Cinergie.be

Frédéric Sojcher dans la magie du cinéma

Publié le 01/06/2011 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Hitler à Hollywood nous parle du cinéma à une époque où l'on a l'air de comprendre, après un épisode télévisuel dominant, que le septième art n'est pas uniquement des images du siècle précédent, mais qu'il a toujours un grand avenir devant lui. Que celui-ci est intéressant, passionnant, et pas seulement grâce aux moyens d'évolution de la technologie. Certains d'entre nous pensent que l'on a même pas utilisé 50 % des capacités qu'il nous offre, même si 40 % de celles-ci sont réalisées à Hollywood dans cet Acropole du cinéma comme art de masse. Pourquoi, au juste, ce soft power est-il devenu, au niveau planétaire, une arme supérieure aux armées conventionnelles, comme le signale depuis longtemps Paul Virilio ?

C'est l'une des approches de Hitler à Hollywood, dans un film qui se veut avant tout ludique et proche de la bédé à la Belge, pour ne pas nous faire oublier que le cinéma est un art populaire et non une culture populaire. Nous avons demandé à Frédéric Sojcher, réalisateur et enseignant de cinéma (Panthéon/Sorbonne, Paris 1) de nous expliquer, chez lui, à Bruxelles, quelques-unes des idées qui ont donné naissance à ce film qui parcourt plusieurs angles de l'histoire du cinéma : de l'esthétique à l'économique. Hitler à Hollywood, sorte de Tintin au féminin (Maria de Medeiros) au pays de l'or noir, est un film sur le monde des images qui ne cesse de jouer avec le noir et blanc et la couleur, de l'avant-guerre à l'après-guerre.

C. : Frédéric, as-tu voulu réaliser dans Hitler à Hollywood une fable sur le parcours binaire du cinéma, un art et un divertissement ?
Frédéric Sojcher : Waaaouh! Epidemic de Lars Von Trier m’a longtemps fasciné. Pendant toute la durée du film, il y a un logo, « Epidemic », qui apparaît sur l’écran. C’est une sorte de virus qui contamine tout le film et, évidemment, le spectateur. Je trouve que cette idée est extraordinaire parce que, selon moi, il s'agit d'un film ayant un côté organique. C’est comme s’il devenait vivant, c’est-à-dire un film qui a sa propre identité et qui ne ressemble à aucun autre, non pas en cherchant à tout prix à être original mais parce qu’il a cette singularité.Pour moi, un grand film est un film qui, après son visionnement, suscite des images mentales, des sensations, des impressions, et engendre une réflexion. C’est la grande différence, entre, d’une part, un cinéma de divertissement, parfois très bien conçu, et, d’autre part, les films parfois plus difficiles d’accès, ou même certains films grand public qui laissent une impression après coup parce qu’ils ont justement quelque chose de différent et qu’ils nous apportent une autre émotion, une autre sensation, un autre rapport au monde. Ils ne sont pas toujours parfaits, mais ils ont cette force, cette personnalité.

 

Pour Hitler à Hollywood, je me suis demandé comment le film pourrait trouver sa singularité. Je voulais à tout prix éviter de tomber dans le faux documentaire. Surtout ne pas avoir une image type « reportage », où c’est simplement des cadres fixes ou, à l’inverse, une caméra tout le temps à l’épaule. J’avais envie de trouver autre chose, une autre approche visuelle, d’autres choix de mise en scène plutôt que de tomber dans les stéréotypes du cinéma de reportage documentaire.
Il était très important qu’il y ait un aspect ludique. J’espère que le spectateur prendra plaisir à voir le film, mais aussi qu'il puisse se poser la question du pouvoir du cinéma. Comment a-t-il un rapport avec l’imaginaire et avec notre inconscient ? Comment, nous spectateurs, nous sommes modelés par les films que nous voyons ?
Comme le souligne Franklin Delano Roosevelt, « envoyez des films, les produits suivront ». Cette phrase, que j’ai reprise dans le film, est très profonde, parce que le meilleur ambassadeur économique des Etats-Unis, ce sont tout simplement les films américains. D’où la question, comment est-ce qu’on peut défendre une diversité culturelle D'après Jean-Michel Frodon et Michel Reilhac, toute civilisation est basée sur des histoires, sur des mythes qu’on se raconte. Au XIXe siècle, la meilleure manière de raconter des histoires, c’était évidemment à travers les films. Le cinéma était le grand art populaire et magique parce que, dans le cinéma, il y avait tantôt la démarche artistique, tantôt la rencontre avec un large public. Donc, la question posée par l’hégémonie du cinéma américain est que s’il n’y a plus qu’un seul cinéma dominant dans le monde, comment est-ce qu’il peut y avoir différentes cultures, différentes civilisations qui puissent coexister ?

