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Voyage à Paris de Jef Cornelis

Publié le 25/02/2021 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Paris, lumière vacillante

Avila, la toute jeune plateforme belge de films online, poursuit son magnifique travail d'édition en proposant ce Voyage à Paris de Jef Cornelis (1993). Producteur, réalisateur et scénariste, Jef Cornelis est l'auteur prolifique de documentaires, notamment pour la chaîne de télévision flamande VRT au sein de laquelle il a travaillé pendant près de 35 ans. Avec une soixantaine de documents audiovisuels à son actif, l'œuvre de Cornelis est marquée par son attachement à l'art et à ses différentes disciplines; portraits d'artistes (Buren, Broodthaers, Panamarenko, etc.) et de courants, nombreux films sur l'architecture mais aussi un intérêt pour l'urbanisme.

 Voyage à Paris de Jef Cornelis

 

Avec Voyage à Paris, Jef Cornelis signe une oeuvre kaléidoscopique et poétique d'une grande richesse visuelle et sonore. Le réalisateur détourne le fameux « Paris, ville lumière » et offre une vison étonnante de la capitale française. Entièrement post-synchronisée, cette balade s'ouvre sur le réveil de Paris; les gens dans la rue, les parcs, les marchés. Mais l'intérêt du cinéaste se pose d'emblée sur les magasins et leurs merveilleuses vitrines, principalement celles des boutiques de luxe. Car il ne s'agit pas d'un voyage anodin ou touristique. Au montage sensitif et rigoureux de l'image (les étalages, les nombreux jeux de reflets dans les vitres et miroirs, les brillances des bijoux, les matières des vêtements) se télescope une bande-son hétéroclite faite de souffles, de nappes sonores électroniques qui créent un décalage surprenant. Sur ce paysage audiovisuel, nous écoutons la voix majestueuse de Michael Lonsdale récitant magnifiquement des textes cruels, drôles, sarcastiques ou élogieux sur Paris. Daudet, Baudelaire, Zola, Balzac ou encore Rilke sont ainsi conviés et permettent également le choc de temporalités différentes. Des gravures rappellent le Paris du 19e siècle et les jonctions entre époques sont subtilement entrelacées notamment grâce au paysage sonore : sons d'antan sur des images contemporaines. Observateur brillant, Cornélis possède assurément un vrai sens du cinéma. Tout est pensé et articulé avec pertinence et sensibilité. Ainsi par exemple, vers le milieu du film: dans une grande salle d'un café typiquement parisien très fréquenté, la caméra panote de gauche à droite balayant doucement l'espace. En arrière-plan, derrière les vitrines, un camion dans la rue accompagne ce panoramique. Beauté et simplicité du mouvement.

Ce voyage s'avère être moins glamour qu'il n'y paraît. Le cinéaste traque les signes du désastre de la surconsommation comme un enivrement grotesque et misogyne. Les femmes y apparaissent comme consommatrices (clientes des temples du luxe) ou consommées (prostitution de rue). Le voyage se révèle être une critique d'une société productiviste et de ses dérives inhumaines, particulièrement pour les femmes (parallèle nauséeux entre la prostitution et l'abattoir de boucherie). Il est d'ailleurs passionnant de découvrir ce film aujourd'hui, comme si seule la cadence semblait avoir changée de par son accélération. Le motif du mannequin dénudé en vitrine nous interroge directement : quelle humanité dans une telle société ?

 

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