a le noir et blanc, c’était parfait pour la mine. Ça se réglait très bien par rapport au graphisme… C’était parfaitement ce qui me fallait, aussi bien au niveau de l’histoire que de la technique.

C. : Oui, mais c’est aussi le sujet qui te tient à cœur. Je me trompe ?
R. V. : J’ai plein de passions, et j’essaye de travailler selon mes passions. Quand je rentre dans un sujet, j’aime bien le développer. Je crois que c’est important. J’ai lu pas mal de livres sur la mine, je me suis renseigné. Petit déjà, j’ai visité quelques mines. C’est un sujet que je connaissais bien à la base et j’y ai encore travaillé.
Et puis, ça fait partie du patrimoine belge, comme ça fait partie de ma famille et de beaucoup de familles ici, en Belgique.
D’ailleurs, la fin du film montre aussi un autre aspect du patrimoine belge. Que deviennent les mines ? Des musées, des centres d’arts contemporains … Des lieux où des milliers d'ouvriers ont travaillé, ont vécu, et qui y sont morts aussi, sont transformés en lieux de fêtes...
À la base, le personnage devait mourir, mais finalement j'ai décidé que non. On devait aussi voir l'explosion, mais ça ressemblait à une course poursuite à la « Indiana Jones » et ce n'était pas ce que je voulais.

C. : Est-ce que pour écrire ton histoire tu as demandé de l’aide ? Tu as réfléchi avec d’autres ? L'animation, ce n'est pas seulement une technique.
R. V. : Le dessin et l'animation, c'est une petite partie du film. Avant ça, vous avez tout le scénario, la mise en scène, le story-board… sans parler du son, de la post-production,... Curieusement, l'écriture est allée relativement vite. J'ai eu assez vite le synopsis de base. L'avantage, c'est que j'ai pu rapidement traiter la technique, et c'est pour ça que j'ai pu me permettre de ne pas faire de concessions. 

C. : Quels sont tes projets à courts termes ?
R. V. : J'ai travaillé dans un studio comme animateur, chez des anciens de La Cambre, le collectif, L'Enclume. Je prépare un film. Je l’envoie aux producteurs et j'attends les retours. Etant donné que je sors de l'école, je vais d'abord commencer par un court métrage, et si ça se passe bien, on verra au fur et à mesure.

C. : Vas-tu utiliser la même technique que pour Grise mine ?
R. V. : Je vais utiliser deux techniques : une partie en stop motion, et la deuxième, je la voyais comme Grise mine, mais en couleurs. Mais pour le moment, ce n’est pas encore très clair. Là, je m'attaque surtout au scénario, la technique viendra après. Mais il y a de fortes chances pour qu'il y ait une partie métaphorique qui soit comme en gravure. 

C. : Qu'est-ce que cela te fait de revenir dans ton ancienne l'école ?
R. V. : Je ne suis pas mécontent d'avoir fini l'école, mais on revient toujours ici avec plaisir. Il y a une ambiance dans cet atelier qui est incroyable et qui n'a pas changée depuis des années. Le monde de l'animation en Belgique n'est pas très grand. On se connaît tous. Le nombre d'élèves qui sortent dépend d'une année à l'autre. De ma promotion, nous n’étions que deux à terminer. 

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