 

Maria de Medeiros dans Hitler à Hollywood

 

C. : Le cinéma des studios d'Hollywood a réussi à prendre l'hégémonie de la diffusion mondiale. Comment a-t-il réussi à imposer l'idéal de « l'American of life » ?
F. S. : Je me suis demandé pourquoi seuls les Américains arrivaient à dépasser le cadre national ou communautaire. On sera tous d’accord, y compris les Américains, qu'il ne s'agit pas de la volonté de Dieu de dire que seuls les Etats-Unis seraient capables de faire un cinéma qui soit planétairement diffusé et reconnu. Alors, pourquoi ? Est-ce que nous, en Europe, avons pris les bonnes mesures pour répondre à cet enjeu qui dépasse de très loin le cinéma ? Comme le souligne Jean-Claude Batz, le cinéma européen est un enjeu de civilisation. Et la solution n’est pas d’être contre le cinéma américain et encore moins contre les Etats-Unis, mais de pouvoir jouir d’une vraie diversité. Ce qui, à mon avis, existe aujourd’hui, c’est une diversité culturelle de chacun chez soi, c’est-à-dire les Italiens en Italie, les Espagnols en Espagne, les Français en France, par contre les films américains, sont partout.
C’est un véritable enjeu démocratique. Il y a de très grands films américains, mais il me semble important de refuser qu’il n’y ait pas que des films américains ou des variantes de ceux-ci.
Deux situations existent : soit, comme c’est le cas en France, il y a un cinéma national qui continue à subsister et, dans ce cas-là, le cinéma américain, le cinéma national et le reste du monde n’existent pas globalement, en tout cas d’un point de vue économique. Soit, et c’est encore pire, il n’y a pas de cinéma national et le cinéma américain domine. Mais il n’y a aucune cinématographie au monde qui, à ce jour, soit parvenue, à diffuser ses films partout avec des vrais échanges économiques importants. Ainsi, le cinéma indien, extrêmement populaire en Inde, est réservé aux spectateurs d’origine hindoue ou indienne qui vivent en Europe. Leur cinéma existe seulement dans une sphère communautaire : celle de la communauté indienne dans le monde. Il en va de même pour le cinéma chinois ainsi que pour tous les grands pays et toutes les grandes cinématographiques qui existent au niveau national.

 

C. : Le cinéma est un art populaire, et non une culture populaire. Certains ne comprennent toujours pas la différence. C'est toute la magie du cinéma, nous semble-t-il…
F. S. : Je pense que la magie du cinéma, c’est réussir à allier une démarche artistique et une rencontre avec un public. Le vrai défi aujourd’hui, c’est qu’il y a un fossé de plus en plus grand qui se creuse entre, d’un côté, un cinéma d’auteur de qualité, avec parfois de très grands cinéastes qui sont de plus en plus dans une géographie du ghetto, donc reconnus par les grands festivals, reconnus par les critiques, mais dans une diffusion extrêmement réduite ; et, de l’autre côté, un cinéma commercial qui n’a pas forcément un côté artistique, qui est de plus en plus conçu comme un produit avec justement un refus de la singularité.
Donc, la question qui se pose aujourd’hui, c’est, quel est l’avenir du cinéma ? Est-ce que le cinéma peut rester à la fois un art populaire et un art singulier comme il l’a été ? C’est un vrai enjeu de société, et ça pose la question, d’une part, du rapport entre création, production et diffusion et, d’autre part, du rapport de l’Europe.
Comment provoquer des échanges culturels ? Par exemple, les réussites du cinéma italien venaient aussi de coproductions entre la France et l’Italie. On en revient à la politique, parce que c’est très précisément au milieu des années 1970 que Berlusconi a lancé, en Italie, des chaînes privées qui sont apparues sans aucune réglementation par dizaines et par centaines. Ils ont donc, Berlusconi en tête, acheté en masse des produits américains, parce que ceux-ci étaient déjà amortis sur leur marché alors que les producteurs italiens ne pouvaient pas se permettre de brader le prix de leurs films sur le marché italien. C’était un paradoxe : ça coûtait moins cher pour une chaîne de télévision d’acheter un film américain en Italie que d’acheter un film italien en Italie !
Il s’agit du phénomène du « blockbooking », un bloc de films, ou de séries, de téléfilms qui étaient fournis par dizaines, par centaines d’heures de programme. De plus, ces films, conçus pour plaire au plus grand nombre et de bonne facture technique, étaient appréciés par le public et l’audimat montait en flèche. Il aurait fallu une décision politique en Italie à ce moment-là pour dire, comme ce fut le cas en France, qu’une chaîne de télévision privée doit investir dans la production nationale. Du jour au lendemain, la production italienne s’est effondrée. Il faut avoir conscience des enjeux qui se dessinent derrière le cinéma et l’audiovisuel, qui ne sont pas des enjeux corporatistes, mais bien des enjeux culturels, économiques et sociaux.
On est à un tournant : à travers les nouveaux moyens comme Internet, la vidéo à la demande, le numérique, comment est-il possible de trouver d’autres moyens de faire du cinéma en ayant du plaisir en tant que réalisateur et, le plus important, en tant que spectateur ? Les spectateurs ne sont pas idiots et il faut, au contraire, faire confiance à l’intelligence du public parce qu’avoir accès au public, c’est aussi une question d’intelligence.

 

Micheline Presle et Maria de Medeiros dans Hitler à Hollywood

 

C. : Un autre axe, amusant dans Hitler à Hollywood, c'est ta façon d'utiliser la bande dessinée dans ton film...
F. S. : Le côté bande dessinée dans Hitler à Hollywood se présente à travers le traitement visuel, le traitement scénaristique, le travail des acteurs, mais aussi à travers le côté ludique, l’intrigue et le jeu avec le spectateur. Quand on regarde le film, il y a plusieurs lectures possibles, comme quand on relit un Tintin. J’avais vraiment envie d’inviter les spectateurs à jouer avec le film, c’est-à-dire qu’ils prennent plaisir dans Hitler à Hollywood, comme dans un jeu de piste, à se demander ce qui est vrai et ce qui est faux. Le film est une fiction, mais il contient de vraies archives. J’avais vraiment envie d’avoir ce côté ludique. Je voulais que, dès la première image du film, le spectateur sache qu’il est dans une fiction. Au lieu d’être dans un faux documentaire, on est dans une hyper fiction parce que l’image devait montrer, par le traitement visuel, par le traitement des couleurs, qu’on n’était pas du tout dans le réalisme. Dès le départ, on est dans une vraie fiction, c’est clair en termes de code narratif et visuel, et on s’interroge, après coup, mais finalement est-ce que c’est vraiment une fiction ? Est-ce qu’il n’y a pas des éléments vrais ? On a réfléchi à la question avec Carlo Varini, le chef opérateur du film. L’idée de Hitler à Hollywood, c’était de faire ressortir les couleurs des acteurs principaux pour avoir un côté BD. Il a fallu penser à tout cela avant le tournage, même sur le choix des costumes de couleurs vives avec Monic Parelle, la costumière. Après la prise de vue, on a détouré les profils des comédiens avec un programme informatique extrêmement développé. Les couleurs ressortent de manière polarisée, de manière plus vive que lorsqu'on désature l'image sur les acteurs, et on tend vers le noir et blanc, pour le reste de l’image. Cela donne un côté extrêmement particulier au film, comme s’il y avait un virus dans le film, comme dans Epidemic de Lars von Trier, une particularité visuelle au film. De plus, cela crée un autre rapport au monde, un autre rapport au réel. Ce défi technique a pu être réalisé grâce à la collaboration du chef opérateur, de la costumière, des acteurs, et de Paul Englebert, l'étalonneur.
Dans un film de cinéma, il y a 24 images/ seconde, le film fait une heure et demie. On utilise un logiciel qui permet de mettre des points autour des profils, mais il faut quand même retravailler chaque image parce que le logiciel n’est pas parfait. Ce travail a duré deux à trois mois à temps plein, avec de nombreux assistants qui ont aidé Paul Englebert pour arriver à ce résultat. Je tiens d’ailleurs à remercier la production de nous l'avoir permis. À côté de ce choix technique, réside également une envie de cinéma, puisque Hitler à Hollywood est un film sur l’amour du cinéma, sur le pouvoir et la manipulation que peuvent avoir les Majors hollywoodiennes.


Je suis un grand admirateur de Tintin et, dès le départ, on s’est amusé, avec Maria de Medeiros qui m'a dit « au fond, je vais devenir une sorte de Tintin au féminin ». En effet, le film se présente sous la forme d’un roadmovie où Maria de Medeiros fait une enquête à travers l’Europe. Micheline Presle s’est aussi comparée à un personnage de BD, parce qu’elle disait qu’elle n’avait jamais joué son propre rôle.

 

C. : On remarque aussi l'utilisation que tu as faite de la caméra-photo devenue une caméra cinéma via les bonnes optiques Zeiss ou Leitz. C'est vraiment une sorte de caméra-stylo...
F. S. : Pour ce film, on avait un petit budget. On s’est demandé si on allait tourner en vidéo, mais je n’aime pas du tout la HD parce que je trouve qu’il y a un côté clinique. Ce que je trouve très beau quand on filme les acteurs avec une caméra 16 ou 35 mm, c’est qu’on peut jouer sur la profondeur de champ grâce aux objectifs. Contrairement à la HD, on peut avoir l’acteur net et l’arrière-plan flou et ça permet de magnifier les acteurs grâce à la lumière et au choix des objectifs.
Carlo Varini m’a alors proposé d’essayer le nouvel appareil photo Canon 5D. Pour une première en Belgique, les résultats furent impressionnants et, d’après lui, on a, en termes de profondeur de champ, un niveau qui n’équivaut pas le 35 mm mais le 70 mm ! Sauf que, à l’époque, les appareils photos venaient des Etats-Unis et étaient à 30 images/seconde quand ils étaient sur le mode film, alors que nous, en Europe, on est à 24 images/seconde. Il y avait donc un problème de transfert d’images par la suite. On avait peur que lors du montage ce soit inutilisable. On voit d’ailleurs, dans le film, des petits soubresauts d’images qui sont dus à cette question de logiciels différents entre 24 et 30 images/seconde.
Malgré le risque, je pense que le pari a été réussi pour Hitler à Hollywood, et j'espère pour d’autres films par la suite. Ce qui est formidable, c’est qu’on arrive au rêve d’Alexandre Astruc qui, dès 1948, pensait qu’il fallait que le cinéaste soit comme l’écrivain, et il parlait de « caméra-stylo ». À l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur, et la caméra était considérée comme l’équivalent du stylo pour un écrivain. On jouit donc d’une plus grande liberté grâce à la légèreté de la caméra. Quand la Nouvelle Vague est arrivée, c’était déjà un peu le cas puisqu’il y avait les caméras 16 mm et, le Nagra pour le son. Une grande légèreté par rapport à ce qui se faisait dans les années 60.
Aujourd’hui, on va plus loin car, comme le souligne Alain Cavalier, on peut faire un film seul avec du matériel bon marché puisque le Canon 5D coûte entre 2000 et 3000 euros, montant ridicule par rapport au prix d’une caméra 35 mm. On peut faire un film avec une équipe beaucoup plus restreinte, et donc on peut avoir beaucoup plus de liberté. Par contre, il faut avoir l’honnêteté de dire qu’il y a aussi de fortes contraintes. Par exemple, pour Hitler à Hollywood, on a été confronté au problème de la mise au point qui se manifeste lorsque les acteurs s’approchent ou s’éloignent de la caméra ou quand la caméra bouge avec les acteurs. On ne peut pas mettre au point sur l’objectif, à moins d’avoir un effet de flou permanent. Il a fallu créer un prototype pour le film : une télécommande pour faire la mise au point à distance. L’assistant caméra devait faire une mise en place avant de tourner pour connaître plus ou moins l’emplacement futur de l’appareil photo qui filme et celui des acteurs pour faire des essais de mises au point.

 

Maria de Medeiros dans Hitler à Hollywood

 

Ensuite, il fallait, en live, reproduire cette mise au point, et donc, ce n’est pas aussi simple que de prendre un appareil photo, d’aller dans la rue et dire « on tourne ». Cela permet de faire des films à moindre coût avec une plus petite équipe et donc avec une légèreté et une liberté qui sont réellement possibles, mais ça demande quand même de pouvoir faire face à des contraintes et de pouvoir trouver des solutions aux défis techniques qui sont posés et qui sont spécifiques à ce type de matériel. Selon moi, la technique, c’est formidable, mais ça doit rester un instrument au service d’un projet. La finalité n’est pas de faire un film avec un appareil photo, mais de savoir quels sont les moyens artistiques, techniques, humains, à trouver pour que le projet soit cohérent.

Tout à propos de: